[New York] Interlace Ventures, le fonds innovant dédié au retail
Interview de Joseph Sartre, co-fondateur d'Interlace Ventures par Laurence Faguer, experte retail FrenchWeb
On m’avait prévenue : ne jamais arriver en retard à un rendez-vous avec un venture capitaliste new-yorkais. Bingo. 7 minutes de retard à mon rendez-vous sur Lafayette Street. Joseph Sartre, le co-fondateur d’Interlace Ventures, est là, souriant, prévenant. Un trait de caractère du métier de venture, m’expliquera-t-il plus tard, « un métier d’écoute et d’humilité ».
Pourtant, le fonds qu’il a co-créé avec Vincent Diallo il y a un an a le vent en poupe. Dans leur portfolio: b8ta, For Days et d’autres pépites.
Ancien de chez Danone où il fut nommé responsable financier Asie Pacifique d’evian à l’âge de 26 ans (!), Joseph Sartre et son associé étaient conscients, en créant leur fonds, que ni New York, ni San Francisco ne les attendaient.
D’où l’option d’un axe novateur : Interlace Ventures s’intéressera en priorité aux solutions et aux modèles visant les marques DNVB et les retailers, pour lesquelles les technologies actuelles ne sont pas adaptées, et il agira comme une marketplace mettant en relation ses investisseurs – principalement des CEO de groupes du Fortune 500, des family office et des corporates – et son portfolio. Un double modèle unique, patrimoniale et stratégique, que nous décrit Joseph Sartre:
:: Comment passe-t-on en 12 mois de soldat de réserve de l’Armée française à Financial Manager pour Danone à Shanghai ? C’est …
Joseph Sartre : Improbable ! C’est en fait le résultat de mon éducation et de ma personnalité. Grâce à mes parents, j’ai grandi en Afrique, aux Etats-Unis et en France. J’ai fait 14 écoles jusqu’à mon bac ! Cela m’a donné le goût de la découverte. Être curieux sur tout, tout le temps.
Après des études de Computer Science à Saint Andrews University en Grande Bretagne, j’ai fait l’ESCP. Puis je suis entré chez Minutebuzz, tout au début de leur aventure, pour travailler sur les aspects technologie et finance. En parallèle, j’ai eu envie de connaître ce qu’était le métier de mon père, lui-même dans l’Armée et j’ai été soldat de réserve pendant 2 ans. Superbes expériences, mais l’international me manquait. En 2011, on voyait l’avenir de l’économie digitale venir de Chine. J’ai obtenu un VIE chez Danone evian à Shanghai, où je m’occupais du contrôle de gestion pour la Chine. Quelques mois après, mon patron, le directeur financier Asie Pacifique, est parti et on m’a demandé de reprendre son poste. J’attribue cela à un mélange de curiosité, de coïncidence et de chance.
:: Et de travail…
Un peu de travail.
:: Vous aviez une carrière toute tracée chez Danone. Pourquoi ce virage vers le métier de Venture Capital?
En partant de Danone fin 2016, je n’ai pas décidé d’être venture capitaliste car je ne savais pas en quoi consistait ce métier. C’est une histoire de rencontres, avec Jean-Pierre Chessé, le fondateur de Sinodis – et Vincent Diallo son CFO – leader de la distribution de produits alimentaires occidentaux en Chine, et mon plus gros client. Nous avons eu quelques beaux succès ensemble et nous avons lié une vraie relation de confiance et amitié business. Jean-Pierre a revendu sa société et a monté avec Vincent son family office, Bleu Capital. Ils m’ont proposé de les rejoindre à New York pour les aider à le développer. Après 5 ans en tant qu’opérateur, c’était un bon moment pour moi de reconnecter avec les Etats-Unis et la technologie qui me manquaient. C’est ainsi que Vincent et moi sommes devenus investisseurs.
