Usages médias: les grandes tendances dans le monde en 2020
Par Cyrille Frank, fondateur de Mediaculture.fr
Comment évoluent les usages mondiaux en matière d’information en 2020 selon Reuters ? Instagram, Snapchat et Tik Tok séduisent les 18-24 ans, la défiance envers les médias s’accentue… les messageries et les podcasts prennent plus d’importance. Voici les principaux enseignements de ce long rapport.
Comme chaque année, Le Reuters Digital News Report 2020 est très riche ! Les 80 000 personnes interrogées dans 40 pays révèlent de nombreuses particularités locales, mais aussi des tendances communes.
Sur la durée, le déplacement d’usage des médias traditionnels vers le web et les réseaux sociaux est net, même si la crise du coronavirus et le confinement ont redonné une vigueur à la TV (et accentué les difficultés de la presse).
Dans la plupart des pays, les journaux locaux et leur site web sont la principale source d’info locale (44%), mais Facebook représente désormais un tiers des usages de ce type (31%), surtout auprès des 18-24 ans. On peut dès lors se demander si les journaux locaux n’en font pas trop sur Facebook qui est très puissant pour générer du trafic, mais représente une concurrence certaine.
En réalité il faut changer les pratiques et se servir davantage de Facebook comme outil marketing pour faire savoir sa valeur, mais pas la donner gratuitement sur ce canal.
Globalement, à l’échelle mondiale, les citoyens trouvent que les médias ont plutôt bien informé durant la crise du Covid-19, à l’exception notable des USA, peut-être perturbés par un président inconséquent et un network TV complaisant (Fox News).
Instagram, Snapchat et Tik Tok ont renforcé leur rôle d’information auprès d’un public jeune (18-24 ans), particulièrement durant la crise du coronavirus.
Le déclin de confiance en les médias est mondial
La tendance sur l’année montre un déclin de confiance en les médias partout dans le monde. Ce qui traduit plus une défiance en les institutions et politiques qu’une remise en cause des médias eux-mêmes.
Un déclin de crédibilité confirmé chaque année en France par le baromètre Kantar-La Croix, avec des différences notables par type de média, la radio et la presse étant mieux considérés (mais en déclin quand même).
Si l’on en croit le rapport Reuters les Français seraient parmi les plus sceptiques du monde vis à vis de leurs médias ! (23% de taux de confiance « la plupart du temps » juste devant la Corée à 21%).
La crise du coronavirus a aussi accentué l’inquiétude des citoyens vis à vis de la désinformation provenant des réseaux sociaux des sites web et des messageries, avec des différences selon l’usage de telle ou telle plateforme par pays.
Le rapport note toutefois très justement que si les RS ont contribué à diffuser certaines rumeurs et fakes, il ne faut pas oublier le rôle des politiques et médias qui ont contribué à les diffuser à un public plus large.
La neutralité journalistique en recul?
Intéressant mais à creuser. Les Français seraient parmi les moins friands de neutralité en matière d’information. Est-ce la lucidité de comprendre que cette neutralité est illusoire, ou le fait que cette dernière rime souvent avec certaine lâcheté éditoriale ? L’absence de parti-pris est aussi une façon de dire : débrouillez-vous et de ne pas assez creuser les sujets.
Point passionnant, à creuser là aussi. Il y a une différence vis à vis de la neutralité et l’ouverture aux opinions contraires selon l’âge. Les plus jeunes semblent à la fois les plus ouverts et les moins sensibles à cette neutralité.
L’attitude des 18-24 ans vis à vis de l’information est ambivalente. Ils se tournent en période de crise vers des médias traditionnels. Mais ils sont aussi friands aussi d’histoires « authentiques et puissantes » (sur les réseaux sociaux et le web). Ils ne sont pas convaincus par les « débats faussement équilibrés ».
Les réseaux sociaux premier canal d’info des 18-24 ans
L’accès à l’information par les réseaux sociaux continue de progresser auprès de tous les publics. Ce canal d’info est désormais le premier pour les 18-24 ans à 38% d’usage sur cette cible (et +12 points par rapport à la moyenne des usagers).
Les réseaux sociaux dominants pour s’informer sont Facebook et Youtube, mais on constate une nette progression de la messagerie WhatsApp et d’Instagram. Twitter retrouve de la vigueur depuis un an (améliorations UX notables ?).
En France, l’agrégateur le plus puissant est Google News auprès de qui 20% des mobinautes s’informent, soit quatre fois plus qu’avec Apple news.
Newsletters en baisse, podcasts à la hausse
L’usage des notifications mobile semble décliner légèrement en France (14% à 13%), mais moins que les newsletters qui subissent une chute de sept points en deux ans ! Sans doute l’excès de newsletters, trop verbeuses et redondantes des contenus web.
L’usage des podcasts progresse vite (sauf durant le confinement qui a vu leur consommation chuter de 20%). 26% des Français en ont écouté durant le mois écoulé. Et beaucoup plus chez les 18-24 ans (43%).
Le critère déterminant du type de média préféré pour les news n’est pas tant l’âge, que le niveau d’instruction. Les jeunes de niveau scolaire supérieur préfèrent l’écrit à la video, car le texte leur donne un contrôle supérieur (lecture en diagonale, survol rapide).
