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« Notre démocratie repose sur des infrastructures technologiques que nous ne possédons pas »
Dans une tribune publiée sur le site de Marianne, plusieurs entrepreneurs de la tech appellent à un sursaut français et européen pour développer des capacités souveraines en matière d’intelligence artificielle, afin de ne pas dépendre exclusivement des géants américains et chinois.
Un contexte mondial qui s’accélère
Le Royaume-Uni a annoncé un programme de plusieurs milliards de livres destiné à stimuler la recherche en IA et à développer des supercalculateurs dédiés. De son côté, les États-Unis ont lancé le projet Stargate, assorti d’une enveloppe de 500 milliards de dollars pour déployer les infrastructures nécessaires à l’IA. La Chine, elle, poursuit un vaste chantier de collecte et de préparation de données publiques afin d’entraîner ses modèles, accélérant ainsi la mise au point de solutions technologiques compétitives.
Face à ces initiatives, la France ne peut plus se contenter de réfléchir à la simple régulation des algorithmes étrangers. Les signataires de la tribune, parmi lesquels figurent des avocats, des dirigeants d’entreprises spécialisées et d’autres acteurs de la tech, mettent en garde contre un risque majeur de dépendance : si l’Hexagone ne développe pas rapidement ses propres capacités IA, il demeurera tributaire d’acteurs extérieurs pour tout un pan de son économie, de ses services publics, voire de sa souveraineté numérique.
Le nerf de la guerre : les données
Au cœur de la course technologique se trouve la donnée. Aujourd’hui, les plateformes telles que Microsoft, Amazon, Google ou OpenAI détiennent et exploitent d’immenses gisements de données à travers leurs services. En revanche, la France et plus globalement l’Europe peinent à valoriser leurs « trésors dormants » dans les secteurs public et privé. Or l’accès aux données constitue un atout décisif : pour former des modèles d’IA performants, il est nécessaire de disposer de volumes considérables d’informations, qu’il s’agisse de données de santé, d’éducation, de transports ou encore de recherche.
Selon les auteurs de la tribune, l’initiative européenne autour des « data spaces » — espaces dédiés au partage et à la mutualisation de données — se trouve à un stade prometteur. Les signataires défendent une stratégie de création et de mise en commun de ces ressources, sécurisées et régulées, qui offrirait aux start-up et aux groupes européens un levier compétitif. Par ailleurs, l’accès prioritaire à certaines données pour les acteurs nationaux ou européens permettrait de développer des solutions sur mesure, adaptées aux besoins spécifiques des administrations, des hôpitaux, des écoles ou des industries locales.
Construire une IA souveraine et adaptée
Si l’IA généraliste s’est imposée dans de multiples usages (traduction, reconnaissance d’images, assistants conversationnels, etc.), la tribune souligne l’importance d’élaborer des systèmes spécialisés correspondant aux enjeux de la France et de l’Europe. Dans des domaines comme la santé, où le partage et le croisement de données sensibles sont cruciaux pour la recherche, seul un accès sécurisé aux informations des patients permettra de concevoir des programmes de prévention et de diagnostic réellement performants. Il en va de même pour l’éducation, le logement, l’emploi ou la transition énergétique.
En structurant un grand plan national et européen, il s’agirait non seulement de réorienter la commande publique vers les acteurs locaux — suivant l’exemple des GAFAM, jadis soutenus par l’État américain — mais aussi d’accroître les retombées économiques à travers la commercialisation de ces technologies en dehors du marché français. De fait, une IA conçue dans le respect de nos normes et de nos valeurs gagnerait en crédibilité à l’international, à la faveur d’un cadre juridique protecteur, souvent loué pour son sérieux (on songe notamment au Règlement général sur la protection des données, RGPD).
Les dangers de l’inaction
Les auteurs de la tribune mettent en garde contre les risques majeurs que ferait peser un retard prolongé de la France et de l’Europe dans le domaine de l’IA. Sur le plan géostratégique, une trop forte dépendance vis-à-vis des infrastructures de traitement et d’analyse des données étrangères pourrait saper l’autonomie décisionnelle et la capacité de projection de l’État. Sur le plan économique, les entreprises françaises, privées d’outils d’IA performants, pourraient perdre leur compétitivité. Enfin, au niveau législatif, l’Europe, bien qu’en avance sur la régulation et la protection des données, risquerait de se borner à adopter des règles sur des technologies conçues ailleurs, sans maîtrise ni réelle influence sur les orientations futures.
L’enjeu va donc bien au-delà du seul marché de l’IA. C’est la question de la souveraineté numérique qui est posée, avec son corollaire : la préservation du tissu économique, la protection des données, le contrôle des infrastructures stratégiques, et la possibilité pour l’Europe d’arbitrer, voire d’innover dans ce secteur-clé.
Un sursaut à l’échelle européenne
Selon la tribune, il n’est pas trop tard pour que la France, en partenariat avec l’Union européenne, initie un mouvement de rattrapage, voire de leadership dans certains domaines de pointe. Les infrastructures de partage de données ou les premiers modèles d’IA développés localement prouvent l’existence de compétences solides, tant chez les chercheurs que chez les industriels. Des projets tels que Prometheus-X, EONA-X, TEMS ou Pleias matérialisent déjà cette volonté de bâtir des solutions souveraines, adaptées aux exigences et spécificités européennes.
Reste que ces projets nécessitent une impulsion politique forte. Le Sommet pour l’action sur l’IA, organisé à Paris, pourrait donner naissance à une Fondation pour l’IA, chargée de soutenir et coordonner ces initiatives. Encore faudra-t-il lui allouer un budget conséquent et clarifier son périmètre, afin d’éviter un énième effet d’annonce sans suite concrète.
Parmi les signataires de cette tribune:
- Quentin Adam, Président de Clever Cloud et d’Open Internet Project
- Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique (ISN)
- Léo Briand, fondateur et président de Vittascience, vice-président de l’AFINEF
- Martin Bussy, entrepreneur LegalTech, trésorier de Prometheus-X et adjoint au Maire Paris 20e
- Matthias De Bièvre, Président de Visions et Prometheus-X
- Olivier Dion, Président de Onecub et Secrétaire général de Prometheus-X
- Édouard Fillias, Président de JIN
- Alain Garnier, Président de Jamespot et de l’association EFEL
- Jérôme Giusti, Avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et en droit du numérique – Metalaw
- Michel Grosbost, Président et fondateur de l’Innovation Makers Alliance et du Cercle des Responsables d’Infrastructures, de technologies et de Production Informatique.
- Charles Huot, Président de Cap Digital,
- Léonidas Kalogeropoulos, Président de Médiations et Arguments et DG d’Open Internet Project
- Jean-Baptiste Kempf, CTO de Scaleway
- Pierre-Carl Langlais, CTO et cofondateur de pleias
- Philippe Latombe, Député de la 1ère circonscription de la Vendée
- Yann Lechelle, CEO et cofondateur de Probabl
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