5G : vers toujours plus de dépendance numérique ?
Par Joachim Renaudin, lead analyst chez Fabernovel
Si vous consultez moins de 48 fois par jour votre téléphone selon une étude de RescueTime; alors vous faites mieux que la moyenne des mobinautes. A en croire la fonctionnalité Temps d’écran de mon iPhone introduite par Apple en 2018 pour faire face à l’addiction chronique de ses utilisateurs, je l’ai de mon côté activé en moyenne 118 fois par jour le mois dernier. A part respirer, il y a peu d’actions que je répète aussi souvent, et surtout, aussi machinalement.
Non loin d’être un phénomène isolé, une grande partie d’entre nous est accro au numérique. Dans différentes proportions, pour différents usages. Il n’empêche que la dépendance numérique est aujourd’hui devenue un sujet de santé publique. Parmi les principaux effets néfastes, on compte la baisse de concentration: en consultant 118 fois par jour mon téléphone, combien d’interruptions inutiles?
Certaines études pointent également des risques graves sur le développement de compétences fondamentales pour les enfants, voire des impacts sur la santé mentale des adolescents. D’autant que le temps passé sur les écrans ne cesse d’augmenter, tiré par l’essor des réseaux sociaux, du streaming et permis par la généralisation des abonnements mobiles illimités. Et ça n’est pas prêt de s’arrêter avec l’arrivée de la 5G, le nouvel eldorado promis par les opérateurs. 10 fois plus de débit, la possibilité de connecter 1 000 fois plus de terminaux en même temps et surtout une latence 10 à 100 fois meilleure qui permet d’imaginer pléthore de nouveaux services immersifs. Des chiffres qui donnent le vertige.
Une grande question se pose: doit on accueillir la 5G à bras ouverts? Quels impacts peut-on vraiment attendre sur notre consommation numérique? La 5G risque-t-elle d’accélérer encore davantage notre dépendance numérique, déjà préoccupante?
Les premiers impacts évidents que l’on peut attendre de la 5G sont la sur-utilisation des services connectés les plus courants d’aujourd’hui: le streaming vidéo, les appels vidéos ou les jeux en réseaux par exemple. L’équation est simple: plus de débit disponible = une meilleure expérience = plus de consommation. Et pourtant: alors que 3 millions de Sud-Coréens ont déjà souscrit à une offre 5G, on peine, après quelques mois déjà, à déceler un véritable impact sur le temps d’écran.
Pourquoi? Ces premiers utilisateurs sont principalement des early adopters, technophiles, déjà très connectés et le test grandeur nature en Corée du Sud est loin des promesses théoriques de la technologie : non standalone (elle s’appuie sur le réseau 4G LTE), elle n’est pas illimitée et reste cantonnée à certaines zones de Séoul et la latence déçoit.
Mais ce serait une erreur de réduire l’impact de la 5G à la simple augmentation du débit. Car il est peu probable que le fait de pouvoir télécharger un film en une seconde au lieu de quelques minutes augmente véritablement mon envie d’en voir un de plus. Pour estimer l’impact de la 5G sur notre consommation numérique, il faut donc prendre en compte les deux autres améliorations que promet ce standard: une latence très faible, et la possibilité de connecter un grand nombre de terminaux.
Tout d’abord, la latence très faible conjuguée à l’amélioration du débit promet une véritable révolution des médias. Plus de Netflix, plus d’Instagram oui, mais la 5G soutiendra surtout l’émergence de nouveaux services et usages, avec un impact à la fois sur la façon de consommer les médias (en réalité augmentée, en réalité virtuelle), et sur le types de contenus (plus nombreux, plus variés, meilleure résolution, plus interactifs et personnalisés). Mieux distribués, et plus attrayants, les médias prendront ainsi probablement une part croissante de notre attention. Les jeux vidéos, déjà le premier bien culturel consommé par les Français, promettent également de tirer pleinement profit de la 5G: jeux en réalitée virtuelle sans latence, mais surtout le cloud gaming, qui offre la possibilité d’être pleinement mobile et de pouvoir jouer partout.
Mais tandis que la bande passante des réseaux sera décuplée avec la 5G, notre bande passante d’attention reste, elle, limitée. Tous les services ne pourront pas accroître leur part de temps de cerveau disponible. Attention à la surchauffe! Dès lors, il est probable que nous voyions les réseaux sociaux être concurrencés sur leur temps de cerveau disponible par le gaming et la réalité virtuelle. A moins que les réseaux sociaux ne se consomment également eux-mêmes en réalité virtuelle? Difficile de prédire quels médias seront les gagnants de l’avènement de la 5G. Seule certitude: la bataille pour notre attention risque de se faire plus intense, et les outils déployés pour la capter, toujours plus addictifs.
Ainsi, plus qu’une simple augmentation de notre temps numérique, on risque de s’orienter vers une consommation numérique plus immersive, plus interactive.
Ceci dit, cette révolution des médias n’est pas pour demain. Les coûts d’investissement considérables que doivent supporter les opérateurs, et surtout les incertitudes liées au modèle économique de la 5G, repoussent un déploiement massif de la 5G à plusieurs années, en tout cas, en dehors des grands centres urbains. Cela nous offre donc ce qu’on a de plus précieux dans un monde numérique qui file à toute allure: le temps. Ainsi, avant de céder au messianisme technologique de la 5G, et se gargariser devant les cas d’usages fantastiques qu’elle offre, prenons le temps de réfléchir aux impacts qu’ils auront sur notre dépendance au numérique, et sur leur réelle nécessité.
La prise de recul nécessaire et la responsabilité ne repose pas que sur le régulateur et les opérateurs, mais c’est également à nous, développeurs, designers opérateurs de services, de concevoir et en ayant en tête les externalités négatives d’une expérience utilisateur addictive et hyperconnectée. La bonne nouvelle dans tout ça? La sobriété d’usage rime souvent avec sobriété énergétique. Alors, chiche! Faisons le pari dès aujourd’hui de prendre en compte la sobriété numérique comme un principe fondamental.
Le contributeur:
Joachim Renaudin est Lead Analyst chez Fabernovel depuis 2016 pour aider les entreprises à redéfinir leur stratégie et créer des nouveaux business dans une économie bouleversée par le digital. Aujourd’hui en mission au Japon, Joachim étudie le potentiel de la 5G comme une révolution non-seulement pour les télécommunications, mais pour toutes les industries. Co-auteur des études Uber, the transportation virus and Tesla, uploading the future, Joachim est diplômé de SciencesPo.