Dans les coulisses de la rubrique innovation de Vogue Business
Interview de Maghan McDowell, rédactrice en chef de la rubrique innovation chez Vogue Business, par Laurence Faguer, experte retail et beautytech
Ce fut un moment assez surréaliste. Sur scène, pour la dernière Keynote de la conférence eTailWest fin février à Palm Springs, les responsables en charge du Retail chez les géants de la Tech américaine – Amazon, Facebook, Google, et Pinterest, des personnes qui se disputent généralement les plus gros budgets des annonceurs – chacun dans son fauteuil, échangeant et livrant de nombreux détails de leurs stratégies, comme le feraient des collègues dans une réunion interne. Qui est derrière cet exploit ? Maghan McDowell, rédactrice en chef de la rubrique innovation chez Vogue Business, qui couvre le futur de l’industrie mondiale de la mode. Fan de ses articles qui traite de sujets impactants dans Vogue Business (start-up, capital-risque, outils tech, …) j’ai eu la chance de m’entretenir avec Maghan à Palm Spring. Lisez… et courez vous inscrire à sa Technology Newsletter !
:: Tout d’abord, pouvez-vous nous faire part de votre secret sauce ? Comment avez-vous pu réunir dans votre Keynote «Leaders In Retail Tech And What’s Next» au cours de la conférence eTail West à Palm Springs, les principaux leaders en charge du Retail chez Amazon, Pinterest, Facebook, Google et Conversant Media/Epsilon ?
Maghan McDowell : Je suis d’accord, je pense que c’était réellement un panel très impressionnant. eTail m’aide à réunir de telles personnes pour la conférence. Mais chaque fois que je réunis un panel, c’est vraiment le fruit de longues relations que j’ai avec les speakers. J’ai couvert leurs entreprises pendant peut-être 8 ans. Et je pense qu’il est très important pour ces entreprises de parler aux secteurs de la mode et du retail parce que ceux-ci sont des annonceurs très importants et des industries très importantes pour le commerce. Donc les entreprises de la tech veulent communiquer avec ces groupes.
Et ces speakers viennent parce que j’ai la possibilité de parler à ces deux mondes, celui de la mode et celui de la technologie.
Il y a des journalistes spécialisés dans la technologie, et des journalistes spécialisés dans la mode, qui sont excellents. Je pense que je me situe entre les deux. Il y a très peu de personnes qui sont à l’aise pour parler à ces deux mondes. Ces speakers me font confiance, sans doute.
:: Présentez-nous Vogue Business ?
Vogue Business est une publication en ligne sur l’industrie de la mode, lancée en janvier 2019, qui s’adresse à tous les acteurs de l’industrie de la mode, afin de les aider à prendre de meilleures décisions business. Tout en partageant le nom Vogue, Vogue Business fonctionne comme une entité totalement séparée avec une équipe éditoriale autonome. Nous avons une couverture mondiale, et des informations très fortes sur la durabilité et la technologie. Nous avons une newsletter internationale qui est envoyée trois fois par semaine à l’ensemble de l’audience, et nous publions deux newsletters spéciales en plus – la Sustainability Edit et ma newsletter sur la technologie, la Technology Edit – qui sont deux segments très importants. Nous avons lancé Vogue Business en Chine en décembre, et en mai, nous avons introduit notre premier podcast : The Tech Edit, qui est une extension de ma Newsletter.
« Je suis la voix du podcast Vogue Business Tech Edit ».
:: Et quel est votre rôle en tant que rédactrice en chef innovation ?
Je suis responsable de la newsletter Vogue Business Technology Edit et je suis la voix du podcast Tech Edit. Je me concentre sur le futur : toutes les nouvelles, les technologies ou les outils qui pourraient être pertinents pour le secteur de la mode. Mon travail consiste à les trouver, à les comprendre et à communiquer de la manière la plus utile possible pour l’industrie de la mode.
:: Comment votre travail a-t-il évolué ces derniers mois ?
Le plus grand changement pour moi a été de lancer un podcast hebdomadaire au lieu de me déplacer pour assister à des conférences et à des évènements. C’est quelque chose que les lecteurs demandaient, et comme maintenant tous les voyages sont arrêtés, cela m’a donné le temps de développer un podcast à la place. Chaque semaine, nous invitons quelques experts dans leur domaine pour discuter d’une technologie spécifique. Les interviews sont l’une des parties de mon travail que je préfère, ce qui me permet de partager certaines de ces conversations avec notre audience. Récemment, le CEO global de Tommy Hilfiger s’est joint à un créateur de mode numérique pour parler de la conception 3D, et nous venons d’avoir une conversation entre des dirigeants de Pinterest et de Facebook pour parler de la façon dont la vision par ordinateur change le shopping.
