Management et expérience collaborateur: les soft skills ne font pas tout
Une tribune de Bertrand Duperrin, Head of People and Delivery pour Emakina
Parmi tous les leviers de l’expérience employé, un des plus sous exploité est le manager ! D’abord parce qu’on se méprend sur son rôle, qu’on pense trop à ses qualités humaines en oubliant son impact opérationnel, et ensuite parce qu’on fait reposer trop de choses sur lui sans vraiment l’aider. L’occasion de rappeler qu’être sympa n’est pas un métier et régler les problèmes des gens est une tâche laborieuse, parfois peu valorisante mais essentielle.
J’avais déjà longuement parlé du rôle du manager dans l’expérience employé à la fois comme étant une partie du problème et une partie de la solution, mais ce billet de Volker Jacobs m’a donné envie d’aller plus loin sur le sujet.
Le manager : un point de contact critique
Je ne surprendrai personne en disant que le manager est un point de contact critique entre le collaborateur et l’entreprise. D’ailleurs, dans mon analyse du 4e baromètre de l’expérience collaborateur, si j’étais surpris par la liste des leviers évoqués par les RH pour améliorer la performance de l’organisation au travers de l’expérience employé (qui est présentée comme le 2nd objectif d’une telle démarche), la place du management ne faisait aucun doute.
On est onboardé qu’une fois, on ne passe pas son temps en formation mais par contre, on est managé tout le temps et les chiffres produits dans l’article de Volker le confirment.
Je pense qu’il manque des éléments car une fois encore le poids des process et de l’organisation me semble oublié, à moins qu’on le mette dans « policy » ou dans « digital workplace », « collaboration app », « intranet/portal ».
Mais tant que je suis sur le sujet, autant rappeler deux choses :
- Les outils ne sont rarement le problème mais l’endroit où ils se voient. Si mettre en place des outils collaboratifs se substituait à une culture, des pratiques bien ancrées, un mode de management adapté, des process adéquats et des modes d’évaluation de la performance qui ne favorisent pas le chacun pour soi, cela se saurait.
- Les outils mentionnés font la part belle à la communication et la collaboration mais il manque les outils métier (ERP, CRM, Gestion de projet, SIRH etc…) dont la complexité et l’expérience utilisateur perfectible ont un impact sur l’expérience et la performance du collaborateur, sans oublier qu’une fois encore ils ne sont souvent que le reflet d’une organisation compliquée.
Mais le sujet de cet article est le manager.
Qu’est ce qu’un bon manager ?
Avant d’aller plus loin on doit déjà se demander ce qu’est un « bon » manager. Posez la question autour de vous vous aurez les réponses les plus diverses selon les personnes et les cultures d’entreprise.
Ensuite, une question se pose inévitablement : parle-t-on d’un bon manager dans l’absolu, un bon manager pour une bonne expérience employé ou un bon manager par rapport à la performance des individus et de l’organisation.
Ma réponse est simple : tout à la fois.
Distinguer un bon manager par rapport à l’expérience employé d’un bon manager en termes de performance est justement la preuve qu’on fait un contresens depuis le début. Cela veut dire qu’expérience et performance s’opposent, qu’il y a une incompatibilité entre « se sentir bien » et « être performant » alors que les deux sont liés.
Pour dire les choses autrement, si on pense qu’expérience et performance ne peuvent aller ensemble, je suggère de tout de suite quitter le monde de l’entreprise pour aller ouvrir un spa ou un salon de massage…et ne pas avoir d’employés.
Un « bon » manager peut être décrit au travers de ce qu’il est et de ce qu’il fait. Cela peut sembler évident mais dans la réalité, ça l’est beaucoup moins.
Les soft skills, l’outil indispensable du bon manager
J’aurais l’occasion de parler plus amplement de l’importance des soft skills pour les collaborateurs qu’ils soient managers ou pas prochainement, mais il est évident qu’elles sont essentielles dans la boite à outil du bon manager.
