
La levée de fonds n’est pas une fin. C’est une feuille de route.
L’histoire est plus que connue : une entreprise en forte croissance lève un tour significatif, accueille de nouveaux actionnaires, définit un plan ambitieux. Et puis, quelques mois plus tard, les décisions quotidiennes reprennent le dessus. Les roadmaps s’allongent, les priorités se multiplient, les urgences prennent le pas sur la stratégie. Le cap initial s’estompe. Pourtant, il n’a pas disparu : il s’appelle la thèse d’investissement.
Cette thèse, c’est le contrat tacite entre les investisseurs et les dirigeants. Elle formalise une conviction : « en investissant dans cette entreprise, nous pensons pouvoir créer X valeur en Y années, en activant tel ou tel levier ». Cette conviction n’est pas un détail annexe. C’est la boussole. Et dans les entreprises soutenues par des fonds de private equity, c’est aussi un chronomètre.
Or, très souvent, cette boussole est perdue de vue dès la première année post-investissement. Non par malveillance, mais par friction opérationnelle. Le lancement d’un nouveau produit, l’ouverture d’un marché, une acquisition, une crise interne — tout cela détourne l’attention. L’entreprise agit, parfois efficacement. Mais elle agit à côté de sa propre trajectoire. Elle optimise en local, alors qu’elle doit maximiser en global.
Rester aligné avec la thèse d’investissement, ce n’est pas renoncer à l’agilité. C’est savoir trier entre les bonnes idées et les idées utiles maintenant. Ce n’est pas refuser d’innover. C’est choisir où investir son temps, son cash, ses talents. C’est rappeler que tout projet — même excellent — est une distraction s’il n’accélère pas directement la réalisation du plan.
Ce rappel ne doit pas venir uniquement du board. Il doit être intégré à la gestion quotidienne. Les meilleurs dirigeants utilisent la thèse d’investissement comme filtre. Lorsqu’un manager propose une nouvelle initiative, ils posent la question simple : en quoi cela sert-il le plan ?. Pas pour bloquer, mais pour arbitrer.
Ce cadre est particulièrement critique dans les dernières années d’un cycle de détention. À deux ans d’un exit, il ne s’agit plus de poser les fondations d’un projet à cinq ans. Il faut renforcer l’existant, lisser les métriques, sécuriser les revenus récurrents. C’est un exercice de discipline, pas d’exploration. Certains fondateurs s’en accommodent mal, préférant l’adrénaline à la rigueur. Mais ceux qui acceptent cette logique en tirent une double récompense : un multiple plus élevé, et une crédibilité renforcée pour leur prochain projet.
Une entreprise bien gérée n’ignore pas ses idées nouvelles. Elle les note, les classe, les priorise. Mais elle choisit le bon moment pour les activer. La thèse d’investissement n’est pas une cage. C’est une trajectoire à optimiser. Et elle est d’autant plus efficace qu’elle est rappelée, expliquée, partagée.