[ROLAND-GARROS] Le tennis à l’aube d’une révolution technologique ?
Prestigieux de par son statut de tournoi du Grand Chelem, Roland-Garros fait aujourd’hui office de dinosaure sur la scène tennistique mondiale. Et pour cause, outre le fait qu’il s’agit du seul tournoi de ce standing qui n’est pas encore doté d’un toit (ce sera chose faite en 2020), Roland-Garros est désormais le seul tournoi du Grand Chelem avec un set décisif «classique» (2 jeux d’écart), ses trois autres comparses (Wimbledon, Open d’Australie et US Open) ayant revu le format du set décisif. Mais derrière cette subtilité apparente, se murmure une révolution bien plus profonde dans le tennis.
L’ère du Big Four (Federer, Nadal, Djokovic et Murray) approche de son terme, les audiences télévisées sont en baisse, les matches en Grand Chelem sont jugés trop longs… Face à un public de plus en plus impatient, à l’instar de ce que l’on observe avec les consommateurs dans l’e-commerce ou le retail, avoir des matches à rallonge, ralentis par les changements de côté, les pauses médicales et le temps pris par les joueurs avant chaque service, n’est plus permis. A la recherche d’un second souffle, le tennis pourrait se tourner vers la technologie pour relancer l’attractivité de ce sport où le prestige et l’histoire se sont souvent imposés au détriment du spectacle et de la modernité.
Le Hawk-Eye, premier pas technologique de l’ATP au XXIème siècle
Pour autant, malgré sa résistance au changement, le tennis a tout de même opéré quelques changements d’ordre technologique depuis quelques années. Le plus connu d’entre eux n’est autre que l’introduction du Hawk-Eye, système de tracking vidéo qui permet de tracer la balle au millimètre près. Inaugurée à l’occasion du Masters de Miami en 2006, à Key Biscayne, cette technologie a été fortement décriée à son arrivée sur le circuit, de la même manière que la VAR (assistance vidéo à l’arbitrage) l’est actuellement sur les terrains de football.
Pourtant, avec le temps, le dispositif, qui repose sur une dizaine de caméras reliées à des ordinateurs tout autour du court, a mis presque tout le monde d’accord en apaisant considérablement les relations entre les joueurs et les arbitres. Plus de polémique après une balle litigieuse, c’est la technologie qui tranche. Une telle avancée aurait notamment permis d’éviter les légendaires coups de sang d’un certain John McEnroe qui ont traumatisé plus d’un arbitre.
Le Masters «Next Gen», le laboratoire d’innovation de l’ATP
Depuis 2006 et l’arrivée du Hawk-Eye, les mentalités ont changé et les nouvelles technologies se sont naturellement imposées dans le quotidien de chacun, notamment auprès des joueurs les plus jeunes. Un constat qui a amené l’ATP à imaginer un nouveau format et de nouvelles règles, qui font la part belle aux technologies.
En effet, essayant d’anticiper le départ à la retraite de ses têtes d’affiche, à savoir Federer, Nadal et Djokovic, l’ATP a décidé d’innover en 2017 en mettant sur orbite le Masters «Next Gen», une compétition rassemblant huit espoirs du tennis mondial âgés de moins de 21 ans. En plus de promouvoir les jeunes talents du circuit, susceptibles d’assurer la relève de leurs glorieux aînés, ce nouveau tournoi sert aussi de support pour dessiner le tennis demain, qui s’annonce résolument connecté. Voici les principales innovations testées dans le cadre de cette compétition à Milan.
La technologie pour remplacer les juges de ligne
Pour rendre le tennis «plus excitant et limiter les temps faibles», selon les mots employés par Ross Hutchins, le directeur du tournoi, l’ATP a ainsi non seulement revu le format des matches (moins de jeux par set, no-let, no-ad…), mais aussi remplacé les juges de ligne par la technologie. En effet, un système électronique, développé par la même entreprise qui fournit déjà le Hawk-Eye (société du même nom détenue par Sony) sur le circuit le reste de l’année, se charge dorénavant de crier «out» dès qu’une balle est faute.
Aux oubliettes les envolées lyriques de certains juges de ligne, place désormais à la voix froide et robotique de la machine. Sur ce point, cela donne un sentiment de légère déshumanisation sur le court, mais c’est aussi un moyen de garantir une meilleure équité sportive et d’épargner les juges de ligne qui s’attirent parfois les foudres de certains champions (Serena Williams avait violemment menacé une juge de ligne à l’US Open en 2009).
