Laurence FaguerLes ExpertsRETAIL & ECOMMERCE

Comment transformer le marketing relationnel dans le retail?

Interview de Stéphane Amarsy, CEO et fondateur de D-AIM, par Laurence Faguer, experte retail et beautytech

Avec une telle proposition -réduire le temps de production des campagnes de 70% et utiliser le temps libéré à créer des centaines voire des milliers d’opportunités de communication- il n’est pas étonnant que l’éditeur de logiciel D-AIM ait convaincu de nombreux clients nationaux et internationaux en moins d’un an.

« Les early adopters ont compris », me dira Stéphane Amarsy, le CEO et fondateur de D-AIM durant l’interview. « Eux-mêmes savaient qu’ils arrivaient au bout du chemin et qu’il fallait passer à autre chose pour être les champions de demain ». 

Rencontre avec un entrepreneur inarrêtable qui depuis trois ans réécrit avec ses équipes une nouvelle page de son entreprise – et du Marketing tout court.

INTERVIEW

Stéphane Amarsy, D-AIM

Décoder l’Individuation Marketing®, l’approche du marketing relationnel inversé de D-AIM

PIVOT STRATÉGIQUE EN 2017

Laurence Faguer :   Bienvenue, Stéphane ! Tout d’abord, expliquez-nous le pivot stratégique que vous avez effectué il y a trois ans, l’un des plus beaux exemples de nos métiers. Nous aimerions savoir ce qui vous a poussé à créer D-AIM, à partir de l’agence de conseil en marketing relationnel que vous aviez co-fondé en 2001 ?

Stéphane Amarsy : Cette idée a germé en 2017. J’ai réalisé qu’avec l’arrivée de l’intelligence artificielle et des capacités calculatoires, notre activité allait péricliter. Je ne savais pas à quelle échéance, dans 5 ans, dans 10 ans, mais j’avais cette vision. J’ai écrit le livre « Mon directeur marketing sera un algorithme, L’intelligence artificielle remplacera-t-elle les marketeurs ? » pour partager cette expérience et, plutôt que de subir ces changements, j’ai décidé d’être acteur. Nous nous sommes lancés à fond dans une transformation majeure, en automatisant tous nos savoir-faire dans la chaîne de valeur, de la connaissance client à la prise de décisions opérationnelles, et nous avons changé radicalement l’approche de Relation Client.

Il fallait marquer une rupture par rapport à ce que nous faisions depuis des années, tant vis-à-vis de l’interne que de l’externe. J’ai donc décidé de créer une marque, D-AIM, pour notre solution SaaS 100% automatisée de marketing d’individuation.

Automatisation et Relation Client, n’est-ce pas contradictoire ?

C’est tout le contraire ! Aujourd’hui le marketing n’est qu’un compromis. Imaginons que nous testions une couleur en A/B testing dans un email et que 55% des répondants préfèrent le bleu au rouge. Nous allons faire du bleu. Et nous acceptons d’insatisfaire 45% des personnes. Cela s’appelle un compromis.

Certes, mais franchement, comment faire autrement ?

Et si nous faisions sauter cette limite humaine ? Elle est à mes yeux clairement définie par notre incapacité en tant qu’humain à prendre plusieurs décisions à la fois. Nous sommes créatifs, sociables, nous communiquons formidablement bien. Mais quand il s’agit de prendre des décisions, nous ne sommes pas les meilleurs. Aujourd’hui une équipe marketing passe 85 % de son temps à faire de la production. Faisons en sorte que, grâce à l’automatisation, la production ne prenne que 15 % du temps et que les 85 % restantes soient consacrés à la créativité, à l’imaginaire, à l’expérience du consommateur.

C’est un gros défi technologique, cela oblige à concevoir le marketing différemment et à s’organiser différemment, mais cela fonctionne.

Credit: D-AIM

PARTIR DU CLIENT PRIS INDIVIDUELLEMENT

Comment vous y prenez-vous ?

Stéphane Amarsy : J’inverse le marketing. Aujourd’hui chaque campagne fait l’objet d’un compromis entre la proposition de valeur et les clients que je vais contacter. Faisons sauter cela ! On inverse le modèle, on part du client, unitairement. Tout a changé.

