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Le vrai obstacle au changement : quand les dirigeants répondent à la peur par des slides

Kodak avait les bonnes données. Elle avait même les bonnes équipes. Ce qu’elle n’avait pas, c’était l’écoute. Alors que la photographie numérique émerge, la direction se rassure avec des projections linéaires, des analyses de marché, des modèles éprouvés. Les présentations s’enchaînent, les slides défilent. Mais dans les bureaux, les salariés doutent. Les signaux faibles se multiplient. La résistance s’installe.
Kodak a raté sa transition. Pas par manque d’information. Par excès de rationalité.

Ce cas n’est pas isolé. Il illustre un problème structurel dans la conduite du changement : on tente de désamorcer une émotion avec un raisonnement. Et cela ne fonctionne jamais.

Le mythe de la résistance au changement

Les dirigeants répètent souvent la même formule : « les gens n’aiment pas le changement. » C’est inexact. Les individus n’ont pas peur du changement en tant que tel. Ils redoutent la perte de ce qui fonctionne encore pour eux. Ce n’est pas l’évolution qui dérange, c’est la rupture brutale. Ce n’est pas la nouveauté qui inquiète, c’est le sentiment d’être relégué, déstabilisé, ou rendu inutile.

Une réorganisation, un nouvel outil, une nouvelle stratégie… Chaque initiative est analysée à l’aune de son impact individuel.

    • Ma fonction est-elle menacée ?
    • Mon expertise reste-t-elle pertinente ?
    • Ma trajectoire va-t-elle s’interrompre ?

Ces questions ne sont pas exprimées dans les comités, mais elles structurent en profondeur les réactions internes.

Le réflexe managérial : l’argumentaire rationnel

Face à l’inquiétude, les dirigeants déploient des présentations structurées, des études d’impact, des scénarios. Le changement est présenté comme logique, bénéfique, nécessaire. Tout est justifié. Sauf l’essentiel : la peur n’est pas rationnelle.

C’est l’erreur la plus fréquente : adresser une émotion par un fait. On croit convaincre en rassurant par les chiffres, les bénéfices collectifs, les objectifs long terme. Mais ce que vit un salarié confronté à une transformation, c’est un trouble personnel, immédiat et émotionnel.

Une courbe de croissance ne rassure pas celui qui craint de devenir inutile.
Une roadmap n’apaise pas celui qui pense qu’on l’écarte sans le dire.

Une résistance émotionnelle souvent mal interprétée

Lorsqu’un salarié s’oppose frontalement à une décision ou manifeste une hostilité disproportionnée à une consigne mineure, ce n’est presque jamais le sujet réel. Il faut savoir entendre ce que masque la surface. Une règle empirique issue du terrain le résume ainsi :

« Si la réaction dépasse 5 sur 10, ce n’est pas le vrai sujet. »

Ce n’est pas la procédure qui irrite. C’est ce qu’elle représente : une perte d’autonomie, une remise en cause du rôle, une fragilisation tacite.

Le rôle oublié du dirigeant : écouter, sans promettre

Il ne s’agit pas de renoncer au changement. Ni de valider toutes les inquiétudes. Mais de reconnaître les émotions qui accompagnent la transition. Ce que demandent les collaborateurs n’est pas toujours d’avoir raison. C’est d’être entendus. De sentir que leur voix compte, même si la décision reste inchangée.

L’écoute ne retarde pas le changement. Elle en sécurise l’ancrage.

Dans les entreprises qui réussissent leur transformation, les dirigeants consacrent du temps — réel, non simulé — à comprendre les freins non exprimés. Ils savent qu’un projet stratégique se joue moins sur une slide que dans un bureau, à huis clos, quand un manager prend une heure pour accueillir les peurs de son équipe.

Une condition sine qua non à toute transformation

La conduite du changement ne repose pas sur une meilleure communication descendante. Elle repose sur la reconnaissance des attachements invisibles, de ce qui risque d’être perdu ou bousculé.

Si les organisations veulent changer, elles doivent cesser de traiter l’émotion comme un bruit parasite. Car tant qu’un salarié ne se sent pas vu, écouté et respecté, il ne bougera pas. Ou bien, il bougera en façade, mais résistera en profondeur.

 

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