Comment Ysance veut redonner aux retailers la maîtrise de leurs données clients
Interview de Laurent Letourmy, CEO d'Ysance, par Laurence Faguer, experte retail FrenchWeb
Ysance monte au créneau pour défendre les intérêts des retailers en apportant une réponse à leur volonté croissante d’héberger et de gérer leurs données clients en interne.
En synthèse
- L’entreprise qui fut la première il y a 10 ans à permettre aux équipes marketing de réconcilier les parcours online et offline et d’augmenter ainsi de manière prouvée les revenus en magasin, démarre la décennie avec un nouveau cheval de bataille
- Ysance encourage les retailers à se ré-approprier le front-end, notamment leur asset le plus stratégique, leur base de données clients, en leur donnant les outils pour le faire, rapidement et à moindre coût.
- Une demande de plus en plus fréquente des retailers, mais aussi du consommateur, que l’on sait si pointilleux ces temps-ci en matière d’utilisation de ses données.
Laurent Letourmy, qui a fondé ce groupe de 160 collaborateurs et 250 clients, nous livre les sujets qui occupent l’industrie du retail en ce début d’année.
Interview
:: Vous rencontrez à longueur de journée des dirigeants du monde du retail. Sans dévoiler d’informations confidentielles, de quoi vous parlent-ils ? Qu’est-ce qui les animent et les inquiètent, en ce début d’année?
Laurent Letourmy : Nous sommes largement sortis de la période des POC. Aujourd’hui, ces dirigeants viennent nous voir pour deux sujets. Le premier est le déploiement massif de solutions autour de la data, dans l’objectif d’avoir une empreinte très profonde dans de nombreux métiers au sein de leur entreprise. Et pas uniquement au niveau marketing. Les équipes CRM, retail et marketing sont intimement persuadées que la data client va toucher d’autres métiers, comme les achats, l’approvisionnement, la logistique, les stocks. C’est très différent d’il y a quatre ans où les entreprises voulaient se convaincre qu’avec la data client elles pouvaient avoir un impact essentiellement marketing sur le business.
:: Donc le customer centric imprègne toute entreprise
Oui, nous sommes en train d’opérer des déploiements massifs de plateformes clients pour de grands retailers. Je le comparerai, pour ceux qui ont connu cela, à l’arrivée des ERP. Il y a 30 ans, toutes les entreprises ont décidé de faire de l’informatique et de l’ERP la colonne vertébrale processus et produit de l’entreprise. Certes il y a eu des croissances d’entreprises et des pilotages financiers extraordinaires, mais pour l’essentiel, on ne s’est pas occupé du client. Aujourd’hui, nous entrons dans le vrai début de la création massive et à grande échelle des plateformes clients, pour le marketing et pour tous les autres métiers de l’entreprise.
:: Quel est le deuxième sujet?
Les développements internationaux. Les grandes enseignes qui ne sont pas encore à l’international choisissent leurs modèles, leurs partenaires et leur plateforme – qui doit être réplicable à l’étranger – et leur mot d’ordre est « On y va ». Avec comme objectif un déploiement profond et impactant.
:: Quoi d’autres?
Nous assistons aussi à une volonté de la part des retailers de s’entourer de partenaires technologiques, mais aussi d’internaliser beaucoup de sujets liés à la data. Je ne parlerai pas de transfert de compétence, mais d’une cohabitation entre projets internes et solutions externes.
« Parfois, nous devons expliquer à nos clients que l’on ne met pas son référentiel client dans un outil de marketing automation »
:: N’est-ce pas préjudiciable aux entreprises comme la vôtre?
Bien au contraire ! Il y a des acteurs sur le marché qui disent savoir tout faire. De temps en temps, nous devons expliquer à nos clients que l’on ne met pas un RCU ( ndlr: Référentiel Client Unique ) dans un outil de marketing automation, un outil conçu pour orchestrer les campagnes. Le RCU, c’est la base de données clients, la mémoire de l’entreprise. Quand on construit une plateforme, le front-end est souvent confié à des acteurs du SaaS tandis que l’entreprise, et c’est nouveau, cherche de plus en plus à garder la maîtrise de son back-end, notamment sa base de données clients. Donc nous assistons à une ré-internalisation de trois sujets.
:: Les entreprises ont-elles les ressources internes – humaines et technologiques – suffisantes pour conduire cette internalisation?
Pas nécessairement. C’est la raison pour laquelle nous allons dévoiler au Salon Big Data Paris , les 9 et 10 mars prochain, une suite unique d’offres de services afin que les entreprises puissent prendre la maîtrise de trois sujets stratégiques sur la data : un référentiel client unique, une segmentation RFM Omnicanale et une analytique mix web et magasin.
:: Que proposez-vous au juste?
Customers, le nom de notre suite, s’adresse aux entreprises qui possèdent des bases de données clients supérieures à 1 million d’entrées. Les responsables CRM, de l’expérience client ou encore les CIO sont les premiers intéressés pour maîtriser cette donnée client qui est souvent partout dans l’entreprise, mais finalement nulle part.