:: Et il y a juste un an, vous créez avec Vincent Diallo Interlace Ventures
En venant de Chine, nous avons été surpris du décalage (retard) d’adoption de la technologie par le retail américain. Nous avons vu une cohérence à monter Interlace Ventures, un fonds dédié à la technologie au service du commerce et du retail, avec comme axe de différentiation de nous appuyer sur notre passé d’opérateur dans le retail. L’autre spécificité étant d’accompagner des startups qui aident à mieux consommer, de manière plus personnalisée, plus simple et plus durable.
:: Qui investit dans votre fonds ?
Nous avons la chance de regrouper au sein de notre fonds un grand nombre d’entrepreneurs, de familles, de corporate et de marques de l’univers du retail. Nous créons des passerelles entre eux et les startups, pour accélérer le portfolio mais aussi pour soutenir leurs propres business. Cette stratégie focused et verticalisé nous semble être un cercle vertueux de création de valeur.
“ Nous savons trouver l’expert du secteur qui va aider chaque startup”.
:: Comment se matérialisent ces passerelles ?
Notre nom l’exprime parfaitement. Dans Interlace, il y a l’idée de communauté et d’entrelacements entre différentes parties. Nous sommes une plateforme qui met en relation nos investisseurs et notre portfolio ; nos deux clients. Notre rôle est de nous demander:
- Comment amener des solutions, des business modèles ou de nouvelles marques, qui puissent bénéficier à nos propres investisseurs ?
- Et à l’inverse, comment nos investisseurs dans le fonds ont un vrai impact business, stratégique et directionnel dans l’évolution de notre portfolio ? Nous savons trouver l’expert du secteur qui va aider chaque startup.
«Nous aimons travailler avec les familles, car il a un gros impact dans ce double modèle patrimoniale et stratégique».
:: Ce modèle à la fois d’investisseurs et d’accélérateur business par ces mêmes investisseurs, est peu courant ?
Notre modèle est assez rare à notre stade d’investissement, le seed. Les champions dans le domaine travaillent généralement avec les corporate. Nous aimons travailler avec les familles, car il a un plus gros impact dans ce double modèle patrimoniale et stratégique. Pour la startup, nous investissons et nous la connectons à un réseau. Nous ne sommes pas les gros bras financiers mais nous sommes l’acteur stratégique autour de la table, ce qui nous permet d’être dans de beaux deals et de faire bouger les lignes.
:: Et pourquoi vous concentrer sur la verticale du retail ?
Nous entendons souvent parler de Retail Apocalypse, or nous pensons que c’est une vue trop négative. Nous sommes dans une Retail Renaissance. La façon dont le consommateur découvre et achète les produits est très différente d’il y a juste 5 ans. Le consommateur ne voit plus le magasin comme un espace d’achat. Il se rend toujours en magasin, car il veut une relation émotionnelle avec le produit, il veut le tester, mais son acte d’achat peut se faire ailleurs. Cela fait émerger une nouvelle branche de technologies et de nouvelle opportunités de modèles de distribution qui sont entièrement à créer. La technologie a un rôle important dans cette relation avec le client, dans le monde du réel, et dans le monde du digital au niveau de la découverte et de l’achat.
:: A quels types de retailers s’adressent les solutions de votre portfolio ?
En plus des grands retailers et des grandes marques, nous voyons une opportunité grandissante avec les DNVB, ces marques qui font entre 50 et 300 millions de dollars de chiffre d’affaires. Quatre milliards de dollars ont été investis aux Etats-Unis au cours des 4 dernières années sur ces nouvelles marques. Elles ont besoin de technologies pour améliorer leur infrastructure e-commerce et pour déployer de façon cohérente une stratégie d’acquisition qui passe notamment par le magasin physique. Or aujourd’hui, peu de technologies répondent à leur taille et à leur vitesse de croissance. Ce sont pourtant de jeunes entreprises qui ont une vraie appétence à la technologie, car elles sont nées en ligne, et elles ont des cycles de ventes plus courts. Mais les outils ne sont pas encore prêts pour elles.