Savoir communiquer, faire passer ses ménages, ne pas diffuser son stress, savoir expliquer ce qui ne va pas sans blesser pour mettre le collaborateur dans une dynamique positive… bref, faire en sorte que le collaborateur se sente bien avec son manager est essentiel. Cela doit amener à une relation de confiance dans un contexte apaisé.
Mais il ne faut pas réduire le sujet à la simple question de savoir si le « manager est sympa » comme on le fait souvent. Etre sympa est une qualité mais pas un métier !
On ne demande pas au manager d’être sympa mais d’être honnête, équitable, « fair » comme le disent les anglo saxons.
Le manager sympa oublie le négatif pour ne parler que du positif, il évite en général les situations difficiles et, ce faisant, il n’aide pas ses équipes.
Le manager honnête sait adresser les points négatifs pour faire progresser le collaborateur dans un climat de confiance, sans le mettre sur la défensive. Et sait prendre, le cas échéant, des décisions qui peuvent être désagréables mais servent les deux parties à long terme.
S’il suffisait d’avoir des manager sympas pour une bonne expérience employé, pour que jamais les salariés ne soient remis en question, que jamais on ne parle de ce qui ne va pas, pour que jamais le collaborateur ne soit challengé et sorti de sa zone de confort, on recruterait des anciens GO du Club Med.
Le manager qui rend les choses possibles
Je suis intimement convaincu que quand quelque chose se passe bien dans une entreprise, c’est à mettre au crédit des collaborateurs, c’est leur responsabilité. Et quand quelque chose se passe mal, c’est de la responsabilité du manager de régler les problèmes présents et faire en sorte qu’ils ne se reproduisent pas à l’avenir.
Dans l’action, le « bon » manager règle des problèmes et rend les choses possibles. Je sais que pour beaucoup le côté « problem solver » qui implique de mettre les mains à la fois dans l’opérationnel mais surtout dans l’organisationnel n’est pas vu comme valorisant. On préfère être dans l’action et sauver le monde, sauver des projets, plutôt que mettre les mains dans les process, l’organisation, les outils, pour faire en sorte que les choses ne dysfonctionnent plus à l’avenir. On aime valoriser les « doers », moins les « fixers » qui s’inscrivent dans des logiques plus durables et moins dans les coups d’éclat et c’est dommage.
Oui, le manager doit être capable de faire de la mécanique dans les coulisses pour que ses collaborateurs brillent sur scène. A court terme quand une situation est hors de contrôle, à moyen terme pour que cela ne se reproduise plus, à long terme pour développer les compétences du collaborateur.
Mais un manager fait, ou plutôt doit faire, plein d’autres choses
Quel « delivery model » pour le manager ?
Pour faire réussir les autres, un manager a plein de choses à faire. Car encore faut il le préciser, le rôle d’un manager est de faire réussir ses équipes.
Des tâches valorisantes, des tâches obscures, des tâches orientées vers le business, d’autres plus administratives, d’autres orientées vers l’amélioration continue… Et si je devais résumer la croyance générale : il ne les font pas !
En effet si on écoute les collaborateurs, peu sont satisfaits de leur manager alors que si on écoute les managers beaucoup pensent faire un bon travail. Un écart entre les attentes des uns et la compréhension que les autres ont de leur rôle qui n’est imputable à aucun des deux mais le plus souvent à l’entreprise qui laisse la fonction managériale dans le flou le plus total. Oui il y a des des savoir faires, savoir être, des missions, des objectifs mais le « comment » est rarement clair.
Ainsi le manager a tendance à oublier certaines tâches voire ne pas savoir qu’elles lui incombent ou ne pas savoir comment les effectuer. Une grande partie du rôle du manager, notamment lorsqu’on parle des (trop) nombreux process administratifs est informelle, peu ou pas documentée. Mais à la fin c’est le collaborateur qui paie les pots cassés.