Customers n’est ni un produit SaaS ni une prestation « à l’ancienne », du soit disant RCU quand ce ne sont que des projets de bonnes vieilles SSII classiques. C’est un portfolio de 3 solutions: le référentiel client unique, avec un « Golden record » web et magasin unique par client, un moteur de segmentation RFM Omnicanal et un Dashboard Client.
Ces solutions sont déployées et gérées sur le cloud de nos clients. Nous leur transférons des modèles de données, des formats pivots pour l’alimentation des données, des design d’architectures cloud-native et du code testé, prouvé et scalable. Avec Customers, nos clients sont à même de déployer un RCU ou une solution de segmentation robuste et industrielle en quelques semaines au lieu de quelques mois.
:: Quel est le modèle économique?
Parce que nous avons déjà développé les solutions, ne reste plus que l’intégration proprement dite sur le cloud du choix de nos clients, ainsi que les développements Custom à réaliser. Les projets coûtent donc environ 3 à 5 fois moins chers et sont déployés en quelques semaines uniquement. Les coûts clients sont aussi donc très majoritairement en Capex, ce qui est très recherché dans le retail.
:: Considérez-vous que les retailers français soient en retard dans leur démarche client, ce qui pourrait expliquer une partie des difficultés actuelles du secteur?
Détrompez-vous, les démarches de customer centricity des retailers français sont considérées par les autres industries comme très en avance. Je discute de plus en plus avec des entreprises du BtoB. Elles ont désormais des sites web, des outils de CRM et du marketing automation, et elles se posent les mêmes questions que le retail BtoC: « Est-ce que mes clients sont omnicanaux? Comment je fais pour mixer le digital et les forces commerciales physiques? ». Ysance s’est transposé de manière absolument incroyable sur le BtoB, qui nous voit comme les experts de la data omnicanal, parfaitement applicable au BtoB
« L’acceptation du marché pour l’IA est très forte »
:: Il y a 10 ans, vous prôniez avant tout le monde la réconciliation du online et du magasin. Aujourd’hui tout le monde s’y met. Quelle avancée majeure voyez-vous en retail sur les deux à trois ans à venir?
L’IA. Lors de la phase des POC, il y avait beaucoup de réticences sur l’IA. Tous les tests ne sont pas des réussites – c’est l’essence même des tests – mais toutes les personnes qui ont expérimenté en arrivent à la même conclusion aujourd’hui : le volume de données ne peut pas être adressé par autre chose que de la technologie et de l’IA. L’acceptation du marché pour l’IA est très forte. La question n’est plus « Faut-il faire de l’IA? » mais « Concrètement comment m’en servir? ». Il faut aussi reconnaître qu’au fur et à mesure que les années passent, que les téléphones se perfectionnent, et que les voitures sont de plus en plus autonomes, l’IA rentre dans l’inconscient collectif, et facilite donc son acceptation en entreprise.
« L’IA a besoin de données fiables »
:: Et ceci malgré le contexte français du RGPD?
La loi sur la protection des données personnelles a fait réaliser à tout le secteur que toute donnée ne doit pas être utilisée sans accord, quoi de plus normal à la fin? Cela a permis de poser la limite. Du coup les entreprises se concentrent sur les données de leurs clients, qu’elles apprennent à mieux connaître et sur lesquelles le “deal” gagnant-gagnant se comprend mieux. Des données qui heureusement sont plus fiables comparé à une simple visite sur un site web. Et l’IA a besoin de données fiables.
A nous de proposer une intégration de l’IA et de la data transparente et utile. Si en tant que consommateur, j’hésite entre deux costumes et que j’ai un vrai moteur de recommandation qui me comprend, me connaît et en qui j’ai confiance, j’aurai la satisfaction de trouver quelque chose qui me va bien.
Le consommateur n’est pas contre le fait d’être aidé, d’ailleurs un vendeur en magasin aide et influence. Un vendeur possède aussi sa propre IA: il nous demande si on veut de l’aide, il nous regarde, il essaye d’évaluer notre capacité à acheter maintenant ou plus tard, notre besoin de conseil, de réassurance. L’objectif final étant que le consommateur soit satisfait.
:: Pourtant l’IA fait encore l’objet de beaucoup de défiance
C’est normal. C’est ainsi pour chaque nouvelle technologie. Prenez l’exemple, il y a 10 ans, du cloud qui n’existait pour ainsi dire pas. Je faisais des conférence sur le sujet avec Werver Vogels, le CTO d’Amazon Web Services: tout le monde critiquait, en pensant que cela ne marcherait jamais, surtout de la part d’un « vendeur de livres ». Aujourd’hui, il suffit juste de compter le nombre de projets qui ne démarrent pas dans le cloud.
Et puis les Gafa, quoi que l’on en pense, ont un temps d’avance en terme d’innovation et montrent la voie en terme d’industrialisation de l’IA. Lorsque l’on a une messagerie Gmail, nous sommes bien content d’avoir un filtre anti spam qui fonctionne bien. C’est une IA derrière. La même chose pour un correcteur orthographique pertinent.
