Avec son nouveau service de location de vêtements, Urban Outfitters envoie un signal fort
Par Laurence Faguer, experte retail FrenchWeb
En bref
- La location de vêtements (comme l’achat de second main), s’inscrit comme une sérieuse alternative à la possession de vêtements
- Un vêtement de qualité peut durer deux à trois ans et être loué 36 à 45 fois
- Dans ce modèle, l’enseigne s’appuie sur deux actifs : son capital marque et son stock
- Actuellement, deux approches co-existent : internaliser le service (Urban Outfitters) ou travailler avec un partenaire qui agit en marque blanche (Ann Taylor, Express..).
Dans le détail
Louez. Retournez. Recommencez. Ajoutez à cela l’achat de vêtements d’occasion. A ce rythme va-t-on continuer à acheter des vêtements neufs?
On savait déjà que le marché des vêtements d’occasion doublera d’ici cinq ans, (un marché estimé aujourd’hui à 24 milliards de dollars aux US). Il faut désormais aussi compter avec le marché de la location de vêtements. Porté par le succès du pionnier et leader Run The Runway, créée en 2009 et valorisé 1 milliard de dollars, de grands groupes comme Urban Outfitters investissent aussi dans la location. La tendance est-elle durable? Quelles sont les meilleures stratégies? On vous dit tout.
A Philadelphie, le groupe Urban Outfitters Inc lance cet été Nuuly, un service de location mensuel de vêtements. L’abonné peut louer jusqu’à 6 articles pour 88 dollars par mois ( soit à 10 % de leur prix d’achat à l’état neuf, la valeur totale d’une box étant d’environ 800 dollars). L’abonné garde les vêtements un mois complet puis les renvoie pour en recevoir 6 autres. Il peut aussi acheter les vêtements en bénéficiant d’une réduction.
L’offre est constituée de vêtements griffés des marques du groupe (Urban Outfitters, Free People , Anthropologie) et de labels extérieurs comme Reebok et Levi’s, mais aussi de pièces vintage provenant de marchands spécialisés. Au lancement, 1 000 propositions, avec l’ajout de 100 nouveaux vêtements par semaine.
Les objectifs de Nuuly
L’enjeu pour un grand groupe comme Urban Outfitters ( 4 milliards de chiffre d’affaires, 9600 employés, environ 609 magasins) est de rentabiliser cette diversification tout en ne décourageant pas ses clients de venir en magasin.
David Hayne, Chief Digital Officer de UO et président de Nuuly, se fixe pour objectif de recruter 50 000 abonnés et de générer 50 millions de dollars de chiffre d’affaires dès la première année.
Le back office de Nuuly
L’abonné reçoit ses 6 articles dans une box réutilisable, avec une étiquette postale pré-payée pour le retour. David Hayne a choisit d’internaliser tout le back office (fulfillment, logistique et blanchisserie). Les vêtements retournés sont lavés et inspectés au sein de l’entreprise avant d’être reproposé à la location.
Selon Digiday, Urban Outfitters a “construit un nouvel entrepôt et un centre de Fulfillment à Philadelphie qui comprend également des services de blanchisserie et de nettoyage à sec. L’entreprise a également mis au point des services personnalisés de gestion des stocks et de stockage dans le cloud et a embauché des datascientistes pour mettre au point un moteur de recommandation exclusif”.
Nuuly, qui sera géré comme une entité distincte, compte déjà plusieurs dizaines d’employés ( IT, marketing, merchandising et création.)
David Hayne ne croit pas à une cannibalisation des ventes de vêtements neufs. Dans une interview exclusive avec Khadeeja Safdar pour le Wall Street Journal, il s’explique : « Nous ne croyons pas que les clients vont subitement cesser d’acheter L’achat a du sens pour les choses dont vous savez que vous allez les utiliser souvent ; la location a du sens pour les choses que vous voulez juste essayer ».
La data, l’atout clé
Comme pour Stitch Fix dont une partie du succès s’explique par la data recueillie lorsque les membres donnent leurs feedbacks sur les produits reçus (gardés ou renvoyés), David Hayne estime que l’un des atouts du modèle repose sur le partage des données avec les marques avec lesquelles il travaille (les marques internes ou ses marques partenaires) : des données agrégées et anonymisées telles que les tailles demandées, l’évaluation des produits, leur durabilité, ect. “ Notre objectif avec Nuuly est d’être un partenaire pour aider les marques avec lesquelles nous travaillons à augmenter leurs ventes”. La rentatbilité d’un tel modèle reposant sur la rapidité à faire tourner le stock loué, on imagine la puissance du marketing prédictif qui permettra de communiquer avec chaque membre, en temps réel, sur le bon produit.
« Fast Fashion is a rental business »
Jennifer Hyman, CEO Rent the Runway, Conférence Code Commerce de Recode, Mars 2018.
Pourquoi la location?
Selon GlobalData Retail, le marché de la location croît de 20 % chaque année (si l’on exclu la location de costumes pour les cérémonies). Il est évalué à 1 milliard de dollars en 2018 et devrait dépasser les 2,5 milliards de dollars en 2023 (pour un marché de l’habillement féminin de 120 milliards de dollars aux États-Unis).
Pourquoi maintenant?
Plusieurs raisons expliquent le succès de la location de vêtements (des raisons qui rejoignent lesuccès du marché des vêtements de seconde main, comme nous l’ont expliqué les 2 co-fondatrices de Place2swap, Estefania Larrañaga, et Lucie Soulard):
Coté consommateurs
- S’habiller avec des vêtements de seconde main, ou des vêtements loués, est de plus en plus accepté – voir revendiqué – par les consommateurs.