La «shot clock» déjà adoptée sur le circuit
Au Masters «Next Gen», la technologie permet aussi de rapprocher joueurs et entraîneurs. Jusqu’à maintenant, il était en effet interdit pour les joueurs sur le circuit masculin de communiquer avec leur coach pendant un match, sous peine d’être sanctionné par l’arbitre, alors que le circuit WTA permet depuis 2008 aux joueuses de faire appel à leur entraîneur pour venir les conseiller sur le court en plein match.
A Milan, où se tient le tournoi depuis 2017 et ce jusqu’en 2022, les joueurs ont désormais la possibilité de consulter les statistiques à la fin du set sur une tablette pour analyser leurs performances et de discuter avec leur coach via un casque pour voir ensemble quelle est la marche à suivre pour l’emporter. Une innovation globalement appréciée par les joueurs qui l’ont testée. Encore faut-il savoir maintenant quand l’ATP osera franchir le pas pour introduire ces nouvelles règles sur le circuit ?
Parmi les innovations testées au Masters «Next Gen», l’une a d’ores et déjà fait son apparition sur le circuit. Il s’agit de la «shot clock», ce compte à rebours numérique activé par l’arbitre pour décompter le temps pris par le joueur au service entre deux points et ainsi éviter que ce dernier ne dépasse les 25 secondes réglementaires. Vous l’aurez compris, le but est de supprimer le maximum de temps morts pour proposer des matches plus rythmés au public. Certes, le tennis ne va pas réaliser une mutation express en moins de cinq ans, au risque de dégrader le prestige et l’héritage de ce sport, mais l’ATP a planté les bases du tennis de demain.
Le joueur augmenté bientôt sur les courts ?
Avec les nouvelles technologies qui pullulent sur le marché, une question légitime se pose : le joueur augmenté est-il pour bientôt ? Oui en théorie, non en pratique. Sur le papier, tout porte à croire que ce sera le cas, l’ensemble des ingrédients technologiques étant réunis pour faire entrer les joueurs dans une nouvelle dimension. L’essor du marché des wearables, ces trackers d’activité que l’on porte sur soi ou qui sont présents dans des vêtements, paraissait même confirmer cette tendance en offrant aux joueurs un moyen simple de récolter des données sur leurs déplacements, leurs gestes sur le court ou encore l’évolution de leur rythme cardiaque. Mais aujourd’hui, peu de joueurs portent un bracelet connecté sur un court de tennis. Si la technologie n’est pas au poignet, peut-être se trouve-t-elle dans la raquette du joueur ?
C’est en tout cas la conviction de Babolat qui a lancé son premier modèle de raquette connectée en 2014. Bardée de capteurs, elle apporte une montagne de données au joueur (puissance de frappe, zone d’impact, vitesse de balle, coups joués, technique, effets de balle…). Un dispositif utile au joueur pour peaufiner ses tactiques, mais qui se heurte pour l’instant à deux contraintes. La première correspond à la perception du marché des objets connectés. En effet, lorsque Babolat était en passe de proposer sa première raquette connectée, il y a donc cinq ans, Gartner estimait qu’il y aurait 80 milliards d’objects connectés dans le monde en 2020. Depuis, le cabinet américain a nettement revu ses prévisions à la baisse en prévoyant à peine plus de 20 milliards de dispositifs IoT d’ici l’année prochaine.
Les raquettes connectées peu plébiscitées par les joueurs
Outre cette perception bien trop ambitieuse du marché en 2014, Babolat n’a convaincu que très peu de joueurs professionnels avec son matériel connecté. La marque française peut certes se targuer d’avoir Rafael Nadal comme ambassadeur de luxe. L’Espagnol est d’ailleurs devenu le premier joueur à remporter un tournoi du Grand Chelem avec une raquette connectée lors de son dixième sacre à Roland-Garros en 2017. Mais en dehors du Majorquin, rares sont les joueurs à avoir opté pour une raquette connectée. De plus, Babolat apparaît bien isolé sur ce marché, ses concurrents Wilson, Prince ou encore Yonex restant concentrés sur la conception de raquettes classiques. Seul Head a fait un pas dans la direction de Babolat en proposant un capteur, à intégrer au manche de la raquette, pour mesurer ses performances sur le court.
