Santé mentale: les salariés feraient davantage confiance à des robots qu’à leur manager
Une tribune de Bertrand Duperrin, Head of People and Delivery pour Emakina
2020 a été une année très difficile pour de nombreux salariés et je pense qu’il n’y a pas vraiment besoin d’expliquer pourquoi. Entre sentiment d’isolement, pression accrue, difficultés liées à l’expérimentation du télétravail, leur santé mentale a été mise à rude épreuve.
Les entreprises ont bien compris qu’il était urgent de prendre soin de la santé mentale de leurs collaborateurs. Mais ce que personne n’avait anticipé est que, pour y parvenir, les salariés font davantage confiance à des robots qu’à des êtres humains, et à leur manager en particulier.
Tout cela est la conclusion d’une étude réalisée fin 2020 par Oracle que je vous incite à télécharger et que je vais bien sûr commenter dans cet article.
2020 : annus horribilis
Pour commencer, partageons un état des lieux qui ne surprendra personne : 2020 a été une année très dure pour les salariés. Pour 70% d’entre eux, elle a été la pire année de leur vie professionnelle.
La pandémie et son impact sur le monde du travail a bien sûr eu des conséquences en termes de stress, d’isolement, d’équilibre vie professionnelle/personnelle, absence de socialisation etc.
Mais je note également avec intérêt que 40% d’entre eux déclarent être confrontées à des facteurs de stress quotidiens sur le lieu de travail, tels que la pression exercée pour satisfaire aux normes de performance, les tâches routinières et fastidieuses et les charges de travail impossibles à gérer.
Ce qui met les facteurs que je qualifierai de managériaux et opérationnels au même niveau que les plus importants des facteurs mentaux. Mais on en reparlera.
Si on ajoute à cela que :
- 35% des télétravailleurs disent travailler 10 heures de plus qu’avant par semaine
- 78% des salariés disent que leur santé mentale a été négativement affectée pendant cette période
- 85% des salariés disent que leurs problèmes de santé mentale au travail ont eu un impact sur leur vie domestique
on comprend bien l’urgence qu’il y a à adresser la situation de la part des employeurs d’autant plus qu’au bout du compte 40% des salariés disent que leur productivité a diminué et qu’ils prennent de plus mauvaises décisions au travail.
Les robots mieux placés que les managers pour régler les problèmes de santé mentale
Alors bien sûr autant aller droit au but car c’est le chiffre clé de l’étude : 82% des salariés pensent que des robots supporteront davantage leur santé mentale que des êtres humains.
On n’attendait pas une autre conclusion d’une étude dédiée à l’impact de l’IA sur le travail mais je me garderai de la taxer d’opportunisme : déjà en 2015 je me faisais l’écho d’une autre étude montrant la préférence des salariés pour des robots au détriment de leur manager, et de manière générale, cette étude Oracle s’inscrit dans la continuité d’un certain nombre de signaux faibles qu’on perçoit depuis un certain temps.
On pourrait s’arrêter là, mais le plus grand enseignement de l’étude réside dans la raison pour laquelle les salariés croient au potentiel des robots.
Alors oui, les salariés préfèrent parler à des robots de leurs problèmes de santé mentale car leur avis n’est pas biaisé et qu’ils apportent des réponses rapides à leurs questions. Ce qui est très intéressant, si on lit entre les lignes.
En effet, le fait qu’un robot ne juge pas et garde vos secrets pour lui (encore que…) est vu comme un avantage par rapport à un humain et cela ne surprendra personne. Mais ce qui compte aussi pour les salariés est d’avoir des réponses à leurs questions relatives à leur santé mentale. Et là je pense que leur raisonnement est assez pragmatique : plutôt que parler à un manager qui ne saura pas quoi me répondre ou aura eu une formation à la va-vite pour me donner des réponses basiques, autant parler à un robot qui aura eu les mêmes informations voire procédera à une analyse plus fine.
Moins de câlins, plus de solutions
Le salarié semble avoir une conception très pratique de ce dont il a besoin. Il ne veut pas juste parler, il ne veut pas une oreille pour l’écouter, il veut des réponses, un retour opérationel et concrêt.
Et cela va beaucoup plus loin car lorsqu’on demande aux salariés ce qu’ils attendent d’un robot ils disent, entre autres :
- les aider à prioriser leurs tâches
- remplir les taches administratives fastidieuses
- réduire leur charge de travail
- leur trouver l’information dont ils ont besoin
Cela fait écho à un autre article très intéressant que je lisais récemment sur la santé mentale au travail. On peut y lire entre autres ceci:
« Est-ce que je veux des cours de méditation ? Oui. Mais est-ce qu’ils font bouger le curseur sur les choses qui comptent, qui vont réellement changer la façon dont un employé se sent ? Non ».
ou
« Tout ce que vous avez à faire est de demander à vos employés ce dont ils ont besoin. Ils vous diront : J’ai besoin de travailler moins d’heures. J’ai besoin d’être rémunéré suffisamment pour payer la garde de mes enfants et l’épicerie et pour répondre à mes besoins. J’ai besoin de plus de ressources au travail pour faire mon travail. J’ai besoin de me sentir en sécurité lorsque j’ai besoin de prendre des congés. J’ai besoin de ne pas avoir peur de prendre du retard ».
C’est un point que j’ai été amené à constater sur des sujets liés à l’expérience employé et qui revient logiquement quand on adresse le sujet de la santé mentale en période de pandémie : il y a un vrai fossé entre l’approche de certains experts et de nombreuses entreprises, et ce que veulent les collaborateurs.
Pour les uns, on est dans la calinothérapie. Les salariés ont besoin de parler, de se sentir bien et il faut donc, une fois qu’ils ont fini de travailler, que quelque chose vienne compenser l’impact du travail sur leur santé mentale.
Pour les salariés, cela ne suffit pas. Il ne faut pas compenser ce qui les affecte négativement mais en supprimer les causes. Ils veulent qu’on change leur travail, pas qu’on compense ses effets négatifs. Ils veulent qu’on perce le plafond de verre qui sépare les initiatives qui touchent à la périphérie du travail de celles qui constituent le cœur du flux de travail. Cela se situe dans la logique de ce que je soulignais au début de cet article : plus que les sujets vraiment «mentaux», les salariés se plaignaient des sujets vraiment liés aux conditions et modalités opérationnelles du travail.
Et plus que l’intérêt manifeste pour les robots, c’est ce que je retiendrai de cette étude. Les salariés ne veulent plus d’un traitement « soft » des questions liées à la santé mentale qui reviendrait selon mon expression favorite à « construire un sauna à côté de la salle torture ». Ils veulent qu’on s’occupe vraiment de ce qui se passe dans la salle de torture.
L’expert:
Bertrand Duperrin est Head of People and Delivery pour Emakina, agence digitale présente dans 13 pays. Durant toute sa carrière il a officié au croisement entre la technologie, la mise en performance des talents et la performance de l’organisation. Auparavant il a occupé des postes de directeur dans le monde du Conseil en Management ou dans l’édition de logiciel. Il est également passionné par l’industrie du voyage en général et l’aérien en particulier.
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