
Alors que les investissements dans l’intelligence artificielle atteignent des niveaux historiques, un indicateur fondamental reste largement absent des radars : le taux d’utilisation des datacenters. Tandis que les capitales numériques du monde entier se disputent la suprématie en matière d’infrastructure, peu d’acteurs s’interrogent sur la capacité réelle de ces installations à générer de la valeur.
Une expansion à l’aveugle
De Microsoft à SoftBank, en passant par Alibaba ou Amazon, les géants technologiques investissent des dizaines de milliards dans des infrastructures physiques destinées à supporter les modèles d’IA générative. Rien qu’Alibaba a annoncé un plan de 52 milliards de dollars sur trois ans pour renforcer ses capacités cloud. Des fermes de serveurs surgissent en Inde, en Malaisie, aux Émirats ou dans le Midwest américain. À première vue, la dynamique semble rationnelle : plus de modèles, plus de serveurs, plus de puissance.
Mais comme l’a récemment souligné Joe Tsai, président d’Alibaba Group, cette frénésie d’investissement s’opère souvent sans clients identifiés, sans engagements contractuels sur l’usage, et surtout, sans indicateurs publics sur le niveau réel d’occupation des capacités installées.
Un indicateur absent des rapports trimestriels
À l’exception de rares initiatives de transparence (comme les rapports d’utilisation de Microsoft Azure dans certaines régions), la plupart des hyperscalers évitent de divulguer le taux d’occupation effectif de leurs datacenters. Cet indicateur, pourtant essentiel dans l’industrie hôtelière ou logistique, demeure absent des présentations financières des leaders de la tech.
Résultat : impossible d’évaluer la rentabilité réelle des investissements. Un datacenter sous-utilisé génère peu de revenus mais mobilise d’importants coûts fixes (immobilier, énergie, maintenance). À l’échelle macroéconomique, cette opacité alimente une bulle potentielle d’infrastructure, où la valeur anticipée de l’IA justifie une capacité largement surdimensionnée.
Build first, monetize later
La logique actuelle rappelle celle du secteur immobilier commercial avant 2008 : construire d’abord, espérer l’usage ensuite. L’IA est perçue comme une vague de transformation inévitable, ce qui légitime en apparence l’accumulation de capital physique. Mais cette approche repose sur deux hypothèses fragiles : que les usages IA vont croître de manière linéaire, et que les modèles futurs exigeront toujours plus de puissance brute.
Or, ni l’un ni l’autre n’est garanti. L’émergence de modèles frugaux remet en cause la dépendance exclusive aux architectures coûteuses. En parallèle, la maturité des cas d’usage reste limitée dans de nombreux secteurs. Peu d’entreprises hors tech ont intégré des modèles d’IA générative dans leurs processus métier à l’échelle industrielle.
Vers une mesure de la sobriété productive
Le taux d’utilisation pourrait devenir l’indicateur de référence pour distinguer les projets réellement créateurs de valeur des constructions spéculatives. Un datacenter dont les GPU tournent à 70 % de leur capacité moyenne sur l’année n’a pas le même profil de risque qu’une structure alimentée à 20 % et dépendante d’un unique client pilote.
Ce KPI permettrait également d’évaluer la sobriété productive de l’IA : combien d’énergie, combien d’infrastructure, pour quels résultats concrets ? Dans un contexte de tension énergétique croissante, cette mesure pourrait devenir un critère d’arbitrage stratégique pour les investisseurs comme pour les régulateurs.
Conclusion : le bon KPI au bon moment
L’IA ne se développera pas durablement sans indicateurs de performance rationnels. Le taux d’utilisation des datacenters doit s’imposer comme un critère central, au même titre que l’ARR ou le coût par requête. Ignorer ce signal reviendrait à piloter une révolution industrielle à l’aveugle.
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