«b8ta a compris que le business modèle du magasin devient ‘Discover and Learn’ plutôt que ‘Discover and Buy’.»
:: Un de vos investissements est dans b8ta, (“See what the world is creating”). Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce modèle de Retail-as-a-Service ?
Ils ont tout compris et notamment que le business modèle du magasin – vendre des produits – n’est plus le bon, où du moins n’est plus sa seule raison d’être…
Nous sommes convaincus que les nombreuses fermetures de magasins s’expliquent en partie par le fait que certains retailers se sont étendus en s’endettant fortement, sur des prévisions de ventes magasin. Or lorsque les magasins ne délivrent plus, les sociétés ne peuvent plus honorer leurs dettes. C’est ce qui s’est passé pour Toys’r’Us.
Et le paradoxe, c’est que ces magasins voient quand même du trafic, mais peu de ventes! Le besoin d’expériences des enfants et des parents avant d’acheter une boite de Lego n’a pas baissé. En revanche, ce qui a changé, c’est le process et le lieu d’achat. Sur des verticales bien définies, notamment l’électronique et les jouets, le magasin est un lieu d’expérience et d’apprentissage de l’utilisation du produit, avant d’achat. ‘Discover and Learn’ plutot que ‘Discover and Buy’.
L’équipe de b8ta nous a convaincu, d’autant plus qu’ils ont créé un soft technologique, ARK marketplace, qu’ils commercialisent aujourd’hui pour aider d’autres retailers multimarques à faire évoluer leurs modèles. Le plus gros clients d’ARK est Macy’s. Market at Macy’s, Eden, Forum ou encore Toys’r’Us sont exécutés à grâce ARK.
:: On pense souvent à b8ta comme un magasin nouvelle génération, dédié à la découverte, mais c’est beaucoup plus que cela ?
b8ta a un double modèle : un business modèle magasin en propre sur certaines verticales – avec 25 magasins b8ta, 2 magasins Toys’r’Us, l’international avec l’ouverture récente de Dubaï – et un business modèle sur les technologies.
«For Days est la première marque de vêtements conçue pour la circularité.»
:: Un autre de vos autres investissements est For Days. Pourquoi ce modèle vous plait-il ?
Tout d’abord l’incroyable fondatrice Kristy Caylor! For Days est la première marque de vêtements conçue pour la circularité. Ce qui veut dire 100% de retours – autant que de volumes vendus! – alors que les marques classiques ont déjà des difficultés à traiter 30% de retours. Or c’est une demande des consommateurs: 70% d’entres eux veulent consommer des marques qui sont positives sur la planète.
Pour nous, investir dans For Days est une façon d’explorer ce modèle circulaire et de soutenir ce type d’entrepreneurs. C’est un vrai challenge technologique! Dans ce modèle de re-commmerce, nous regardons 3 types de dossiers : la réutilisation de la matière, la réutilisation du packaging et la réutilisation du produit. Ce qu’essaye de “craquer” For Days est la réutilisation de la matière pour la recycler.
:: Et que pensez-vous de l’entrée de Nordstrom en octobre à Manhattan, avec son flagship que certains voient comme le renouveau du format «department store» physique ?
Ils sont en effet dans la direction à laquelle nous croyons: rendre le magasin plus expérientiel avec une panoplie de services pour le client. Toucher les produits, mais aussi pouvoir s’y rendre pour déjeuner, ou faire faire une retouche couture. Un lieu de vie. Autre point important: Nordstrom fait entrer de nouvelles marques, c’est nouveau pour eux et cela va dans le sens de l’histoire. Glossier est en train d’arriver chez Nordstrom. Nous allons voir les chiffres.
«A New York, le temps est ce qu’il y a de plus cher.»
:: Une journée type de Joseph Sartre à New York, comment est-ce ?
