Travail dissimulé: le modèle Stuart passé au grill judiciaire
AFP
Les travailleurs indépendants l’étaient-ils vraiment? Pendant quatre jours, la justice a tenté de mettre au jour le modèle Stuart, plateforme de livraison rachetée par La Poste en 2017 et accusée de travail dissimulé entre 2015 et 2016.
« D’un côté, il y a le salariat avec ses contraintes et avantages, et de l’autre, l’entrepreneuriat avec ses avantages et inconvénients, et je suis très attaché à la liberté d’entreprendre », a expliqué à la barre le fondateur de Stuart Benjamin Chemla, poursuivi en compagnie de son associé Clément Benoit, fondateur de Resto In, également prévenu.
Pendant quatre jours, les deux trentenaires ont défendu avec vigueur leur modèle d’entreprise devant le tribunal correctionnel de Paris, qui doit rendre sa décision le 12 janvier.
Lancé en 2015, Stuart, aujourd’hui implanté dans six pays et 125 villes, n’a jamais été qu’une simple plateforme d’intermédiation entre des coursiers indépendants et des commerces ayant besoin de livrer leurs clients, selon ses fondateurs.
« On est là pour apporter du business à des gens », a soutenu Benjamin Chemla. Clément Benoit, qui a lancé Resto In dont la spécialité était la livraison de repas avant de disparaître au profit de Stuart, a résumé le modèle ainsi: « notre vision était de digitaliser une offre de restaurant pour la rendre accessible aux clients, pas d’être une boîte de logistique ».
Mais pour le parquet, le système mis en œuvre plaçait les livreurs auto-entrepreneurs dans un lien de subordination vis-à-vis des plateformes qui contrôlaient l’organisation du travail et usaient d’un pouvoir de sanction.
En avril, Deliveroo et deux anciens dirigeants ont été condamnés en première instance pour des faits similaires de travail dissimulé.
– Désactivation –
« Selon moi, si on annule une course ou si on laisse passer une course deux fois, déconnexion de 15 minutes. Si on réitère = un jour + call du support », peut-on lire dans un mail de Benjamin Chemla envoyé en 2015 et présenté à la cour.
L’objet du message était de réfléchir aux moyens possibles à mettre en œuvre pour limiter les courses annulées par les livreurs, dont c’est pourtant le droit en tant qu’indépendants.
Pour Benjamin Chemla, il s’agissait en réalité de faire le tri en déconnectant des livreurs inactifs afin « d’améliorer l’expérience utilisateur ». « Il fallait qu’on puisse anticiper sur une manne d’utilisateurs et une manne de clients Stuart. Le compte pouvait être désactivé si pas actif depuis trois semaines », a précisé le fondateur de la société.
Toujours pour favoriser l’exécution des commandes, un ancien directeur commercial s’interroge par exemple sur l’opportunité « de montrer moins d’infos sur l’appli driver lorsqu’une course est proposée » car les livreurs sont enclins « à ne pas accepter la course en fonction de la distance pour aller au pick-up ».
Autre élément souligné par le tribunal, l’existence d’un mode de travail spécifique à Stuart appelé « shift » qui permettait aux livreurs de s’inscrire sur un planning.
Ils devaient ensuite rester connectés toute la durée du créneau, accepter au moins deux tiers des courses proposées et ne pas s’éloigner de la zone géographique désignée. En échange, Stuart garantissait un versement minimum de 9 euros de l’heure.
– Dissimulation de l’emploi –
« Il fallait bien mettre des garanties. On s’engageait à amener un minimum de business (au livreur), en retour on attendait deux tiers des courses acceptées. La sanction du non-respect de ces règles commerciales, c’était juste le basculement en mode +free+ », c’est-à-dire avec la liberté de choisir ses courses, mais sans minimum garanti, a expliqué Benjamin Chemla.
Pour la procureure pourtant, « la plateforme régit les conditions de travail (…), contrôle et use d’un pouvoir de sanction » ce qui constitue « une dissimulation généralisée de l’emploi des livreurs qui concerne plusieurs centaines d’emplois ».
Elle a requis la peine d’amende maximale contre Stuart soit 375.000 euros et autant pour Resto In (aujourd’hui disparu), mais avec un sursis sur une partie de la somme.
Contre Benjamin Chemla et Clément Benoit, une peine de 18 mois avec sursis a été requise, assortie de 60.000 et 50.000 euros d’amende, ainsi qu’une interdiction de gérer une société pendant cinq ans.
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