- L’habitude prise avec la fast fashion, qui n’est pas si éloignée de la location : Jennifer Hyman, co fondatrice et CEO Rent the Runway, n’hésite pas d’ailleurs à dire que la «Fast Fashion is a rental business». Si Jennifer Hyman reconnaît volontiers la puissance de la fast fashion, elle la considére comme une forme de location. « Lorsque vous achetez quelque chose à 9,99 $ et que vous savez qu’il ne résistera pas après que vous l’ayez porté une ou deux fois, vous entrez dans cette expérience d’achat en sachant que vous louez. Ce que nous faisons [chez Rent The Runway] est de rendre le processus de location plus efficace» . Et l’abonnement était la pièce manquante. avec Jennifer Hyman, la co-fondatrice et CEO de Rent the Runway.
- L’achat e-commerce a développé le réflexe de plus en plus courant d’acheter en ligne, puis de renvoyer (ou retourner en magasin) ce qui ne convient pas
- Le service “Try before you Buy” a institutionnalisé le fait que la chambre soit la nouvelle cabine d’essayage. Puisque les consommateurs ont pris l’habitude d’acheter en sachant qu’ils peuvent retourner l’article, pourquoi ne pas transformer ce comportement existant en un avantage offert au client – tout en s’efforçant de le rendre profitable pour l’enseigne ? ( Lire : Amazon, Etam, la cabine d’essayage se déplace à la maison ).
- Instagram amène certains à vouloir renouveller régulièrement leurs tenues
- Et (à contrario ?) la volonté pour d’autres, sensibles aux questions de durabilité, de vouloir freiner leurs achats de vêtements à prix neuf. Notamment parmi la #GenZ (cible de URBN)
Coté enseigne
- Une nouvelle source de revenus
- La location n’est pas réservée aux mariages – Rent The Runaway, le pionnier, a montré qu’il y a un marché, et un marché plus large qu’il n’y parraissait au début.
Jennifer Hyman (CEO Rent the Runaway) expliquait il y a un an à Kara Swisher et à Jason Del Rey, de Recode, le décollage prise par son entreprise dès lors que celle-ci, à la demande des clientes, s’est ouverte sur le marché des vêtements pour le bureau ( et pas seulement la location pour les grandes occasions). Ses clientes trouvaient formidable de pouvoir louer une robe pour un mariage, mais elles disaient aussi à RTR : « La majeur partie de mon temps – 5 jours sur 7 – je le passe au travail. C’est une énorme charge financière pour moi que de m’habiller pour le bureau. Pouvez-vous faire que ce modèle d’abonnement résolve AUSSI mon problème de tenues professionnelles ? RTW a alors intégré des tenues pour le bureau et le modèle a complétement changé. Au lieu de servir une cliente 4 fois par an, RTR la sert 150 jours par an. 150 est en effet le nombre moyen annuel d’utilisations par les abonnées. Pour 159 dollars par mois, la formule Rent the Runway Unlimitied permet de louer 4 articles à la fois de marques livrés en 2 jours. Puis d’en changer à tout moment.
Depuis sa création, Rent the Runway a servi 8,5 millions de clientes et a levé 210 millions de dollars (dont récemment 20 millions de la société d’investissement de Jack Ma et Joe Tsai d’Alibaba, et Blue Pool Capital) ce qui valorise l’entreprise à 800 millions de dollars. Selon Recode, la société est rentable sur une base Ebitda.
A noter : RTR propose son service logistique de location à d’autres marques de vêtements.
Les défis à relever pour une enseigne
- La culture interne. La proposition de valeur « Achetez moins de choses » est à l’opposé des retailers, qui cherchent à faire acheter plus
- L’équation économique : expéditions, retours et “remise comme neuf du vêtement” sont à la charge de l’enseigne
- Le modèle de la “ location” implique une autre stratégie et peut-être une équipe différente de celle actuelle ? Ce qui expliquerait que Urban Outfitter ait choisir de recruter une équipe nouvelle pour Nuuly.
La location, adoptée par plusieurs enseignes
Plusieurs enseignes testent la location de vêtement avec l’aide d’un prestataire spécialisé CaaStle (Clothing As A Service), fondé par Christine Hunsicker. CaaStle fournit la plateforme de location et assure en marque blanche tout le service de back office : fulfillment, nettoyage/inspection.
- Infinite Style by Ann Taylor – Pour 95 dollars par mois, le consommateur loue 3 articles par mois et les échanger à tout moment
- Express Slyle Trial – 70 dollars par mois pour louer 3 articles et une réduction sur les articles que l’on veut garder
- American Eagle Style Drop program – Permet de louer 3 articles pour 49.95 dollars par mois. Lancé début 2019 les premiers résultats sont prometteurs : » Nous sommes ravis des résultats depuis le lancement d’American Eagle Style Drop « , a déclaré Chad Kessler, Global Brand President d’American Eagle. » Style Drop est un nouveau moyen de sensibilier à notre marque et de mettre en valeur les tenues proposées dans nos collections saison après saison “.
Résultats
Le résultat global observé par les 9 enseignes clientes de CaaStle montre que la location génère de nouveaux clients et augmente le montant d’achat moyen des clients existants :
- 50% des consommateurs qui utilisent le service de location sont de nouveaux clients pour ces enseignes
- Les clients abonnés dépensent en moyenne + 150 %.
Interviewée par CNBC, Christine Hunsicker a évoqué une durée de vie, pour un vêtement de qualité, de 2 à 3 ans, soit une rotation de 36 à 45 fois. Ce qui génère à ses enseignes clientes une marge opérationnelle moyenne de 25 %. Le journaliste n’en revenait pas.
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La correspondante :
Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse «go-between» France et USA, fondatrice de Customer Insight.
A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.
Laurence est expert US pour FrenchWeb, qui reprend de temps à autres la publication des articles de son blog.
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