Ce que nous proposons, c’est de partir du client et de nouer une relation unique entre un consommateur et une entreprise, de manière éthique, sans perdre de vue bien sur l’objectif business de l’entreprise. Ce n’est pas de la personnalisation, ni de l’hyper personnalisation. C’est de l’Individuation Marketing®, c’est-à-dire la capacité à dédier un marketeur virtuel à chacun des clients pris individuellement.

«Ce que nous proposons c’est de partir du client et de nouer une relation unique entre un consommateur et une entreprise, de manière éthique, sans perdre de vue bien sur l’objectif business de l’entreprise.»

N’est-ce pas une forme de personnalisation ?

Stéphane Amarsy : La personnalisation part de l’entreprise vers le client. L’entreprise va mettre en avant des produits – par exemple un produit en sur-stock – et va aller trouver les clients susceptibles d’être intéressés par ce produit. Mais le besoin exprimé vient bien d’un marketeur. La personnalisation est avant tout commerciale.

Comment définir l’Individuation Marketing® ?

Ce concept de Carl Jung est le principe de la réalisation de soi en tant qu’individu. Appliqué au marketing, c’est la réalisation d’une relation singulière entre un consommateur et une entreprise. Comme vous le voyez, la personnalisation n’est qu’un micro aspect du sujet.

Comment se construit une campagne d’Individuation Marketing® ?

La notion de campagne n’existe plus. Nous cassons les temporalités. Et nous parlons d’opportunités de communication.  

Campagne, opportunité… Ne joue-t-on pas sur les mots ?

Stéphane Amarsy : Pas du tout. Prenons l’exemple d’une campagne « Welcome Pack ». Quand je demande à mes interlocuteurs: « Pourquoi votre Welcome pack est en 5 étapes ?  Pourquoi un envoi toutes les 2 semaines ?» ils ne le savent pas vraiment. « Parce que cela s’est toujours fait ainsi». Mes questions déstabilisent. Mais je les rassure tout de suite : ils n’avaient pas le choix. Ce qu’ils ont fait là était l’optimum, au regard de leur organisation et de leurs outils.

Pour un Welcome Pack, notre solution permet d’avoir, pour chaque destinataire, plus ou moins d’étapes et un intervalle de temps différent entre les étapes. Mais c’est ingérable, de la manière dont les entreprises sont organisées et travaillent aujourd’hui.

CE QUI REND D-AIM DIFFÉRENT DES SOLUTIONS DE MARKETING CLIENT CONCURRENTES OU TRADITIONNELLES

Quel est le rôle du marketeur dans le fonctionnement de D-AIM ?

Une opportunité se définit par le marketeur. Il liste toutes les opportunités de communication, fixe les objectifs business – chiffre d’affaires, marge, … – et entre les contraintes – budget, capacité humaine, pression commerciale, … – auxquels on ajoute systématiquement une contrainte extrêmement importante, la pertinence. Ce qui veut dire que si on n’a rien à dire de pertinent à ce consommateur, on ne lui dit rien !

Nous sommes loin des raisonnements qui jouent sur la loi des grands nombres, lorsque l’on décide de faire une, deux, trois repasses parce qu’ainsi on va bien arriver à attraper quelques consommateurs de plus.

Il n’y a plus de prévision de quantités non plus ?

En effet, nous ne partons plus d’une quantité de clients à adresser. Si un chef de produit arrive avec l’idée du siècle et veut l’adresser à 500 000 clients, nous allons lui dire “ Créons une opportunité “. Peut-être n’y aura-t-il que 2 353 clients potentiellement intéressés aujourd’hui. Nous devons alors trouver d’autres opportunités. Tout change.

Le client est vraiment au centre.

Reconnaissez qu’aujourd’hui tout le monde se revendique Customer Centric …

Toutes les sociétés qui se disent customer centric, ne le sont pas vraiment. Elles détournent le véritable sens. Ce n’est pas le client mais à 99% bien le produit qui est le point de départ de leur démarche marketing. Nos concurrents vendent généralement des outils de segmentation qui permettent d’identifier dans une base les clients plus ou moins appétents à un produit ou une catégorie, mais cela ne va pas beaucoup plus loin. Ils ne partent pas de chaque client pour identifier quelles seront les opportunités de communication les plus pertinentes pour chacun d’entre eux. La personnalisation de leur message leur suffit à penser qu’ils mettent le client au centre. Le « vrai customer Centric » c’est partir de l’individu et pouvoir anticiper et répondre à ses besoins et attentes. Cela nécessite de construire une connaissance augmentée de chacun de ses clients et d’avoir une grande capacité d’analyse prédictive. Tout cela n’est possible qu’avec des outils utilisant l’IA.

