Laurence FaguerLes ExpertsRETAIL & ECOMMERCE

Pourquoi les marques de beauté devraient accorder plus d’attention au « social selling »

Interview d'Isabelle Rabier, CEO de Jolimoi par Laurence Faguer

Ce que vous allez découvrir 

  • Pourquoi les marques de beauté devraient accorder plus d’attention au « Social Selling ».
  • Comment les choix technologiques faits par Jolimoi replace l’humain au coeur de l’achat Beauté.
  • Comment cette marque d’à peine trois ans permet à une communauté de plus de 1 200 indépendants de générer des revenus.
  • Comment Jolimoi surprend le secteur dans sa démarche pour être toujours plus sustainability.

Une marque du monde de la beauté dans le FW500 2020, le classement des entreprises de croissance de la Tech française établi par FrenchWeb? Absolument. Car bien que le succès de Jolimoi repose sur l’humain -deux personnes qui parlent beauté ensemble!- l’entreprise née digitale se voit, et se vit, avant tout comme une plateforme Tech.

Dans cette franche conversation, Isabelle Rabier, fondatrice et CEO de Jolimoi, revient sur les fondements de cette marque émergente parmi les plus dynamiques de la BeautyTech française, et dévoile une partie de sa « secret sauce » d’entrepreneuse, qui la rend aussi à l’aise au milieu de sa communauté de femmes et hommes inspirants, prêts à nous trouver la routine beauté personnalisée qui nous convient, qu’au milieu d’une armada de data scientistes chevronnés.

La question que tout le monde se pose : comment avez-vous réussi à créer en trois ans une marque de plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires, dans le secteur si compétitif de la beauté?

Isabelle Rabier: J’ai toujours considéré qu’il devait y avoir une meilleure manière d’acheter ses produits de beauté. L’idée de Jolimoi m’est venue en développant ma première marque, Dermance, une marque anti-âge créée en 2010, vendue en direct par un réseau de 250 conseillers beauté et sur le web.

À partir de 2016, j’ai eu des demandes d’autres marques qui souhaitaient rejoindre notre modèle de conseil et de distribution. En parallèle, nos clientes nous disaient vouloir se faire conseiller sur toutes les problématiques beauté -le cheveux, le corps. A partir du moment où elles avaient confiance en leur conseiller beauté, elles voulaient pouvoir lui poser toutes leurs questions beauté. Or Dermance est une marque volontairement très courte -15 références autour de la dermo-cosmétique.

Enfin, j’ai une conviction profonde sur la puissance du modèle peer-to-peer. Cette conviction, ajoutée à des signaux de marché très forts, m’ont fait pensé qu’il y avait un nouveau modèle à inventer. J’ai créé Jolimoi en 2017. La mission de Jolimoi est de proposer une nouvelle expérience de la beauté, en revisitant la manière dont on peut conseiller et accompagner un client sur tous ses besoins en beauté. Plus de 40 marques sont disponibles sur Jolimoi , entre soins, maquillage et accessoires, avec de très belles marques comme Leonor Greyl, M.A.C Cosmetics, Dermalogica, et beaucoup d’autres.

Que proposez-vous de nouveau?

Isabelle Rabier: Nous sommes pure player et Direct-to-Consumer et nous sommes sur le modèle du peer-to-peer. Jolimoi repose sur un triptyque : le client, le Styliste Beauté et la marque.

Sur jolimoi.com, la consommatrice se connecte à un ou une Styliste Beauté – car nous avons aussi des stylistes homme – et elle remplit le questionnaire beauté, le Beauty Affinity. Nous utilisons alors toutes ses données pour aider notre Styliste Beauté à filtrer une première sélection de produits. Ensuite, il y a un échange entre la styliste et la cliente, sur les messageries – Messenger, WhatsApp, Instagram – pour aller plus en avant dans le conseil.