Les infos se consultent de plus en plus sur mobile
L’usage mobile pour s’informer poursuit son développement depuis 2013. Il atteint près de 60% de la population en France (moyenne de 69% dans le monde). Un usage qui favorise la consommation de videos courtes et de podcasts via des plateformes tierces.
L’usage des enceintes connectées reste encore marginal en France (4%) et s’il atteint 19% au Royaume Uni, la progression de leur utilisation dans le monde semble ralentie en 2020, mais à suivre…
Les médias payants se développent, le gratuit recule
La crise et le confinement ont dopé les abonnements en ligne, pour plusieurs raisons :
▶️ Besoin d’infos fiables en ce moment d’inquiétude maximum
▶️ Pénurie de l’offre papier avec problèmes de distribution
▶️ Les promos fortes des supports eux-mêmes
Sur la durée, on note une progression du nombre d’abonnés en ligne qui est parfois liée au contexte politique (élection de Donald Trump, Brexit) mais aussi au durcissement des paywalls et l’accès aux contenus gratuits.
Ce qui pose la question de l’inégalité d’accès croissante à l’information, qui inquiète différemment selon les pays. Problème que je soulevais il y a déjà trois ans.
D’un point de vue business, l’examen international des stratégies d’abonnement confirme la règle du « the winner takes all », avec une majorité de lecteurs ne possédant qu’un abonnement payant, tourné vers une marque média dominante.
Le modèle de soutien par dons et le « membership » émerge mais reste marginal (1 à 4% de la population). Il se concentre sur des marques médias très fortes (The Guardian) et souvent engagées politiquement (notamment à l’extrême droite).
Quelle stratégie adopter pour promouvoir son modèle d’abonnement?
Autre point très intéressant du rapport : pourquoi on s’abonne à un support en 2020 aux UK et USA ?
▶️ Un meilleur contenu que ce qui est gratuit
▶️ Un accès pratique et agréable
▶️ Un soutien à une cause
▶️ Une offre promotionnelle
La valeur perçue peut provenir de produits externes à l’info, en particulier divertissants ou pratiques. Ex : les recettes ou mots-croisés qui soutiennent le recrutement d’abonnés du NYT. Cela me rappelle ce que j’écrivais en 2012.
Près de 50% des lecteurs accédant gratuitement à un titre se disent prêts à payer, s’il devient payant. Cela plaide pour un recrutement en deux temps : accès gratuit contre e-mail / durcissement du paywall pour ceux qui le consultent beaucoup.
Beaucoup en revanche ne semblent pas prêts à payer pour de l’info (40% aux USA, 50% au Royaume-Uni).
▶️ Faible intérêt en l’actualité
▶️ Accès suffisant aux infos gratuites
▶️ En Norvège, où le gratuit est beaucoup plus restreint, seuls 19% de la pop est rétive au payant
De ce point vue, la désaffection croissante vis à vis de l’actualité en général qui ne rassure pas sur les modèles d’affaire de la presse.
Pas plus que la défiance en les médias et journalistes, au coeur de la question de leur survie, comme je l’écrivais ici.
La proximité, au coeur de la confiance en l’information
Les médias ne sont pas tous logés à la même enseigne. Les médias locaux en France bénéficient d’une grande confiance de la part de la population, parmi les plus élevées au monde.
Alors que la TV est le canal qui suscite le plus de suspicion (tout en étant le plus consommé). On pense bien sûr aux chaînes TV en continu qui cumulent vacuité, polémique, erreurs… tout en enregistrant de fortes audiences. Une fois de plus, ambivalence ou schizophrénie du public qui rejette un média dont elle raffole.
Il ne faut pas perdre de vue d’ailleurs que ce public TV (en particulier en continu) est surtout consommé par les moins instruits. D’où la colère des Gilets jaunes à l’égard de BFM/Cnews… qu’ils surconsomment.
Mais le rapport insiste sur la tendance au déclin du nombre de lecteurs de la presse locale (papier) dont la survie dépend de l’attraction d’un public rajeuni via des contenus numériques plus engageants.
La crise du Covid-19 accentue les difficultés de la presse papier et l’urgence des changements structurels nécessaires à sa survie. Il y a toujours de la confiance et une demande des lecteurs. L’an prochain sera décisif et verra aussi le niveau du soutien des gouvernements, ajoutent les auteurs du rapport.
La concentration du paysage informationnel se profile
Pour terminer ce panorama des usages, petit focus sur les médias français. On y constate la domination de la télévision sur la consommation d’actualité (et particulièrement de BFM TV). En ligne, les marques les plus populaires sont 20 Minutes – rare gratuit ayant survécu – plus des marques fortes (Le Monde, TF1…), sans oublier les grands groupes de PQR.
Mais, la courbe d’usage de la TV indique (à l’instar d’autres études auprès des plus jeunes) un déclin tendanciel comme moyen de s’informer. Le web et les réseaux sociaux sont passés devant en termes de couverture. Lire le rapport complet.
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L’expert :
Cyrille Frank (@cyceron) est Journaliste, formateur, consultant – Co-fondateur de Askmedia (quoi.info, Le Parisien Magazine, Pôle dataviz). Formateur aux techniques rédactionnelles plurimédia, au marketing éditorial, au data-journalisme. Consultant en stratégie éditoriale : augmentation de trafic, fidélisation, monétisation d’audience. – Usages des réseaux sociaux (acquisition de trafic, engagement…). Auteur de Mediaculture.fr. Directeur de l’ESJ-Pro Media Paris.
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