«Le client est vraiment au centre». Photo de Andrea Piacquadio provenant de Pexels.

Sans prévision de chiffre d’affaires ni prévision de quantité, n’y-a-t-il pas un risque pour le marketeur de ne pas faire « son chiffre » ?

Stéphane Amarsy : Des opportunités purement commerciales – par exemple la vente de tondeuses ce week-end, ou « 5 euros de réduction pour 50 euros d’achat » continuent à exister. Comme le fait de fêter l’anniversaire, ou la bonne année. Mais il y aura beaucoup d’autres opportunités, y compris des communications purement contenus, sans offres – : « C’est le dernier week-end pour aller faire un pique-nique » – des contenus de gamification, etc…

La lecture du business change complètement car on ne peut pas analyser le résultat de chacune des opportunités. Ce n’est plus le sujet. Si une opportunité est arbitrée, donc si des clients la reçoivent, cela veut dire qu’elle fait sens. Nous allons mesurer l’augmentation du chiffre d’affaires par client sur une période donnée.

Concrètement, comment s’imaginent les opportunités à créer ? 

Lors d’un Atelier Opportunités chez notre client, nous partons de son plan de campagnes classique et nous cassons les temporalités. Puis nous disons à l’équipe : « Listez-nous tout ce que vous aimeriez faire et que vous n’avez pas pu faire ». Et comme par hasard, il y a beaucoup d’opportunités que nous pouvons faire tout de suite.

L’outil est sous SaaS. De quoi disposent vos clients ?

Le marketeur dispose d’une interface métier ultra simple qui ne demande qu’une demi-journée de formation. Il décide des objectifs, des contraintes et des opportunités qu’il veut intégrer. C’est l’humain qui a le dernier mot et des garde-fous sont dans la solution afin d’éviter toutes dérives. En tant que citoyen, cela était important, cela correspond à mes valeurs.

Vous parliez de défi technologique, et on veut bien le croire. Où réside le plus grand saut technologique qui a permis par cette approche ?

L’automatisation enrichit le processus de décision, notamment parce que la machine apprend. C’est pour cela que nous nous définissons comme outil d’intelligence artificielle. Je commence à parler d’intelligence artificielle à partir du moment où il y a une capacité d’auto-apprentissage. Avant cela n’en est pas.

Le marketeur peut découvrir des gisements de valeur car la machine peut tester des milliards de possibilités, au lieu de quelques dizaines avec les méthodes conventionnelles.

Potentiellement, un consommateur peut être éligible à plusieurs opportunités, mais comme si on souhaite ne lui parler qu’une seule fois, nous allons arbitrer pour lui, et ceci au regard de tous les autres clients et de toutes les contraintes. Car changer une contrainte a une répercussion sur les autres opportunités. Il faut trouver un optimum, Humainement, nous ne savons pas raisonner ainsi. Nous faisons des hiérarchies : « Si le client fait ceci, alors je vais lui adresser ceci ». C’est typiquement le cas des Welcome Pack.

Donc prendre la relation dans tout ce qu’elle a de richesse et d’exhaustivité est l’un des grands défis technologiques. « Marketing » n’est plus le bon terme, d’ailleurs. C’est plus de la relation.

NOUVEAU MINDSET

Après toutes ces explications, nous comprenons en effet, comme vous le disiez au début, que cela oblige vos clients à s’organiser différemment. Je suis Directeur Marketing, j’ai une équipe sous ma responsabilité, un plan qui se construit traditionnellement en “ campagnes ”, des objectifs business à tenir. Comment démarrer un tel projet sans se mettre à dos toute mon équipe, et comment “ vendre ” l’approche à ma direction générale ? On ne passe pas au tout automatisé du jour au lendemain…

Stéphane Amarsy : Le produit D-AIM existe, il est en live chez des clients de secteurs différents, dans le retail, les médias, la banque, les télécom. La question du changement a été simple. Nos clients nous ont tous dit: « Je sentais que j’arrivais au bout du chemin et qu’il fallait passer à autre chose pour être les champions de demain ». Ils ont compris.

