La communication post-mortem des startups au révélateur de l’autopsie
Par Christoph Seckler, professeur de stratégie entrepreneuriale à l'ESCP Business School de Berlin
Qu’ils fassent faillite comme Sam Bankman Fried (FTX) ou qu’ils passent le flambeau comme Jack Dorsey (Twitter), les entrepreneurs ont toujours du mal à tourner la page de leur aventure startup. Comment parler de cet écueil ?
« Nous avons une grande nouvelle à vous annoncer. » C’est par ces mots que Valerie Krämer, fondatrice de Remi (une plateforme de renforcement de la culture d’entreprise pour les équipes à distance et distribuées), a commencé la publication LinkedIn annonçant la reprise de sa start-up par la société Range (un outil de communication d’équipe pour les check-ins et la gestion des réunions).
Il s’agit d’une étape souvent difficile pour les entrepreneurs. Il n’est pas évident de laisser son entreprise derrière soi, que ce soit pour des raisons d’insolvabilité ou un rachat, et encore moins d’en expliquer les raisons.
Les « Fuckup Nights » étaient en vogue auprès des startupeurs dans les années 2010. Ces événements étaient l’occasion pour eux de parler de leurs erreurs, petites et grandes. Parallèlement, l’essor des blogs et des réseaux sociaux leur a permis de contextualiser leurs échecs et d’avoir voix au chapitre.
Cette tendance donne aux scientifiques l’occasion d’expliquer les points suivants de manière systématique : comment les start-up communiquent-elles leurs échecs ? Comment annoncent-elles leur disparition prochaine ? Quelle rhétorique utilisent-elles et quelles explications avancent-elles ? Mes coauteurs et moi avons recueilli de telles déclarations post-mortem sur un site Web (supprimé depuis), ce qui nous a permis de les classer et de découvrir ce qui suit : les start-up présentent leurs échecs de quatre manières différentes.
Quatre manières de communiquer autour de l’échec
La catégorie Prescription, c’est-à-dire les conseils, est la plus représentée de notre étude. Les entrepreneurs abordent leur échec sous forme de leçon en se concentrant sur les problèmes pour permettre à d’autres personnes d’en tirer un enseignement, selon le crédo : j’ai accumulé de l’expérience dont d’autres peuvent tirer parti – et qui me permettra de m’améliorer lors de la création de ma prochaine start-up. Cette contribution est orientée vers l’avenir. Nous pourrions classer dans cette catégorie la déclaration de NewsTilt, dont voici l’analyse post-mortem : « J’ai dressé une liste des choses que j’ai apprises en travaillant sur le projet NewsLabs. Tout le monde ne se retrouvera pas dans chacune d’elles, mais j’espère que mes erreurs pourront profiter à d’autres créateurs d’entreprise. »
Dans la catégorie Description, les entrepreneurs racontent leur histoire dans l’ordre chronologique et terminent sur l’échec de leur start-up. Voici l’exemple de la startup Poliana : « Cher Internet, notre aventure a commencé il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… mais à toutes fins pratiques, disons qu’elle a commencé en mai 2013. » Il s’agit de la deuxième forme d’annonce la plus fréquente constatée dans le cadre de notre étude, qui retrace les moments clés, positifs comme négatifs, de l’entreprise et donne un aperçu de l’envers du décor. Le ton adopté par les entrepreneurs dans ces messages post-mortem est le plus souvent défensif.
Nous avons baptisé la troisième catégorie Explication : les entrepreneurs se concentrent ici aussi sur les problèmes – comme dans la catégorie Prescription. Mais les créateurs de start-ups ne présentent pas leur expérience sous forme de leçon destinée aux autres. Ils restent ancrés dans le passé et ne formulent aucun enseignement pour l’avenir. Dans ce contexte, les entrepreneurs se tiennent un peu plus en retrait. Le site de Wesabe, par exemple, a publié ce texte : « Je vois deux conditions qui, si elles avaient été remplies avant le lancement de Mint [N.d.A : un concurrent] ou ne s’étaient jamais produites, auraient pu permettre à Wesabe de maintenir son avance sur Mint après son arrivée sur le marché. »
La dernière catégorie, Affection, réunit les publications rédigées sous le signe de l’affect. Ces articles font la part belle aux émotions : ils adressent des remerciements à celles et ceux qui ont participé à l’aventure, saluent leur loyauté à grand renfort de superlatifs et soulignent l’influence du produit. La lettre d’adieu de Secret allie émotion et rationalisation des faits : « C’est la décision qu’il m’a été le plus difficile à prendre de toute ma vie et c’est une décision qui m’attriste profondément. Aujourd’hui malheureusement, Secret ne correspond pas à la vision que j’avais au moment de lancer l’entreprise, c’est pourquoi je pense qu’il s’agit de la bonne décision pour moi, pour nos investisseurs et pour notre équipe. »
Annoncer un échec : une question de franchise
Si l’on compare les quatre types d’annonces, on constate principalement des différences de degrés d’ouverture : selon les catégories, la personne fournit des informations plus ou moins détaillées sur les coulisses. Certaines publications sont déjà tournées vers l’avenir, tandis que d’autres ont une fonction de catharsis pour l’entrepreneur.
Une chose est claire dans tous les cas : les startupeurs voient un intérêt à raconter l’histoire de leur entreprise jusqu’au bout et à communiquer les raisons de leur échec. Il arrive rarement qu’il n’y ait qu’une seule vraie version des faits, tout dépend des intentions de communication de l’individu. Si vous souhaitez approfondir le sujet des échecs de start-ups ou publier le post-mortem de votre entreprise, vous pouvez vous rendre sur https://www.getautopsy.com.
Le message de Valerie Krämer, fondatrice de Remi, montre par ailleurs l’existence d’une catégorie hybride : sa publication LinkedIn est à mi-chemin entre l’Affection et l’Explication. À la fin de son annonce, elle écrit qu’elle souhaite pour la première fois s’accorder une pause. Et plus loin : « Mais je ne sais pas encore combien de temps je parviendrai à tenir en place. » Une phrase que de nombreux entrepreneurs pourraient reprendre à leur compte. En effet, le récit d’un échec constitue le plus souvent le premier chapitre d’une nouvelle histoire.
Le contributeur
Christoph Seckler occupe depuis 2019 la chaire d’Entrepreneurial Strategy à ESCP Business School (campus de Berlin). Il mène des recherches en entrepreneuriat, plus précisément sur le fait de tirer des leçons des erreurs et sur la culture de la gestion des erreurs. Avant cela, il avait travaillé pour la société de conseil et d’audit EY.