
Financer la deeptech : l’État peut-il éternellement jouer les premiers rôles ?
Six ans après le lancement du Plan Deeptech, la France s’affirme comme un acteur central de l’innovation technologique en Europe. Fort de 2 589 startups actives et d’un soutien public massif, l’écosystème deeptech français bénéficie d’un cadre structurant inédit. Toutefois, la prépondérance de l’État dans son financement pose une question fondamentale : cette dynamique est-elle soutenable à long terme ?
Une dépendance aux financements publics
En 2024, les startups deeptech françaises ont levé 2,8 milliards d’euros, marquant une contraction de 31 % par rapport à 2023. Derrière cette baisse conjoncturelle, une réalité structurelle se dessine : Bpifrance reste le principal moteur du financement. L’institution publique a engagé 1,3 milliard d’euros en financements non dilutifs, appuyé 400 millions d’euros en investissements directs et mobilisé 474 millions d’euros en fonds de fonds, consolidant sa position dominante sur le segment.
Cette intervention massive a joué un rôle contracyclique en maintenant le financement des jeunes pousses malgré un marché plus sélectif. Près de 70 % des fonds de capital-risque deeptech proviennent de l’action publique, traduisant une forme de dépendance préoccupante. Si ce soutien a permis d’accélérer la structuration du marché, il pose la question de l’engagement insuffisant des investisseurs privés.
Pourquoi les investisseurs privés restent-ils en retrait ?
Malgré l’essor de la deeptech française, les acteurs privés – family offices, business angels et fonds de private equity – peinent à s’engager durablement. Plusieurs facteurs expliquent cette frilosité :
- Un horizon de retour sur investissement trop long : Les cycles de développement des deeptechs, souvent supérieurs à 10 ans, contrastent avec les attentes des investisseurs en quête de liquidités rapides.
- Une complexité technologique élevée : L’analyse des projets deeptech requiert des compétences pointues en sciences et ingénierie, limitant l’appétence des fonds généralistes.
- Un manque de sorties attractives : Si le nombre d’exits a atteint un record de 24 opérations en 2024, la majorité se fait via des acquisitions industrielles, limitant les perspectives de valorisation exponentielle par IPO.
Le cas de l’Intelligence Artificielle, qui a capté 40 % des investissements deeptech en 2024, illustre cette asymétrie. Des levées majeures, à l’image des 468 millions d’euros de Mistral AI ou des 454 millions d’euros de Poolside, démontrent un appétit pour les segments technologiques porteurs. Toutefois, en dehors de ces secteurs à forte traction médiatique, l’investissement deeptech reste éclaté et peu attractif pour les fonds traditionnels.
Vers une nécessaire diversification du financement
Face à cette situation, plusieurs leviers doivent être actionnés pour réduire la dépendance à l’État et structurer un financement pérenne :
- Favoriser l’implication des fonds de private equity : La montée en puissance des fonds growth et late-stage en Europe doit être encouragée par des incitations fiscales et des co-investissements stratégiques.
- Stimuler les family offices et business angels : Si l’amorçage deeptech est resté stable en 2024 (436 M€ levés), l’engagement de capitaux privés à ce stade reste insuffisant. La structuration d’un réseau d’investisseurs spécialisés pourrait fluidifier ce segment.
- Développer des mécanismes de sorties plus attractifs : La France doit renforcer sa capacité à structurer des IPO deeptech crédibles, à l’image des modèles israélien ou américain.
La deeptech française est à un tournant. Si l’État a su impulser une dynamique forte, l’heure est venue pour les investisseurs privés de prendre le relais. Ces derniers sont-ils prêts à assumer pleinement ce rôle et à s’engager dans le financement de technologies à long cycle ?
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