:: Vous et vos équipes sont très engagés dans le respect d’une communication responsable. Comment expliquez-vous que les retailers continuent à investir fortement sur des canaux que les consommateurs disent eux-même rejeter, comme l’a souligné Sucharita Kodali, VP de Forrester, lors de la conférence NRF à New York?
Parce que cela marche, très probablement. Mais reconnaissons aussi que nous sommes là en plein paradoxe, avec un consommateur qui ne veut pas partager ses données, mais qui publie sa vie et les photos de ses enfants sur Facebook, sachant que cela pourrait se retourner contre eux dans un jour futur. La personne qui n’aime pas la publicité dans une vidéo paierait-elle 15 euros par mois pour regarder Youtube sans publicité?
“ Avec la transformation du Groupe Rocher en entreprise à mission, Bris Rocher est très certainement un grand homme de l’industrie de demain “
:: Quelles initiatives ou retailers ont particulièrement retenu votre attention ces derniers mois?
Le secteur du luxe. Lui qui a toujours fonctionné sur la recette “ Je crée des produits et des marques et ils se vendent grâce à un marketing extraordinaire ” investit très lourdement aujourd’hui dans la data client, avec des déploiements mondiaux de technologies Cloud.
Egalement, je ne peux que saluer toutes les initiatives qui font tomber des barrières internes. Dans les enseignes Mulliez, par exemple, la box Enki proposée par Leroy Merlin sur le marché de la maison connectée, est aussi vendue dans des magasins des réseaux Auchan et Boulanger. Cela n’a rien d’anecdotique.
:: D’autres retailers?
Le groupe Rocher avec sa transformation en entreprise à mission en décembre dernier. Le fondateur du groupe, Yves Rocher, a créé un modèle unique. Bris Rocher, son petit-fils aujourd’hui à la tête du groupe, est très certainement un grand homme de l’industrie de demain. La manière dont il a opéré cette transformation, en étant l’une des premières très grandes entreprises à avoir adopté ce statut, est extrêmement visionnaire, courageux, brillant et ambitieux, dans un groupe dont le chiffre d’affaires dépasse maintenant les 2,5 milliards d’euros.
( ndlr: Dans son discours aux salariés, Bris Rocher a conditionné le développement du groupe à l’adoption de ce statut : « La mission de l’entreprise est devenue aujourd’hui aussi importante que l’entreprise elle-même. Il ne s’agit pas d’être la meilleure entreprise du monde, mais la meilleure entreprise pour le monde »).
:: A NRF, certains ont estimé que le Recommerce était le futur du Retail. Pensez-vous que ces formes de retail alternatif (location, achat de seconde main, recyclage, etc) sont amenées à prendre une part importante du commerce?
Evidemment. Et cela touche tous les secteurs, pas seulement la mode. Cela fait 10 ans que la société Recommerce group a créé une plateforme construite sur une IA qui permet le reconditionnement et donne une seconde vie aux mobiles.
Soyez notifié de l’interview prochain de Pierre-Etienne Roinat, co-fondateur et CEO de Recommerce, en en faisant la demande ici.
:: Où en est Ysance, presque 18 mois après le rachat de Mazeberry?
Les offres sont intégrées et les offres SAAS connaissent un très vif succès, nous avons signé de très nombreux nouveaux logos en 2019 et sur ce début d’année qui en attestent. Nous sommes très satisfaits de la stratégie de consolidation entreprise avec cette première opération et n’allons pas nous arrêter là. Nos offres SaaS n’ont “que” 5 ans, et toute l’équipe peut-être extrêmement fière du travail réalisé. Nous passons à l’étape suivante de notre développement avec de très belles annonces à venir.
:: Tout en recommandant aux retailers d’internaliser leurs sujets ultra stratégiques. N’est-ce pas paradoxal?
Certains sujets s’externalisent. Je pense qu’on ne recrée pas en interne un outil de marketing automation, on utilise un outil du marché. Mais est-ce qu’une entreprise outsource sa Finance ? Non. De même, elle ne doit pas outsourcer l’intelligence autour de la relation client.
Pour nous, certaines fonctions coeur, comme l’est le RCU client, doivent être hébergées et gérées chez le client. Souvenez-vous des débuts du e-commerce? Beaucoup d’entreprises ont outsourcé leur e-commerce pour réaliser ensuite que c’était un sujet stratégique à rapatrier en interne. Sur la data client, nous assistons à la même chose. Et c’est pour cela que nous avons créé Customers: pour aider les retailers à reprendre la main sur leur asset le plus précieux, leur base de données clients.
Pour en savoir plus
- Laurent Letourmy
- Ysance
- Salon BigData Paris : 09 et 10 mars au Palais des congrès. Inscription https://hubs.ly/H0mS7910
- Ysance sera au Salon BigData (stand A62) et organise une plénière avec Vincent Boniakos, Head of Digital / CTO de la Compagnie des Alpes le 10/03 à 14h40 dans Grand Amphithéâtre. https://hubs.ly/H0mW8Nk0
La contributrice:
Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse « go-between » France et USA, fondatrice de Customer Insight.
A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.
Laurence est l’une des expertes retail et beautytech de FrenchWeb, vous pouvez régulièrement retrouver ses analyses, et interview sur Decode Retail
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