Puis la cliente commande ses produits directement sur jolimoi.com, puisque nous assurons toute la partie transactionnelle, achat et livraison. Nous avons fait le choix de gérer la chaîne logistique, car nous pensons que c’est de notre responsabilité d’être très vigilants sur ce point, vis-à-vis de nos Stylistes Beauté. Je dois dire d’ailleurs que pendant le confinement, notre prestataire Log Vad a été formidable !

Pour acheter, les clients font plus confiance à leurs proches qu’au discours des marques.

Le modèle d’ambassadeur ou Styliste Beauté, avouons-le, n’a pas bonne presse en France. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce modèle?

Isabelle Rabier: Quel que soit le nom qu’on lui donne – marketing de réseau, vente à domicile, social selling – il s’agit du même métier, basé sur la recommandation entre pairs, mais c’est un métier qui a évolué avec la digitalisation et l’expansion des réseaux sociaux. Ce modèle est très développé en Europe et en Asie. En France, il souffre peut-être encore d’a priori. Mais ceci est en train de changer.

Pour acheter, les clients font plus confiance à leurs proches qu’au discours des marques. Même s’ il y a un retour vers plus de transparence, il y a toujours cette défiance vis-à-vis des grandes marques. Le peer-to-peer est un mouvement de fond, d’autant que les conversations ne sont plus cantonnées à nos proches mais passent beaucoup par les réseaux sociaux. Et la beauté se prête bien, nous avons envie d’avoir l’aval d’un pair.

Il n’y a pas de push marketing chez Jolimoi !

« La beauté se prête bien au peer-to-peer, nous avons envie d’avoir l’aval d’un pair »

Comment fonctionne l’algorithme de recommandations?

Isabelle Rabier: Tout est automatisé, et sans aucun biais, si c’est votre question ! [rire]. Nous avons été très vigilants pour que les marques qui travaillent avec nous aient le même poids. Les marques sont screannées – les formules, les bénéfices produits, … – et ces attributs viennent matcher avec les réponses faites par le client lors du questionnaire en ligne. Les marques ne peuvent donc pas nous demander de pousser une marque plutôt qu’une autre. Il n’y a pas de push marketing chez Jolimoi ! C’était fondamental pour nous si nous voulions créer la confiance pour nos clients. L’outil est basé sur la tech et non sur des sujets plus commerciaux. Nous sommes 20 dans l’équipe, dont la moitié sur les parties Tech et Produit, sous la responsabilité de Mathilde Lemée, notre CTO.

Par rapport à de grands groupes internationaux du secteur, que vous apporte le fait d’être digital?

Isabelle Rabier: La Tech est un outil d’amplification de ces rapports de pairs à pairs, profondément humains. Elle nous aide à capter les attentes clientes, à faire une première reco et à apporter tous les outils à nos Stylistes Beauté. Ce sont des passionnés de beauté, mais ils ont besoin d’un outil tech pour conseiller. Offrir un conseil personnalisé est complexe et un conseiller beauté ne peut pas connaître toutes les formules. Nous avons donc créé une plateforme technologique très large et efficace pour professionnaliser cette activité.

Le premier outil Tech est un outil d’aide à la recommandation développé en interne. Sur la base des réponses au questionnaire beauté, des algorithmes vont dans un premier temps comprendre les besoins de la cliente. Pas seulement le type de peau, de cheveux, mais aussi le style de vie, le temps accordé à sa routine beauté, la sensibilité au naturel, au zéro déchet, etc.

La 2ème brique est une appli business, jolimoi Business, une progressive Web App à destination de nos Stylistes Beauté. C’est l’outil au cœur de leur business. Ils ou elles y paramètrent leur mini site personnel hébergé sur jolimoi.com, ils accèdent à la partie profil beauté, aux recommandations, ils suivent et conseillent leurs clients et communiquent sur les réseaux sociaux, dans l’appli.

Enfin, un grand volet eLearning est aussi embarqué dans cette appli. Nos Stylistes Beauté peuvent même se faire certifier et donc gagner en crédibilité auprès de leurs clients. Ils sont attachés à Jolimoi. Travailler chez Jolimoi est une forme de label.

« Dès le premier confinement, en 15 jours, nous avons lancé une Social Academy et avons accéléré sur les outils digitaux pour aider nos Stylistes à conseiller et à vendre en ligne ».