Combien de fois ai-je entendu « ah je ne savais pas qu’il fallait faire ça » ou « je ne savais pas comment ». Les tâches qu’implique la fonction managériale dépendant des entreprises, voire au sein d’un entreprise des départements et un “bon” manager dans l’absolu peut se retrouver totalement perdu lors d’une prise de poste.
Dans l’entreprise on a des « delivery models » pour tout sauf pour le management. Comme s’il suffisait de définir une mission pour que la personne concernée sache tout ce qu’elle implique et comment les choses qu’elle implique fonctionnent dans l’entreprise. Cela ne fonctionne pas. Mais c’est un sujet que je traiterai plus en détail.
Mais en parlant d’absence de « delivery model », ce « how-to » auquel le manager peut se raccrocher pour ne rien oublier des actions concrètes qu’on attend de lui on met un point en évidence : le manager n’est lui même pas forcément aidé dans sa mission par l’organisation.
Il est largement acquis aujourd’hui qu‘il n’y a pas d’expérience client sans expérience employé. Il n’y pas, on est en train de le voir, d’expérience employé sans management adéquat, mais il n’y a pas de management adéquat sans « expérience manager ». Le manager ne pourra donner plus à ses équipes que ce l’organisation lui donne.
On peut donc dire que l' »expérience manager » est à la fois ce qui se passe entre le manager et le collaborateur mais également entre l’organisation et le manager.
Quelle expérience pour le manager ?
Sur ce point Volker nous propose aussi les résultats d’une recherche qu’il a mené.
On ne peut pas dire que les managers se sentent pleinement supportés et aidés par l’entreprise et notamment les fonctions support. En plus du fait qu’à priori ils vivent sont confrontés aux mêmes problèmes d’expérience employé que leurs équipes, ils n’ont pas non plus tout le support escompté pour faire leur travail et améliorer les choses pour les équipes en question.
Si je devais résumer les choses : on utilise un mot à la mode, « expérience », mais un mot qui ne doit pas nous faire perdre le sens des réalités. On parle ici d’exigence de qualité et d’excellence opérationnelle. L’entreprise fait une promesse au client, c’est les collaborateurs qui la tiennent, et pour cela ils ont besoin de leur manager. Et, à la fin, le manager a besoin que son organisation le supporte et lui facilite les choses.
L’expérience manager c’est un peu le socle de l’expérience employé.
Les managers responsables mais pas coupables
On a tendance à rendre le manager responsable de beaucoup de maux dans l’entreprise mais il faut bien admettre qu’il ne sont souvent que le résultat d’une culture d’entreprise et une certaine vision (ou absence) de l’organisation et du management. Comme le disait Bruno Metling (ancien DRH d’Orange), les entreprises ont les managers qu’elles méritent.
À l’inverse, de nombreux projets (comme les digital workplace ou la transformation digitale par exemple) qui oublient systématiquement les gens du terrain pour ne parler qu’à des populations privilégiées, l’expérience employé fait l’inverse : elle saute les managers pour aller directement sur terrain. Preuve s’il en est de l’approche trop superficielle et pas assez opérationnelle qu’en ont les entreprises. Bizarrement les entreprises en font trop pour leurs collaborateurs en oubliant de s’occuper du vrai problème : elles-mêmes.
Mais la calinothérapie cela ne fonctionne pas et il faut donner les outils aux managers pour créer l’expérience employé qui fera la différence sur le terrain.
L’expert:
Bertrand Duperrin est Head of People and Delivery pour Emakina, agence digitale présente dans 13 pays. Durant toute sa carrière il a officié au croisement entre la technologie, la mise en performance des talents et la performance de l’organisation. Auparavant il a occupé des postes de directeur dans le monde du Conseil en Management ou dans l’édition de logiciel. Il est également passionné par l’industrie du voyage en général et l’aérien en particulier.
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