Beaucoup de rencontres et d’échanges avec notre portfolio, de nouveaux entrepreneurs, des investisseurs et des experts. Une dizaine de meetings par jour. De 30 minutes. Ici, le temps est ce qu’il y a de plus cher. Tout le monde répond très vite, et est très disponible à partir du moment où il y a de la valeur à gagner. Les américains sont prêts à prendre des risques. Il y a beaucoup de vélocité. Le reste de ma journée est consacré à la lecture, 2 à 3 heures par jour, et de la production de contenu interne.
:: Est-ce vrai que vous avez appris le code à 12 ans, et que vous codez toujours tous les jours ?
C’est vrai mais je ne suis pas un bon développeur ! Le code m’a appris à résoudre les problèmes, car il y a toujours des bugs, et à identifier la bonne solution, car il y a toujours plusieurs solutions. Également à être créatif, car pour moi, le code c’est de la création. Les développeurs sont des créateurs. En tout les cas, créer est une part importante de ma vie, comme hobby mais aussi en terme professionnel. Savoir coder aide dans les due diligences, par exemple…
:: Vous avez même créé une plateforme technologique, que la place entière vous envie, pour sourcer et analyser les entreprises. Parce que l’on est jamais mieux servi que par soi-même ?
Nous avons en effet créé une petite infrastructure de sourcing et d’analyse de deals. Au lieu de passer beaucoup de temps chaque jours à regarder manuellement les bases publiques, l’outil nous apporte toute l’information et nous a fait découvrir des deals qui ne seraient pas venus à nous naturellement. C’est devenu notre outil principal de dealflow, que nous sommes en train de mettre à disposition à notre base d’investisseurs et d’advisors. C’est toujours une activité soirée-weekend pour moi mais c’est en train de devenir une vraie source de différentiation.
:: En matière d’inspirations, quels sont les 3 médias ou personnes que vous recommandez de suivre ?
Je lis tous les matins, Axios Pro Rata, 2pm de Web Smith et j’essaye de suivre le plus possible RetailDive.
:: Ce qui impressionne en vous rencontrant est votre disponibilité et votre faculté d’attention. Comment y arrivez-vous, qui plus est à New York ?
Il y a une grosse partie d’organisation… Et puis le métier du venture est un métier d’écoute. De mes observations, ceux qui réussissent vraiment – sur le long terme – dans ce métier sont ceux qui écoutent le mieux.
C’est un métier d’humilité, on sait que l’on se trompe 99% du temps, on dit non à beaucoup de sociétés, qui en fait réussissent. Et parmi celles auxquelles on dit oui, on espère que les 5 à 10% qui réussissent génèrent beaucoup de performance !
Dans notre manifesto, nous disons « Nous savons que nous ne savons pas, donc nous devons toujours être à l’écoute des autres pour être sûr de diminuer notre risque ». Et décider vite.
Pour aller plus loin
La correspondante:
Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse « go-between » France et USA, fondatrice de Customer Insight.
A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.
Laurence est expert US pour FrenchWeb qui reprend de temps à autres la publication des articles de son blog.
Vous souhaitez rejoindre le Club Decode Retail, choisissez votre formule et inscrivez-vous.
«Les informations recueillies font l’objet d’un traitement informatique destiné la gestion de votre demande de rejoindre notre club par DECODE MEDIA SAS. Le destinataire des données est DECODE MEDIA SAS au capital de 75 192 euros, 55 rue de Bretagne 75003 Paris. Conformément à la loi «informatique et libertés» du 6 janvier 1978 modifiée en 2004, vous bénéficiez d’un droit d’accès et de rectification aux informations qui vous concernent, que vous pouvez exercer en vous adressant à DECODE MEDIA SAS au capital de 75 192 euros, 55 rue de Bretagne 75003 Paris. Vous pouvez également, pour des motifs légitimes, vous opposer au traitement des données vous concernant.»
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 6/6 : analyse de sensitivité - 21/05/2024
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 3/6 : les Coûts Fixes - 16/01/2024
- Question à un VC : Pourquoi les marges unitaires sont-elles si importantes pour votre modèle d’affaires? - 13/11/2023