Huawei: l’infatigable opération séduction en France d’un géant chinois controversé
AFP
« On donne des preuves d’amour à la France »: usine stratégique, investissements massifs… le géant chinois des télécommunications Huawei mène une infatigable opération séduction dans un pays qu’il juge « sûr », malgré la prudence des autorités françaises. Retour à la fin du mois de janvier 2021. A Strasbourg, Huawei organise une conférence de presse, la première depuis l’officialisation de l’installation « courant 2023 » dans la région Grand-Est de sa première usine hors de Chine de production d’équipements pour réseaux mobiles, notamment 5G. Objectif affiché: générer 500 emplois directs à terme, et produire par an l’équivalent d’un milliard d’euros d’équipements destinés au marché européen.
Au même moment dans les couloirs de Bercy, où chaque annonce de relocalisation industrielle est d’habitude célébrée en grande pompe, l’indifférence feinte règne: « Tant mieux pour eux », lâche un haut responsable du ministère de l’Economie. Aucun ministre ne se déplace. Énième illustration d’un dossier à caractère radioactif dans le contexte de guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine et d’accusations d’espionnage, inlassablement démenties par l’entreprise. « C’est révélateur du fil du rasoir géopolitique sur lequel est la France vis-à vis des Etats-Unis et de l’ambassade de Chine. La position choisie est de se tenir à mi-distance: ni trop proche, ni trop loin des deux acteurs », décrypte à l’AFP un connaisseur du dossier sous couvert d’anonymat. Si le Royaume-Uni depuis mi-juillet, et la Suède depuis fin octobre, ont explicitement banni Huawei de la quasi-totalité de leur réseau 5G, la France n’a jamais franchi ce pas.
Sécurité nationale
De très fortes restrictions ont cependant été mises en oeuvre fin août par l’Agence nationale chargée de la sécurité informatique (Anssi), conformément aux dispositifs de la loi « anti-Huawei » du 1er août 2019 visant à prémunir les réseaux français de « risques d’espionnage, de piratage et de sabotage » permis par la technologie 5G. « Les investissements étrangers sont, en général, les bienvenus en France », indique à l’AFP le secrétariat d’Etat chargé du numérique. « Dans le même temps, la France est extrêmement vigilante quant à la protection de sa souveraineté technologique et de ses intérêts stratégiques. Notre cadre législatif et réglementaire permet aujourd’hui de concilier efficacement ces deux impératifs ».
Sans être totalement interdites, les antennes 5G Huawei ont ainsi été éjectées des villes qui abritent des sites sensibles comme Strasbourg, Brest, Toulouse et Rennes, et des coeurs de réseaux 5G, où transitent les données de communications. De quoi susciter l’ire des opérateurs, SFR et Bouygues Telecom en tête, obligés de changer leurs équipements d’ici à 2028 sans bénéficier de compensations de l’Etat, alors que le géant chinois présente « l’offre la mieux disante du marché », selon un dirigeant du secteur.
Malgré l’arsenal législatif indirectement mobilisé à son encontre -les textes ne ciblent pas explicitement Huawei mais concernent « potentiellement tout équipementier dont l’activité pourrait venir heurter les intérêts de la défense et de la sécurité nationale », rappelle-t-on au Conseil d’Etat-, le géant chinois n’a jamais renoncé à séduire l’opinion et les autorités françaises. Non seulement l’entreprise n’a pas engagé de recours judiciaire mais, depuis les restrictions de l’Anssi, son offensive de charme a même redoublé de plus belle pour tenter de conserver ses 20% de part du marché français des infrastructures télécoms.
« Preuves d’amour »
Pour mieux peser en coulisses, l’entreprise s’est attaché mi-septembre les services de Jean-Marie Le Guen, ancien secrétaire d’Etat (2014-2017) et collègue d’Emmanuel Macron au sein du gouvernement de François Hollande. Nommé au conseil d’administration de Huawei France, l’ex-député socialiste a succédé à l’ancien ministre Jean-Louis Borloo. L’une de ses missions? « Aider Huawei à peut-être mieux se faire comprendre dans l’environnement français », explique à l’AFP M. Le Guen, qui estime que la France n’a pas à s’aligner sur la position « exagérée » du gouvernement américain. Jusqu’à souffler directement à l’oreille des ministres et des parlementaires? « Je ne m’interdis rien, répond-il. Mon rôle est de faciliter le rapprochement des points de vue d’un côté ou de l’autre. »
Au-delà du lobbying, Huawei entend davantage marquer les esprits en multipliant les investissements en France, où il est présent depuis 2003: ouverture d’un centre de recherche à Paris en octobre dernier, officialisation en janvier de l’installation de son usine du Bas-Rhin. Hormis des élus locaux, comme le président LR de la Région Grand Est Jean Rottner, les deux événements n’attirent pas de représentants du gouvernement. L’expression d’une défiance dissimulée? « Quand on a ouvert le centre (de recherche) Lagrange, on a eu une intervention très chaleureuse de Valérie Pécresse (présidente LR de la Région Île-de-France) », rétorque Jacques Biot, ancien président de Polytechnique (2013-2018) qui préside le conseil d’administration de Huawei France depuis octobre. « On donne des preuves d’amour à la France, et ça nous va très bien », a-t-il aussi dit fin mars. Dernière « preuve » en la matière: la promesse de « plus de 5 milliards de dollars (4,2 milliards d’euros) » de commandes auprès de ses 300 prestataires locaux « dans les quatre à cinq ans à venir ».
Tacle de Griezmann
Un revers inattendu, juste avant les fêtes de fin d’année, a toutefois écorné auprès de l’opinion l’opération séduction à grands frais. Le footballeur Antoine Griezmann, ambassadeur de la marque depuis 2017, annonce sur Instagram qu’il met « un terme immédiat à (son) partenariat », invoquant des « forts soupçons » sur la participation de Huawei à la surveillance de la minorité musulmane ouïghoure par les autorités chinoises, ce que dément l’entreprise. La star des Bleus, suivie par 50 millions de personnes sur les réseaux sociaux, appelle « Huawei à ne pas se contenter de nier ces accusations mais à engager au plus vite des actions concrètes pour condamner cette répression de masse ».
Fin mars, une manifestation à Strasbourg d’environ 150 personnes dénonçant les liens entre le champion des télécoms et Pékin a aussi terni la lune de miel affichée avec la Région Grand Est et poussé les élus locaux à adresser des messages de fermeté. Dans sa réponse à une lettre ouverte des manifestants consultée par l’AFP, Jean Rottner se dit lui « aussi préoccupé » par la situation des Ouïghours et annonce un « moratoire » de la Région sur les « coopérations à venir avec la Chine ».
S’il admet que « ces campagnes de dénigrement » nuisent « à l’image » de Huawei en France, Jean-Marie Le Guen se dit convaincu que « ces pressions vont trouver leurs limites parce que le temps passe, et les preuves sont de plus en plus évanescentes ». « Puisqu’on parle beaucoup de bénéfices/risques en ce moment, je pense qu’on va s’apercevoir que le bénéfice de la coopération avec Huawei est infiniment supérieur au risque présumé agité par certains», ajoute-t-il. Une manière d’affirmer que le controversé Chinois n’entend rien lâcher pour conquérir les décideurs français.
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