Jolimoi est votre deuxième entreprise. Une plateforme multimarques, et non une seule marque. Qu’est-ce qui a été le plus difficile au départ?

Isabelle Rabier: Au début, on me disait « Mais jamais tu ne pourras signer des grandes marques », notamment en raison du contrat de distribution sélective propre à la France. Je n’ai jamais pensé que cet aspect serait le plus difficile. La distribution est très saturée, beaucoup de marques se créent et peinent à émerger. Et j’avais ces marques qui me contactaient pour pouvoir se faire connaître et être distribuées d’une manière différente.

Le véritable enjeu a été de créer une communauté qui sache conseiller et vendre et qui devienne une vraie alternative pour les consommateurs et les marques. C’est ce que nous avons prouvé en 3 ans. Jolimoi a fêté ses 3 ans en septembre et compte 1 200 Stylistes Beauté. Nous avons eu 400 % de croissance en 2019 vs. 2018, et nous sommes en très forte accélération en 2020 (+500% vs. 2019).

Quand avez-vous su que votre concept prenait vraiment?

Isabelle Rabier : Au début, vous l’imaginez, nous étions en Test & Learn. Nous avons proposé à des personnes de tester des produits de nouvelles marques correspondant à leur profil beauté. Parmi les marques figurait Sabé Masson créée par Isabelle Masson-Mandonnaud, la cofondatrice de l’enseigne qui est ensuite devenue Sephora. Quand Isabelle, bêta-testeuse, nous a dit qu’elle croyait « à fond » au concept, cela m’a donné un bon encouragement !

Instagram

Lorsque l’on visite votre site et votre compte Instagram, on comprend que le succès repose beaucoup sur vos conseillers beauté dont les personnalités font partie de l’attrait de la marque. Comment arrivez-vous à les fidéliser?

Isabelle Rabier : Nous réalisons régulièrement des études qui montrent que nos Stylistes Beauté aiment particulièrement trois choses chez Jolimoi. Premièrement, le multimarques. C’est la possibilité pour elles de faire une recommandation plus crédible. Elles ne représentent pas une seule marque, elles servent un concept, elles sont dans une démarche plus serviciel qu’ambassadrice, en devenant vraiment conseillères. Deuxièmement, l’appli. Pour nous c’est une forme de reconnaissance, car nous avons investi fortement sur la tech et cela est devenu un outil de recrutement et de performance. Et enfin, la formation. Fin uillet, nous avions délivré 300 000 formations, avec un taux de formation du réseau de 80%.

Vos Stylistes Beauté sont des indépendants, n’est-ce pas?

Isabelle Rabier : Oui, nous sommes sur un modèle de communauté d’indépendants, qui ont un statut auto-entrepreneur ou VDI. Nous avons d’ailleurs rejoint l’API, l’Association des Plateformes d’indépendants, co-créée et présidée par Hervé Novelli, ancien Ministre. Je pense qu’un des facteurs clé de succès de Jolimoi est le fait que nous sommes pour nos conseillers beauté une vraie opportunité financière. Nous avons plusieurs Stylistes qui gagnent 6 000 euros par mois, des centaines qui gagnent un smic ou plus, et d’autres encore qui gagnent 200 à 300 euros par mois, car il s’agit pour eux d’une activité de quelques heures par semaine. C’est une fierté pour moi d’avoir réussi notre pari qui était de professionnaliser notre communauté.

Revenons à cette année atypique. 17 mars 2020 : confinement en France. Comment avez-vous aidé vos Stylistes Beauté à mieux passer ces semaines de confinement, les rendant dans l’incapacité de rencontrer leur clientèle en physique?

Avant mars, nous faisions 40% du chiffre d’affaires en physique et 60% en digital. En 15 jours, nous avons amené toute notre communauté en digital. Nous avons lancé une Social Academy et avons accéléré sur les outils digitaux pour les aider à conseiller et à vendre en ligne. Tout ceci a payé, puisque nous avons fait jusqu’à 800% de croissance sur les mois de confinement. Aujourd’hui, le physique n’est toujours pas totalement revenu, nous restons à plus de 90% en digital

Est-ce pénalisant pour aborder 2021?

