
L’indépendance technologique européenne passera t elle par le microprocesseur HPC Rhea de SiPearl ?
Dans un contexte où les supercalculateurs sont devenus des outils stratégiques pour la recherche médicale, la simulation nucléaire et l’intelligence artificielle, l’absence de microprocesseurs européens est une faiblesse structurelle que l’Europe se doit de corriger et ce d’autant plus vite, au regard de l’actualité. Si les initiatives politiques ont permis de structurer un écosystème compétitif autour du programme EuroHPC, elles n’ont pas jusqu’ici permis l’émergence d’un champion capable de rivaliser avec Intel, AMD ou NVIDIA.
SiPearl s’inscrit dans cette volonté de souveraineté, mais avec un double défi. D’une part, prouver que son microprocesseur Rhea peut rivaliser avec les solutions existantes en termes de performances et d’efficacité énergétique. D’autre part, démontrer que l’Europe peut concevoir et produire des semi-conducteurs de pointe, sans dépendre des technologies étrangères.
High-Performance Computing: un secteur en mutation vers l’exascale
L’industrie du HPC est à l’aube de l’ère exascale, où les supercalculateurs dépasseront la barre de l’exaflop, soit un milliard de milliards d’opérations par seconde. Cet objectif s’accompagne d’un autre challenge: maîtriser la consommation énergétique de ces machines tout en garantissant leur puissance de calcul.
Les architectures dominantes du marché, largement développées par des acteurs américains et asiatiques, intègrent des CPU-GPU hybrides, optimisés pour les charges de travail en intelligence artificielle et simulation scientifique. Ces solutions bénéficient d’années d’optimisation logicielle et matérielle, et surtout, elles disposent d’un écosystème de développement bien établi.
SiPearl doit s’imposer face à ces acteurs en apportant une véritable différenciation technique. Or, jusqu’à présent, les détails sur Rhea restent limités. Le nombre de cœurs, la version PCIe supportée, le ratio FLOPS/W ou encore la gestion thermique ne sont pas encore dévoilés. Pour convaincre les acteurs du HPC, ces données doivent être mises en avant rapidement, sous peine de voir les centres de calcul privilégier des alternatives déjà éprouvées.
Rhea, un microprocesseur HPC éco-efficace et ouvert
SiPearl mise sur Rhea, une puce basée sur l’architecture Neoverse V1 d’Arm, pensée pour fonctionner avec différents accélérateurs, qu’ils soient GPU, spécialisés en intelligence artificielle ou quantiques. Cette interopérabilité, soutenue par des accords avec AMD, Intel, NVIDIA et Graphcore, constitue un atout stratégique, car elle permet aux centres de calcul européens d’intégrer Rhea sans dépendre d’une seule chaîne technologique.
L’un des arguments mis en avant est l’optimisation énergétique, qui permettrait une réduction de moitié de la consommation pour une puissance équivalente. Toutefois, sans benchmarks ou mesures concrètes, cette affirmation reste difficile à évaluer. Pour asseoir sa crédibilité, SiPearl doit rapidement publier des résultats de tests, notamment sur des opérations fondamentales comme les produits scalaires en 64-bits flottants, la gestion des unités vectorielles SVE, ou encore le scaling des fréquences en fonction du budget thermique.
L’enjeu est de prouver que Rhea n’est pas simplement un Neoverse d’Arm rebadgé avec un tampon « Made in France, BPI France approved », mais bien un microprocesseur conçu spécifiquement pour les besoins du HPC. Tant que ces résultats ne seront pas disponibles, la puce restera un concept plus qu’une alternative crédible aux solutions existantes.
Une gouvernance structurée, mais une montée en puissance à valider
Fondée et dirigée par Philippe Notton, SiPearl s’appuie sur une équipe de 130 ingénieurs répartis en France, en Allemagne et en Espagne. Le management s’est renforcé autour d’une équipe de direction expérimentée couvrant l’ensemble des fonctions stratégiques nécessaires à l’industrialisation et à la commercialisation de son microprocesseur Rhea. Aux côtés de Philippe Notton, Laure Perfetti pilote les ressources humaines du groupe, tandis que Ying-Chih Yang, en tant que Chief Technical Officer, supervise l’innovation technologique. Gaël Paul, Senior Vice-President Engineering, coordonne les développements techniques, épaulé par Vivian Blanchard, en charge de la R&D hardware, et Vincent Casillas, responsable de la R&D software et système.