Cette faible adoption s’explique notamment dans le caractère des données délivrées par la raquette. Sont-elles complémentaires des statistiques dont dispose déjà le joueur (fautes directes, points au filet, balles de break, position sur le court, zones d’impact…) ? Pas vraiment dans la mesure où la raquette fournit certes des données sur les types de coups, les effets donnés à la balle et la précision, mais sans les remettre en perspective avec les résultats du joueur. Comment se comporte-t-il sur une balle de break ? Privilégie-t-il le service slicé extérieur sur deuxième balle ? Autant de questions qui restent sans réponse avec la raquette connectée. Celle-ci peut avoir un avenir, mais à condition de croiser données de la raquette et données du match.
Une partie du succès de la technologie dans le tennis viendra notamment de l’arrivée de la nouvelle génération qui a été biberonnée à l’Internet et aux écrans. Aujourd’hui, le tennis professionnel génère une quantité vertigineuse de données. Mais encore faut-il que les joueurs se l’approprient ? Et ce n’est pas encore le cas… Pourquoi ? Les Federer, Nadal, Gasquet et consorts ont été entraînés à l’ancienne, avec le point de vue de leur coach, pas celui de la technologie. Toni Nadal, l’oncle de Rafael Nadal, a d’ailleurs toujours gardé ses distances avec la place croissante du big data dans la sphère tennistique, estimant que les statistiques ne montrent qu’une partie de la vérité, mais ne suffisent pas à justifier une victoire ou un échec. L’arrivée de la nouvelle garde du tennis mondial devrait changer la donne, car davantage éduquée aux nouveaux usages technologiques et à l’importance de la donnée. Nous sommes encore loin d’un entraînement en réalité virtuelle pour défier Roger Federer ou Rafael Nadal dans des conditions de match réelles, mais c’est tout sauf de la science-fiction. Juste une question de temps.
La 5G et la réalité virtuelle au secours des diffuseurs ?
Si les joueurs professionnels la jouent encore «old-school» sur le terrain, ils ont cependant pris l’habitude de s’appuyer sur les statistiques et la vidéo pour corriger leurs erreurs ainsi que pour étudier les points forts et les lacunes de leurs adversaires. La vidéo, c’est justement ce qui intéresse les diffuseurs. Ces derniers réfléchissent depuis plusieurs années déjà à améliorer l’expérience des téléspectateurs. Il y a eu la télévision en couleur, la télévision en haute définition… Maintenant que l’image est de qualité, l’enjeu est tout autre : rendre un match de tennis plus immersif.
C’est notamment l’objectif poursuivi par France Télévisions. Dans ce sens, le groupe audiovisuel français utilise chaque année Roland-Garros comme un laboratoire d’innovation pour tester des innovations lors de la quinzaine parisienne. Et pour proposer toujours plus de contenus au téléspectateur, il faut déjà disposer d’une infrastructure capable de fluidifier la transmission de données. Après la 4G comme vecteur de développement de l’économie numérique, la 5G devrait permettre de franchir un cap supplémentaire en étant en mesure d’absorber des flux de trafic plus importants.
Pour les diffuseurs des tournois de tennis, l’arrivée de la 5G va permettre dans un premier temps de proposer des images de meilleure qualité, et donc de diffuser des programmes en 8K. Cette qualité accrue de l’image servira ensuite de base à de nouveaux formats, comme la vidéo à 360 degrés qui permet au téléspectateur de voir le match au travers du regard de l’arbitre ou du juge de ligne. Pas encore au point de sentir les glissades sur ocre ou le revers laser de Stan Wawrinka, mais la réalité virtuelle pourrait permettre à terme d’atteindre un tel degré d’immersion. A terme, le téléspectateur aura ainsi l’impression de vivre le match comme s’il était vraiment dans le stade, voire même avec plus d’intensité que la personne assise dans les gradins du court Philippe Chatrier. Doucement mais sûrement, le tennis fait sa révolution technologique pour reconquérir son public.
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Excellent article, tant sur le fond que sur la forme. Cela fait du bien…
Bravo au journaliste, du beau travail !..
Ok au moins c’est clair, la « révolution » est guidée par l’argent et le « grand public », autrement dit des gens qui n’y connaissent rien mais à qui il faut procurer du plaisir immédiat pour faire de l’audience et donc faire… de l’argent.
Et la startup Mojjo https://www.mojjo.fr/ qui fait des résumés de match en automatique ?
Elle permet également aux clubs de tennis d’enregistrer le court pour progresser