Au contraire, c’est très porteur. Nous aurons une communauté qui sait parfaitement vendre sur les réseaux sociaux, et qui – je l’espère ! – pourra en plus ajouter le physique.

Parlons Growth Acquisition. Comment se fait l’acquisition clients?

Notre modèle est BtoBtoC. Nous recrutons, formons et outillons nos conseillers beauté qui vont faire la vente, et en tant que plateforme nous encaissons et nous livrons, mais nous ne faisons pas d’acquisition client final. Ce sont les Stylistes Beauté qui, sur leurs réseaux sociaux, vont attirer sur jolimoi.com et faire entrer le prospect dans le parcours et l’expérience Jolimoi. Donc notre coût d’acquisition est le coût d’acquisition de nos conseillers beauté. Ce qui nous importe est la Life Time Value (LTV). Nous rentabilisons l’acquisition d’un conseiller beauté au bout du 2ème mois.

D’où provient votre croissance alors. Du nombre de clients?

Notre croissance passe par le développement de notre réseau de Stylistes Beauté. Un tiers de notre croissance est fait par de l’acquisition payant – Facebook, Instagram, liens sponsorisés – les deux autres tiers viennent de la cooptation, des Stylistes Beauté qui eux-mêmes cooptent d’autres conseillers. Or ce parrainage organique est en hausse, nous avons de plus en plus de demandes, donc mécaniquement notre coût d’acquisition moyen, notre CAC, baisse. C’est un modèle organique très sain, et très intéressant puisque le taux mensuel moyen de repeat est de 45%.

Comment expliquez-vous ce taux de repeat si élevé, alors que de nouvelles marques de soin et maquillage se créent tous les jours, et qu’il y a partout des sollicitations, à commencer par les réseaux sociaux?

L’expérience Jolimoi est très fidélisante. De fait, le client qui rentre dans ce parcours, qui a sa recommandation et sa conversation personnalisée avec son conseiller, s’attache à ce service. Vous recevez votre colis, vous avez une question, vous contactez votre Styliste Beauté qui vous répond. Nos conseillers travaillent tous les jours de la semaine, à des heures décalées du retail ou du service client d’un site. Cette relation est unique et très confortable pour le client.

Côté comportement client, après une année si particulière, quelles tendances voyez-vous s’accélérer sur 2021?

Une tendance actuelle qui m’a beaucoup surprise, et différente des tendances Covid-proof que l’on connaît tous, est le désir du client « de ne rien faire ». Se décharger de tout. Sur notre site, par exemple, le client peut passer sa commande seul, comme il l’entend. Mais dans les faits, il préfère se reposer sur son conseiller beauté. C’est lui qui fait la reco, prépare le panier, que le client valide. On revient à un service VIP, très assisté, où tout est prêt pour le client, qui n’a plus qu’à valider.

Nous lançons en janvier un colis Eco!

Vous avez dû voir que Glossier, aux États-Unis, propose une option « packaging less » suite à la demande de nombreuses clientes. Constatez-vous la même tendance de durabilité en France?

Absolument ! Nous lançons en janvier 2021 un colis Eco. En fait, lors du lancement de notre nouvelle identité en juillet, nous avons aussi renouvelé notre expérience colis, avec un joli papier de soie, des petits stickers, une petite carte, etc. Or à l’unanimité la communauté, tant côté clients que côté Stylistes Beauté, nous a demandé de supprimer ces éléments.

En avez-vous été surprise?

Ce phénomène existait déjà. En recevant un colis trop grand, par exemple, des clientes pouvaient poster sur les réseaux sociaux en nous « grondant ».

L’experte:

Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse « go-between » France et USA, fondatrice de Customer Insight.

A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.

Laurence est l’une des expertes retail et beautytech de FrenchWeb, vous pouvez régulièrement retrouver ses analyses, et interview sur Decode Retail.

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