Sur le volet commercial et partenariats, Christophe Ménard, Group CCO, et Craig Prunty, Vice-President Product Marketing, définissent les stratégies d’expansion et de positionnement produit. Anna Riverola, en charge du développement international et des programmes de recherche, ainsi que Matteo Tonelli, Country Manager pour l’Italie, accompagnent l’internationalisation du projet.
Les enjeux financiers et investisseurs sont gérés par Jean-Luc Gilbert, Group CFO et responsable des relations investisseurs, tandis que Cornelia Emmerlich, General Counsel, assure la gouvernance juridique du groupe.
D’ici fin 2025 Sipearl poursuit l’objectif ambitieux de renforcer ses équipes pour accélérer la production et l’optimisation de Rhea, le chiffre de 1000 collaborateurs était prévu lors du dernier tour de table, mais reste à confirmer
Toutefois, la structure fabless de l’entreprise impose une dépendance totale à TSMC pour la fabrication. À l’heure où l’industrie des semi-conducteurs fait face à des tensions d’approvisionnement et à une forte concentration des capacités de production, cette dépendance pourrait représenter une limite stratégique au développement de la société.
Diplômé de Centrale Supélec, Philippe Notton s’est toujours passionné pour l’électronique. Dès ses débuts chez Thomson en 1994, il ambitionne de concevoir du matériel électronique, posant ainsi les bases d’un parcours résolument tourné vers l’innovation.
En 1997, il rejoint Canal+ en tant que System Team Manager, à une époque où l’entreprise est à l’avant-garde de la télévision numérique. Son expertise le conduit ensuite chez MStar Semiconductor, start-up taïwanaise qu’il contribue à imposer sur le marché européen avant sa revente à MediaTek.
En 2015, il prend la tête de la division Consumer Electronics Products chez STMicroelectronics à Grenoble, mais le retrait du groupe du secteur du numérique en 2017 marque un tournant. Conscient du besoin croissant en calcul haute performance, il décide de se lancer dans une aventure entrepreneuriale.
Lorsque la Commission européenne lance un appel d’offres pour un supercalculateur européen, il intègre Atos, coordinateur du programme European Processor Initiative (EPI). En moins de deux ans, le projet voit le jour avec un soutien de 80 millions d’euros de l’Union européenne.
En juin 2019, Philippe Notton franchit une nouvelle étape en fondant SiPearl, avec pour ambition de développer Rhea, le premier microprocesseur HPC souverain et éco-efficace, dédié aux supercalculateurs européens. Un pari stratégique, visant à renforcer l’indépendance technologique de l’Europe face aux géants américains et asiatiques.
SiPearl, un acteur clé du programme EuroHPC
SiPearl bénéficie du soutien de l’initiative European Processor Initiative (EPI), qui fédère des partenaires industriels et académiques autour d’une vision commune : réduire la dépendance de l’Europe aux technologies étrangères dans le domaine du calcul haute performance. En collaborant avec EuroHPC, l’entreprise a accès à des financements et à des infrastructures stratégiques pour tester et déployer Rhea dans les supercalculateurs européens.
À terme, SiPearl ambitionne d’étendre son marché au-delà des centres de calcul européens, en exploitant le potentiel de Rhea dans des applications cloud et intelligence artificielle. Cependant, pour franchir ce cap, il faudra convaincre des clients hors des programmes financés par l’Union européenne, un défi d’autant plus grand que les alternatives concurrentes sont déjà largement adoptées par l’industrie.
Financement : 90 millions d’euros pour une première étape
SiPearl a levé 90 millions d’euros lors d’une première clôture de série A, avec la participation d’acteurs stratégiques tels que Arm, Atos (via sa filiale Eviden), le Fonds européen d’innovation (EIC Fund), l’État français via French Tech Souveraineté et la Banque Européenne d’Investissement (BEI). En incluant les subventions européennes et françaises, le financement total atteint 110,5 millions d’euros, un montant conséquent, mais encore insuffisant pour rivaliser avec les investissements réalisés par les grands acteurs du HPC.
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