:: J’ai remarqué que votre Newsletter a un contenu exclusif, ce qui est inhabituel pour une newsletter BtoB qui redirige généralement vers le contenu publié sur le site. Est-ce exact ?
Absolument. Vous pouvez vous inscrire à notre newsletter standard ici, à notre édition sur la durabilité ici, ou à mon édition sur la technologie ici. Pour ces deux lettres d’information thématiques, la plupart de notre contenu se trouve sur notre site web, mais il y a aussi des informations que l’on ne trouve que dans ces newsletters. Il y a beaucoup plus de contenus dans ma newsletter que sur le site web. Par exemple : ma rubrique, des news qui je suis particulièrement à ce moment-là précisément, et d’autres choses intéressantes sur l’avenir de la mode et du retail.
« Une technologie que je trouve personnellement la plus passionnante est le modèle de la location dans le retail »
:: En tant que personne profondément liée au retail, quelles sont les technologies ou les business modèles qui vous intéressent, car prometteurs d’un impact fort sur le retail et la consommation ?
Il y a tellement de technologies, mais celle que je trouve personnellement la plus intéressante est le modèle de location dans le retail. Je pense que l’industrie du luxe a été très curieuse de ce modèle. En tant que client, j’adore louer mes vêtements, je trouve cela très amusant.
Très lentement, la mode du luxe commence à comprendre qu’elle peut participer et apporter une valeur ajoutée à ce business.
Je pense aussi que les vêtements digitaux sont très amusants. C’est un concept très différent, mais je pense qu’il apportera simplement plus de créativité et d’individualité. C’est la même chose pour les médias sociaux et Instagram. Ils existent depuis longtemps, mais je pense qu’ils sont toujours très pertinents pour la mode.
Les data et l’intelligence artificielle sont également très importantes pour permettre de personnaliser la façon dont il fonctionne avec le consommateur et pour permettre de réduire automatiquement les déchets. C’est donc mieux pour les entreprises et pour l’environnement.
Et je suis vraiment curieuse de voir les défilés de mode numériques cet été et cet automne, et de garder un œil sur la réalité augmentée.
:: Même pour la mode ?
C’est un très grand défi. Je parle à beaucoup de personnes qui y travaillent vraiment. Nous sommes déjà capables de mettre un canapé dans une pièce. Nous pouvons aussi déjà essayé les cosmétiques, mais je pense que les vêtements vont être un défi intéressant mais très difficile.
:: Et quelles marques ou quels retailers font de grandes choses en ce moment ?
Une entreprise que je regarde en permanence, et qui est toujours très intéressante, est Farfetch : leurs investissements dans des start-ups, dans des chaînes de magasins.
J’ai mentionné le modèle de location, je pense que Rent The Runway est très intéressant et intelligent. Je pense que Gucci fait de très bonnes choses avec la réalité augmentée. Louis Vuitton a fait des choses intéressantes, ils ont fait un jeu vidéo avec des vêtements, que je trouve très cool.
Et il y a une société qui vient de se lancer, The Yes. J’ai fait un reportagesur eux, ils viennent de lever des fonds. Cette société a été créée par Julie Bornstein , qui vient de Stitch Fix. Ce qu’elle fait est très intéressant.
:: En parlant de location, pensez-vous qu’il est important que les retailers proposent un service d’économie circulaire comme celui-ci ?
Je pense que c’est très important. J’ai récemment fait un reportage sur une entreprise qui est une plateforme de vente de sacs à main de luxe et qui travaille sur un moyen de permettre aux gens d’échanger un sac contre un nouveau sac. Ce n’est pas de la location, ce n’est pas de la vente au détail, mais c’est un peu des deux. Le client est moins enclin à acheter un nouveau sac auprès d’une société de luxe. Ces sociétés de luxe sont si lentes à participer, qu’elles vont manquer cette opportunité, au lieu d’être intelligentes en offrant leur propre service de location, ou un quelconque partenariat. En effet, si elles parviennent à garder le client, c’est un meilleur choix que de le perdre à long terme.
:: Vous avez quitté l’Angleterre pour vous installer à San Francisco. Pensez-vous que faire des affaires ici en Californie est différent de ce qui se passe à Londres ?