Tous ceux qui ont basculé l’ont fait de manière extrêmement facile et positive. L’acceptation par les équipes se fait naturellement. Cela les bouscule mais cela leur donne une telle liberté créatrice. Ils se débarrassent de tout ce qui les embête. Il n’y a plus de ciblage !

Quel est votre modèle économique ?

Notre modèle repose sur le nombre de clients en base. Nous avons introduit un modèle de tarification entièrement axé sur le succès, mais aucun client ne l’a pris car cela peut leur coûter cher…

En phase de transition, comment se fait la mesure de la performance ?

Le client définit la valeur qu’il veut optimiser : chiffre d’affaires, marge, LTV à deux ans, etc. Puis nous créons en général trois groupes :

  • un Groupe Témoin Universel « pur » : les clients reçoivent des communications Anniversaire, Bonne année, etc, mais rien d’autre.
  • un Groupe Témoin Universel “ contrôle ” qui reçoit les communications comme avant
  • un Groupe Témoin suivi par D-AIM.

Nous mesurons alors le gain sur le KPI primaire et sur les KPIs secondaires. Cette lecture permet aussi d’identifier des comportements, des nouveaux modes de consommation, des nouveaux besoins.

RÉSULTATS AVÉRÉS

Prenons quelques cas réels

Stéphane Amarsy : Un de nos clients, un grand groupe de presse, a voulu commencer par mesurer le gain de productivité apporté par l’outil.

Nous avons simplement divisé la base de données en deux groupes en aléatoire. Sur le Groupe Témoin suivi par D-AIM, nous étions tenus d’avoir le même nombre d’opportunités que le leur, ce qui correspondait à leur capacité opérationnelle. Or même sans l’effet démultiplicateur, ce groupe a réduit de 30 % son énergie (envoi d’emails, ressources humaines, etc. ) tout en générant 5 % de chiffre d’affaires en plus.

Pour une enseigne de la grande distribution leader sur son marché, le gain s’est traduit par une hausse immédiate de son chiffre d’affaires. Cela n’est pas magique, nous nous intéressons à chaque consommateur de façon singulière.

Un retailer du secteur de la maison a amorti 2 ans d’abonnement à la solution en 1 mois et demi de running. En revoyant ainsi entièrement sa stratégie marketing et en la digitalisant de bout en bout, la marque est parvenue à délivrer des prestations individualisées qui ont très rapidement porté leurs fruits.

Vous pouvez retrouver d’autres cas concrets dans notre dernier livre blanc : Allouer un duo IA+HUMAIN à vos clients : une transformation radicale du marketing relationnel 

Vous avez fait une troisième levée de fonds début 2020, d’un montant de 10 millions d’euros. Etait-ce juste avant la pandémie ?

Nous n’avions pas signé quand la pandémie s’est déclarée en France. Mais nos investisseurs voulaient faire cet investissement.

NDLR : Alliance Entreprendre (leader de l’opération) et Swen Capital ont rejoint Sofiouest, investisseur historique de l’entreprise, et Omnes Capital qui ont eux-aussi contribué à la levée de fonds.

A quoi vont servir les fonds levés ?

Ils vont servir à financer nos gros efforts de Recherche et Développement afin de conserver l’avance de notre solution logicielle d’individuation marketing®. Nous sommes 110 salariés, et 45 personnes travaillent en R&D.

Comment se présente la fin de l’année pour vous ?

Nous sommes en forte accélération avec en 2021 une tendance d’augmentation de 50% de nouveaux clients et nous prévoyons un doublement en 2022. Les résultats sont spectaculaires.

Pour aller plus loin:

L’experte:

Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse « go-between » France et USA, fondatrice de Customer Insight.

A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.

Laurence est l’une des expertes retail et beautytech de FrenchWeb, vous pouvez régulièrement retrouver ses analyses, et interview sur Decode Retail.

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