La prometteuse « Silicon Mountain » du Cameroun risque-t-elle de disparaître?
AFP
Le grand plateau d’ActivSpaces, un incubateur de start-up en plein cœur de la Silicon Mountain du Cameroun, prometteuse il y a encore peu, est quasi-désert: ses promoteurs caressaient le rêve de se lancer à l’internationale depuis Buea mais le conflit séparatiste qui ensanglante l’ouest camerounais anglophone a mis un coup de frein brutal à ces ambitions. « Silicon Mountain est à peu près en vie», veut croire, cachant mal sa gêne, Valery Colong, l’une des figures de ce village de l’informatique et des nouvelles technologies calqué, au pied du Mont Cameroun, sur le modèle de la Silicon Valley californienne.
S’étendant théoriquement de Buea, la capitale du Sud-Ouest, l’une des deux régions anglophones, à Limbe, station balnéaire chic voisine, dans le Golfe de Guinée, le projet ambitieux de Silicon Mountain porte les stigmates économiques et sociaux d’un conflit qui a déjà fait plus de 2 500 morts depuis 2017, dont de nombreux civils, selon des ONG internationales. « La crise a gravement affecté nos activités», lâche encore M. Colong, promoteur d’ActivSpace, maillon essentiel de la Silicon Mountain, dont les murs s’ornent encore fièrement d’affiches aux couleurs des géants mondiaux d’internet.
Selon M. Colong, plusieurs promoteurs de start-up ont abandonné, d’autres ont delocalisé leurs activités à Douala, la capitale économique, dans la partie francophone, à 50 km seulement de Buea, ville de 200 000 habitants où les échanges de tirs entre militaires et séparatistes ne sont pas rares. « D’autres encore ne rêvent que de quitter le pays», soupire-t-il.
Tous les habitants de Buea rencontrés espèrent que la paix reviendra mais peu d’entre eux croient au Grand Dialogue National concédé finalement par l’inamovible président camerounais Paul Biya, et qui doit s’ouvrir lundi à Yaoundé, pour régler la crise: la grande majorité des séparatistes, mais aussi une frange importante de l’opposition nationale, ont décidé de boycotter tant qu’un cessez-le-feu n’est pas décrété ou que leurs leaders emprisonnés ne sont pas relâchés.
Les startups se font de plus en plus rares
ActivSpaces offre aujourd’hui une parfaite illustration de cette descente aux enfers de la Silicon Mountain, au premier étage d’un modeste immeuble du centre ville. «Avant la crise, il y avait en moyenne 10 startups dans la grande salle. Aujourd’hui, il y en a juste une», se désole M. Colong. Sur son écran, dans un coin de la grande salle, Nevile Akombo Akwo travaille ainsi sur Digital Renter, une plateforme en ligne d’annonces immobilières.
« Je suis là parce que je crois au futur. Ce n’est pas le moment de se décourager», assure-t-il. « Pour que la plateforme fonctionne, il faut descendre sur le terrain, voir les propriétaires de biens immobiliers mais il n’est pas possible d’aller partout en ville», regrette M. Colong, expliquant par exemple: « c’est dangereux d’aller dans des zones difficiles comme les quartiers de Muea ou Mile 16, les gars ont peur de prendre des balles».
Dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, des revendications sociales des anglophones, qui s’estiment lésés par rapport aux huit régions francophones, se sont muées, en trois ans, en un conflit meurtrier entre groupes indépendantistes radicalisés et forces de sécurité dépêchées par Yaoundé, resté sourd aux attentes de la minorité anglophone (quelque 16% des Camerounais). Des combats opposent quasi-quotidiennement l’armée, déployée massivement, à des groupes épars de miliciens qui veulent créer un Etat anglophone indépendant, l’Ambazonie. Les affrontements, mais aussi les exactions et crimes commis par les deux camps sur les civils, ont poussé plus de 530 000 personnes à fuir leur domicile.
Internet coupé par les autorités
En 2017, les autorités avaient coupé internet dans les deux régions pendant trois mois, obligeant les acteurs de la Silicon Mountain a déménager leurs bureaux à proximité de Douala. « Notre partenaire majeur a cessé de nous financer», déplore aussi M. Colong qui n’exclut pas de fermer si la violence perdure. ActivSpaces a dû réorienter ses activités vers la formation des jeunes. Elle en accueille déjà 15. « Je suis là depuis deux mois, mon expérience est positive», s’enthousiasme l’un d’eux, Stephen Mbong, plongé dans un exercice avec un autre étudiant. Le secteur des nouvelles technologies n’est pas le seul sinistré dans le Cameroun anglophone.
Les recettes d’exportations du cacao, dont 40% de la production nationale provient du Sud-ouest, et du café arabica (le Nord-ouest en fournit 75%) ont chuté de 20% à cause du conflit, selon le Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam). Selon l’ONG Human IS Right, basée à Buea, la crise a fait grimper le taux de chômage à 70% dans le secteur agricole de la région. Dans le bâtiment et les travaux publics, de nombreuses constructions sont à l’arrêt. Principales raisons: la crainte des investisseurs en zone de guerre et les difficultés pour la diaspora d’y transférer des fonds, le gouvernement soupçonnant un financement des groupes armés.