Comment les équipementiers informatiques se renouvellent grâce à l’e-sport
AFP
Indispensables, mais ringards: telle est l’image qu’ont longtemps traîné les périphériques informatiques, claviers et souris en tête, voués même à disparaître avec l’avènement des écrans tactiles. Jusqu’à ce que la vague des compétitions de jeux vidéo, ou « e-sport », bouleverse la donne et dépoussière leur image. « Le marché était bridé depuis de nombreuses années car arrivé à maturité, il n’y avait presque pas d’innovation. Il était concentré entre quelques acteurs, mais l’e-sport est venu apporter de nouvelles possibilités d’un point de vue marketing et a entraîné un renouveau en termes de recherche et développement », assure Laurent Michaud, directeur du développement du groupe Icônes.
Pour les « e-sportifs » professionnels, la souris, le clavier ou la manette comptent autant qu’une chaussure ou un ballon de qualité pour un footballeur: un clavier au temps de réaction trop lent, une souris qui ne permet pas de dézoomer suffisamment vite et c’est une partie perdue, alors que l’enjeu peut désormais atteindre des millions de dollars par compétition. Alors les équipementiers s’intéressent de plus en plus aux besoins des professionnels, avec en tête un tout autre marché: celui des « hardcore gamers », les joueurs qui peuvent passer plusieurs heures chaque semaine sur leurs titres de prédilection et s’équipent souvent comme des pros.
« Un gamer peut dépenser beaucoup pour son confort. Quand un ‘bon’ produit est repéré, il est plébiscité car ça aide beaucoup désormais. Et les fabricants qui communiquent autour du e-sport sont forcément vus comme étant légitimes dans ce secteur », face aux fabricants plus généralistes, relève Frédérick Gau, directeur général de Gozulting, un cabinet spécialisé dans l’e-sport.
Concurrence hors norme
Difficile de se faire une idée de la valeur générée par le marché des périphériques, faute d’étude sur le sujet. Sur son volet « gaming » uniquement, il représenterait « environ un quart du marché du jeu vidéo (évalué à 135 milliards de dollars en 2019, NDLR), à la louche », selon M. Michaud, soit autour de 33 milliards de dollars. Un marché contrôlé à 80% par deux acteurs, le Suisse Logitech et l’Américain Razer, alors que de nombreuses petites entreprises se battent sur les créneaux restants. « C’est un marché avec une concurrence hors norme, ce qui entraîne une véritable course à l’armement, qui atteint parfois ses limites parce qu’on se retrouve avec des innovations qui n’apportent plus rien. On se doit de penser autrement pour se démarquer, donc on cherche plutôt à apporter autre chose, en échangeant avec des pro et semi-pro », explique Hugo Loi, directeur général de Pixminds.
Les fabricants ont glissé naturellement vers l’e-sport en multipliant les partenariats et sponsoring avec les équipes, éditeurs de jeux ou organisateurs de compétitions, parfois en sortant des produits aux couleurs de leurs partenaires. « Il y a encore très peu d’obligations liées aux partenariats, côté joueurs professionnels. Si un fabricant accole son image à une équipe, c’est qu’il espère qu’elle va gagner, il ne va donc pas perturber les performances des joueurs et les obliger à prendre son matériel plutôt que celui avec lequel ils sont habitués à jouer », explique ainsi Frédérick Gau.
Miser sur le haut de gamme
Ce qui n’empêche pas les fabricants de pouvoir profiter à plein des bonnes performances des meilleurs esportifs, en particulier lorsqu’ils les équipent et développent avec eux leurs nouveaux produits. « On a travaillé avec le champion du Japon de Call of Duty pour développer notre nouvelle manette, cela nous permet de mieux l’adapter aux besoins du joueur. Mais cela a aussi un impact en matière d’image: lorsqu’il remporte la compétition et explique que c’est grâce à notre produit, c’est un outil fantastique en termes de notoriété », détaille Benoît Clerc, directeur jeux vidéo de Nacon, qui développe des jeux et des périphériques.
Un levier image essentiel car il s’agit pour les équipementiers de vendre des produits plus haut de gamme, qui peuvent coûter au minimum 200 à 300 euros, là pour les manettes, claviers ou souris d’entrée de gamme ne valent que quelques dizaines d’euros tout au plus. « On assiste à une dynamique identique au sport, où les équipementiers parient sur l’image des plus connus, leur développent des produits pour ensuite séduire le grand public. C’est un coût, mais cela peut aussi permettre aux nouveaux entrants de venir bousculer les établis », insiste Laurent Michaud.