
Et si on régulait les réseaux sociaux comme on a régulé le tabac ?
HARD RESET : la chronique qui ne résout rien, mais tente quand même.
Les effets sont connus : explosion de l’anxiété chez les adolescents, épidémie de troubles de l’attention, polarisation sociale, désinformation systémique. Pourtant, rien ne change. Parce que nous n’avons pas encore posé la seule question qui vaille : et si le problème des réseaux sociaux, c’était leur modèle économique et non leurs contenus ?
Réguler les réseaux comme on régule le tabac, ce n’est pas interdire. C’est admettre qu’un produit conçu pour nuire au long terme ne peut être encadré comme un simple service numérique. Et c’est redéfinir les règles du jeu.
Un précédent : l’industrie du tabac
Pendant des décennies, les fabricants de cigarettes ont nié le lien entre leur produit et la maladie. Puis les preuves ont été massives, accablantes, trop visibles. La société a fini par réagir : taxation, limitation de la publicité, avertissements sanitaires, interdiction dans certains lieux, financement obligatoire de campagnes de prévention.
Ce n’est pas le tabac qui a changé. C’est la régulation. Et c’est ce qui l’a rendu tolérable, sans le rendre inoffensif.
L’erreur stratégique : vouloir modérer les effets au lieu de réformer la cause
Aujourd’hui, la majorité des efforts de régulation des réseaux sociaux se concentrent sur les contenus : lutte contre la haine, la désinformation, les fake news, les deepfakes, les risques pour les mineurs.
Mais c’est comme vouloir réduire les cancers du poumon en changeant la couleur du paquet. Le problème n’est pas ce que les plateformes montrent. C’est la manière dont elles fonctionnent.
Un réseau social ne pousse pas à la haine ou à la désinformation parce qu’il est mal modéré. Il le fait parce que ce sont les contenus qui retiennent le plus l’attention — et que c’est l’unique objectif économique du système.
Ce qu’il faut réguler : la logique d’exploitation de l’attention
Le cœur du problème est simple : les plateformes maximisent le temps d’écran pour vendre plus de publicité ciblée. Elles ont donc tout intérêt à maintenir l’utilisateur dans un état de stimulation permanente, souvent émotionnelle, parfois nocive. Et chaque ajustement technique est vite contourné, tant que cette logique reste inchangée.
La nouvelle régulation doit cibler :
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- Les mécanismes de captation : scroll infini, autoplay, micro-ciblage algorithmique.
- Les incitations économiques : aligner la rentabilité sur des indicateurs de bien-être, pas d’engagement.
- Les conditions d’accès des mineurs : interdire les outils de manipulation cognitive sur les moins de 18 ans.
- La transparence algorithmique : comprendre ce qui est montré, pourquoi, et avec quel impact.
L’industrie n’évoluera pas seule
Comme pour le tabac ou l’automobile, ce ne sont pas les entreprises qui changeront volontairement un modèle qui fonctionne à merveille. Ce sont la pression collective, la volonté politique et la responsabilité des financeurs qui les y contraindront.
Certains signaux faibles émergent : retrait d’annonceurs de certaines plateformes toxiques, développement de modèles « éthiques » (bluesky), appels à une « attention economy reform ». Mais rien de structurel.
Et maintenant ?
Nous avons deux choix: Continuer à laisser les jeunes grandir dans un système qui mesure leur valeur en temps d’exposition, et qui monétise leur anxiété. Ou engager une vraie régulation de l’architecture attentionnelle des plateformes.
Non pas en censurant les contenus. Mais en attaquant la racine du problème : un design pensé pour enfermer, polariser, faire réagir et non pour instruire, relier ou construire.
Il ne s’agit pas de faire disparaître les réseaux sociaux. Il s’agit de les rendre compatibles avec l’intérêt général.