Oui, j’ai récemment déménagé à San Francisco, et le siège de Vogue Business est à Londres. San Francisco est la meilleure ville pour la technologie, pour cette idée d’adoption précoce et d’expérimentations. Mais ici à San Francisco, nous devons nous rappeler que les autres villes sont peut-être un peu plus lentes à comprendre ou à essayer, mais elles sont aussi importantes.. Je pense que Londres est en fait une ville très importante pour la mode et la technologie ; de même pour Paris, qui investit dans les startups avec la Station F et qui est évidemment importante dans la mode, avec Kering, Louis Vuitton, etc. San Francisco n’est pas aussi forte, historiquement, dans le domaine de la mode. Mais bien sûr, les VC et le capital sont à San Francisco, ainsi par exemple Julie Bornstein avec The Yes est à San Francisco. Sa société est une société de technologie, mais elle change la mode. C’est donc les deux.
« Mon plus grand défi est de ne pas avoir le temps de couvrir tout ce que je veux »
:: Quelle est votre journée de travail type lorsque vous êtes à San Francisco ?
Mon plus grand défi est d’avoir le temps de tout couvrir ! J’ai tellement d’idées et je n’ai tout simplement pas le temps. Je travaille à la maison, ce qui est génial car je peux vraiment me concentrer. Le matin, la plupart de mon travail se fait par téléphone et par vidéo.
Je travaille avec mon bureau de Londres, j’ai des conversations européennes, je travaille aussi en étroite collaboration avec mon rédacteur en chef de New York. Je passe tous mes appels pendant la journée et j’enregistre le podcast tôt le matin une fois par semaine. Ensuite, c’est généralement en fin d’après-midi et en soirée que j’écris mes articles.
:: Comment faites-vous pour suivre ces flux d’innovations venant de partout et réussir à être la première à en parler ?
Tout d’abord, cela m’aide d’exercer ce métier depuis longtemps car les personnes connaissent mon travail et viennent me voir si elles ont des idées. Ou bien des personnes que je connais me posent des questions, ou me disent quelque chose qu’ils trouvent intéressant.
Je lis toutes les news sur la technologie et je me demande : y a-t-il un impact sur la mode ou le shopping, et quel peut-il être ? Je dois faire comme si je travaillais dans une entreprise de mode, et me demander qu’est-ce qui m’intéresserait ? Une chose qui m’aide, c’est d’essayer de ne pas être embarrassée si je pose une question qui semble stupide. Parce que si je ne comprends pas quelque chose, alors le lecteur ne comprendra pas cette chose, et si je trouve qu’une chose est confuse, tout le monde la trouvera probablement confuse. Mais si je trouve quelque chose intéressant, le lecteur le trouvera probablement intéressant.
Je dois donc me fier à mon instinct. Parce qu’au moment où quelque chose est une tendance, il est trop tard pour être le premier à écrire un article à ce sujet. Il faut donc avoir un peu d’imagination, un peu de connaissances du passé pour se demander “qu’est-ce qui sera vraiment important ?” Parfois vous avez raison, parfois vous avez tort, mais vous devez vous faire confiance. Et souvent, je ne suis pas la première à écrire sur une nouvelle technologie, mais j’aime avoir un œil sur tout ce qui se profile à l’horizon et qui pourrait bientôt être pertinent pour la mode.
Quand Facebook ou Apple ont quelque chose de nouveau, vous devez vous demander : “Pourquoi cette entreprise fait-elle cela ? Quelle est sa stratégie ? Comment cela va-t-il les aider à gagner de l’argent ? Parce qu’ils disent toujours « Oh, c’est juste une petite expérience » mais les entreprises technologiques sont très douées pour prédire ce qui dans quelques années les avantagera. Si vous vous mettez dans cet état d’esprit, cela vous aidera à comprendre leur stratégie. Où cela va-t-il nous mener à l’avenir ?
Et je suis toujours à la recherche d’idées, je suis toujours très ouverte et j’encourage les personnes à me contacter si elles pensent qu’il y a quelque chose d’intéressant dans la mode et la technologie. N’hésitez pas !
Pour joindre Maghan McDowell
- Twitter : @maghanmcd
- Linkedin: https://www.linkedin.com/in/maghanmcdowell/
- Vogue Business
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Le contributeur:
Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse « go-between » France et USA, fondatrice de Customer Insight.
A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.
Laurence est l’une des expertes retail et beautytech de FrenchWeb, vous pouvez régulièrement retrouver ses analyses, et interview sur Decode Retail.
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