La plateforme de livraison Stuart accusée de travailler avec des livreurs embauchés au noir
AFP
Plusieurs livreurs et entreprises ayant travaillé pour le spécialiste français de la livraison à la demande de courses ou de repas Stuart dénoncent des méthodes peu vertueuses voire illégales employées par la société, qui se défend de toute pratique malhonnête.
Travail au noir, non paiement de taxes et cotisations salariales, manquement au devoir de vigilance : telles sont les accusations portées par plusieurs personnes ayant travaillé pour Stuart et rencontrées par l’AFP.
Elles dénoncent un système de sous-traitance dans lequel Stuart, start-up française créée en 2015 et aujourd’hui implantée dans six pays et 125 villes, a délégué une partie de son activité à de multiples sociétés de transport embauchant des livreurs sans contrat de travail, payés au noir, et échangeables au moindre problème.
L’AFP a consulté de nombreux documents montrant la relation de subordination qui lie ces entreprises à Stuart. La plateforme apparaît comme le seul donneur d’ordre et contrôle toute l’organisation du travail, de la sélection à la formation des coursiers jusqu’à leur notation en passant par leur équipement.
Un ancien dirigeant de l’une de ces sociétés, Samir Yalaoui, a travaillé avec Stuart de 2016 à 2021. Il dit avoir recruté des milliers de coursiers dans une quarantaine de villes, généré plus de 20 millions d’euros de chiffre d’affaire, le tout sans jamais rien déclarer.
Comme il l’a raconté dans un reportage d’Envoyé Spécial diffusé fin juin, Samir Yalaoui reconnaît avoir fraudé, mais il refuse d’endosser seul la responsabilité et implique Stuart.
Ces accusations sont portées par un utilisateur « dont l’accès à la plateforme a été désactivé » après l’ouverture d’une enquête pénale à son encontre, réplique Me Rémi Lorrain, avocat de la plateforme.
Après son bannissement, « cet utilisateur a formulé des demandes financières injustifiées, et semble avoir décidé de médiatiser son cas », déplore-t-il.
– « Pas de contrat » –
Stuart, plateforme qui met en contact clients et coursiers indépendants, prend contact avec Samir Yalaoui en 2016 car « ils cherchaient des capacitaires » afin d’étoffer leur flotte de livreurs.
La start-up se veut le champion de la livraison décarbonée. Rachetée par La Poste en 2017, elle livre aussi bien des courses, que des repas ou encore des meubles.
Lorsque Stuart fait appel à M. Yalaoui, c’est parce qu’elle souhaite recourir à des livreurs motorisés (en scooter ou en voiture). Pour cela il faut nouer un accord avec une société disposant d’une capacité de transport car les livreurs travaillant sous le statut d’auto-entrepreneur doivent, eux, être à pied ou à vélo, selon les règles de Stuart.
Tous les coursiers motorisés passent par un sous-traitant comme Samir Yalaoui – parfois appelé « artisan » – pour pouvoir travailler. L’artisan se rémunère en prélevant une commission sur le prix de chaque course payée par Stuart.
Éric, un coursier qui préfère utiliser un prénom d’emprunt, travaille encore aujourd’hui pour Stuart via un de ces artisans. Il livre des repas pour le compte d’une chaîne de restauration japonaise et gagne environ 350 euros par semaine.
« Il n’y a pas de contrat, c’est le sous-traitant qui nous paie » après avoir prélevé 25% de commission sur la course, explique-t-il. « On n’a rien, pas de fiche de paie, juste le virement », ajoute Éric qui précise passer par cet intermédiaire afin d’avoir du travail mais qu’il préfèrerait être à son compte.
– Sociétés régulièrement fermées –
Un autre livreur, Abdelkrim (qui ne souhaite pas donner son nom de famille), travaille lui exclusivement en auto-entrepreneur. Il utilise un scooter même si Stuart théoriquement l’interdit.
Il y a quelques mois, un « artisan » lui a proposé de travailler pour lui. « Il m’a dit qu’on était payé 5,50 euros la course minimum et qu’il prenait 25% », explique-t-il. Avec ce genre de montant « je lui ai demandé comment il faisait pour reverser la TVA à l’État ? Il m’a dit +la TVA je ne la reverse pas+. Et je lui ai demandé comment il faisait, il m’a dit +c’est simple, la société elle est ouverte et dans moins d’un an, je la ferme+ », détaille Abdelkrim.
Samir Yalaoui reconnaît avoir lui aussi régulièrement baladé ses employés d’une société à une autre. « J’ai créé huit sociétés en six ans », à chaque fois à la demande de Stuart, assure-t-il en présentant un message datant de mars 2021 lui ordonnant de « scinder les voitures et scooters sur deux sociétés ».
La plateforme, elle, nie être à l’origine de ces changements fréquents visant à frauder sur la TVA.
Pour Me Jérôme Giusti, l’avocat de M. Yalaoui, Stuart est en faute car la société « a une obligation de vigilance. Vous devez exiger d’un sous-traitant des justificatifs de paiement des charges sociales, des cotisations et impôts, sinon il y a délit de travail illicite », souligne-t-il.
Stuart de son côté conteste le qualificatif de sous-traitant attribué à la société de M. Yalaoui. Pour la start-up, il était un client qui utilisait l’application au même titre qu’un livreur indépendant mais pour donner du travail à ses employés.
« Stuart déclare l’ensemble des revenus générés par les utilisateurs de la plateforme à l’administration fiscale », souligne Me Rémi Lorrain.
Il assure que son client a « déjà renforcé ses contrôles vis-à-vis des sociétés de transport » avant même l’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation obligeant les plateformes d’intermédiation à un devoir de vigilance accru à partir de juin 2023.
– Tri des livreurs –
La filiale de La Poste dit travailler avec une vingtaine de sociétés de ce type, « ce qui représente environ 10 % des livraisons effectuées ».
Le dirigeant de l’une d’entre elles, interrogé par l’AFP sous couvert d’anonymat, dit embaucher ses coursiers légalement, mais il s’en prend au « système Stuart ».
« Le lundi ils te disent +recrute 20 personnes+, le mercredi ils te disent +finalement on n’en a plus besoin+. Ils t’appellent et te disent +on ne veut plus faire travailler untel donc remplace-le+ », décrit-il.
Des e-mails consultés par l’AFP montrent que Stuart transmet régulièrement des listes de livreurs dont elle demande la fin du contrat pour mauvais comportement.
Dans un rapport datant de 2018 synthétisant une enquête de l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) visant Stuart, on peut lire : « l’entreprise sous-traitante ne fait qu’apporter de la main d’œuvre et apparaît pratiquement invisible ».
« Le délit de prêt illicite de main d’œuvre peut être reproché », poursuit la note, qui conclut qu’un « délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité peut être reproché » à Stuart.
« Ce qui est terrible c’est que ça déconstruit complètement le marché du travail. Les concurrents, ça les asphyxie complètement, et ceux qui avaient des salariés pour livrer n’existent plus », dénonce l’avocat Kévin Mention qui défend plusieurs anciens livreurs Stuart.
Les 15, 16, 22 et 23 septembre, Stuart et un de ses anciens dirigeants passent en procès à Paris pour des faits sans lien avec les accusations ci-dessus, pour travail dissimulé. Ils sont accusés d’avoir eu recours à des livreurs indépendants alors qu’ils auraient dû être salariés entre 2015 et 2016.
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