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Cloud souverain : on remet une pièce dans la machine ?

En lançant un nouvel appel à projets doté de plusieurs dizaines de millions d’euros, la France tente de relancer la construction d’une offre cloud indépendante. Mais cette initiative, portée par Clara Chappaz, intervient dans un contexte de dépendance critique à l’égard des géants américains. Pour l’Europe, le temps presse.

Le 14 avril dernier, lors de la Soirée de la souveraineté numérique à Bercy, Clara Chappaz, ministre déléguée à l’Intelligence artificielle et au Numérique, a confirmé le lancement d’un appel à projets « pour renforcer l’offre de services cloud » dans le cadre du plan France 2030. Montant estimé : plusieurs dizaines de millions d’euros. Objectif : faire émerger des solutions européennes compétitives, capables d’intégrer les dernières avancées technologiques, notamment en intelligence artificielle.

Cette relance marque un tournant. Elle clôt une décennie d’impasses, d’annonces sans lendemain et de compromis techniques. Le cloud souverain, longtemps perçu comme un mirage technocratique, revient sur le devant de la scène comme condition sine qua non de l’autonomie stratégique européenne.

Une dépendance devenue critique

Aujourd’hui, l’offre cloud en France est contrôlée par les GAFAM. Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud trustent les appels d’offres publics, hébergent les données sensibles des grandes entreprises et opèrent les infrastructures critiques. Ce déséquilibre technologique se double d’un risque juridique : les acteurs américains restent soumis au Cloud Act, qui autorise les autorités américaines à accéder aux données, même hébergées hors du territoire des États-Unis.

Le précédent du Health Data Hub, attribué à Microsoft, a illustré la vulnérabilité du système. En dépit des alertes de parlementaires, d’experts et d’acteurs industriels français, le gouvernement a maintenu le choix d’un fournisseur soumis à une législation extraterritoriale.

L’échec du premier cloud souverain

La promesse d’un cloud souverain français n’est pas nouvelle. En 2012, les projets Cloudwatt (Orange-Thales) et Numergy (SFR-Bull) avaient été lancés avec le soutien de l’État, qui y a laissé de sa poche 75 millions d’euros sur les 150 prévus. Dix ans plus tard, les deux initiatives sont mortes-nées, étouffées par leur gouvernance instable, une offre peu compétitive et l’absence d’adoption par les administrations.

Face à cet échec, le gouvernement a révisé sa position. En 2021, il opte pour une solution hybride : le cloud de confiance. Ce label, encadré par l’ANSSI, permet à des filiales de GAFAM opérées par des acteurs français (S3NS pour Google/Thales, Bleu pour Microsoft/Orange/Capgemini) de proposer des services sécurisés, conformes au RGPD et placés sous gouvernance française. Cette solution reste cependant techniquement dépendante des briques logicielles américaines.

Une relance plus réaliste ?

La nouvelle initiative portée par Clara Chappaz se distingue par une articulation claire entre financement public, mobilisation industrielle et volonté politique. L’appel à projets vise explicitement à bâtir des alternatives performantes, capables de rivaliser avec les hyperscalers américains, sur des segments stratégiques : IA, données de santé, défense, services publics.

En parallèle, un Observatoire de la souveraineté numérique sera mis en place, pour cartographier les dépendances technologiques françaises et guider les politiques industrielles. Le Comité stratégique de filière “Logiciels et solutions numériques de confiance”, piloté par Michel Paulin, ex-CEO d’OVHcloud, a été mobilisé pour assurer la coordination entre entreprises, administration et recherche.

L’Europe comme horizon, ou comme alibi ?

Si la France veut peser, elle devra s’inscrire dans une dynamique européenne. Mais les divergences persistent. L’Allemagne privilégie l’approche industrielle via Gaia-X, encore embryonnaire. L’Italie et l’Espagne multiplient les partenariats avec Microsoft et Amazon. Sans convergence politique rapide, le risque est de voir l’Europe rater une nouvelle fois la constitution d’un marché unifié du cloud.

L’enjeu dépasse la technique. Il touche à la capacité de l’Europe à défendre une souveraineté juridique, économique et démocratique dans un monde fragmenté. Comme l’a rappelé Clara Chappaz : « Il n’y a pas de prospérité économique durable sans souveraineté numérique. » À l’heure de l’intelligence artificielle, du chiffrement post-quantique et des tensions géopolitiques, cette affirmation relève moins de la posture que de la nécessité.

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