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Apple et Meta face au DMA : la fin du consentement piégé et des écosystèmes fermés ?

La Commission européenne a infligé ses premières sanctions au titre du Digital Markets Act (DMA). Deux géants américains sont concernés : Apple, condamné à 500 millions d’euros pour ses pratiques restrictives sur l’App Store, et Meta, sanctionné à hauteur de 200 millions d’euros pour son modèle publicitaire dit “Consent or Pay”. Deux décisions distinctes mais un même message : les géants du numérique doivent désormais se conformer à des règles européennes strictes qui visent à rétablir un équilibre entre utilisateurs, développeurs et plateformes.

Apple : la fin d’un jardin clos

Le grief principal porté contre Apple concerne l’interdiction faite aux développeurs d’informer librement les utilisateurs d’offres disponibles en dehors de l’App Store, une pratique connue sous le nom de « anti-steering ». Or, selon le DMA, les développeurs doivent pouvoir « informer les utilisateurs, gratuitement, d’offres alternatives en dehors de la plateforme, et les y orienter ».

La Commission a constaté que les restrictions imposées par Apple – techniques comme contractuelles – empêchaient cette liberté. Les développeurs restent dépendants de l’App Store, sans possibilité effective de proposer des solutions concurrentes aux utilisateurs. Ceux-ci, de leur côté, n’ont pas accès à des offres potentiellement moins chères.

« Apple empêche les développeurs d’applications de bénéficier pleinement des canaux de distribution alternatifs […] et ne permet pas aux consommateurs de profiter des offres alternatives et meilleur marché », affirme la Commission, ajoutant que la firme « n’a pas démontré que ces restrictions étaient objectivement nécessaires et proportionnées ».

L’entreprise est sommée de retirer ces limitations dans un délai de 60 jours. En cas de non-respect, des astreintes financières journalières pourraient être imposées.

Meta : le consentement ne se paie pas

Du côté de Meta, la Commission s’est penchée sur le modèle publicitaire mis en place en mars 2024 pour Facebook et Instagram dans l’Union européenne. Ce modèle, présenté comme un choix, obligeait les utilisateurs à consentir à la combinaison de leurs données personnelles pour bénéficier d’un service gratuit, ou à payer un abonnement mensuel pour accéder aux plateformes sans publicité personnalisée.

Ce dispositif est incompatible avec l’esprit et la lettre du DMA, qui impose que les utilisateurs puissent refuser l’usage intensif de leurs données sans pour autant perdre l’accès à un service équivalent. Le modèle de Meta a été jugé trop binaire, contraignant, et dépourvu de réelle alternative gratuite.

« Le modèle ‘Consent or Pay’ n’est pas conforme au DMA, car il ne proposait pas aux utilisateurs le choix requis d’un service utilisant moins de leurs données personnelles, mais restant équivalent au service avec publicité personnalisée », précise la Commission.

En novembre 2024, Meta a tenté de corriger le tir avec une nouvelle version de son modèle publicitaire, censée recourir à moins de données. Ce système est encore à l’étude, mais la décision de non-conformité rendue aujourd’hui porte sur la période de mars à novembre 2024, durant laquelle seule l’option binaire était disponible.

Un tournant dans la régulation numérique européenne

Ces sanctions illustrent la montée en puissance du DMA comme outil de régulation des pratiques monopolistiques. Elles marquent aussi un changement d’approche, plus direct et punitif que les longues procédures antitrust habituelles. Le texte permet à la Commission d’imposer des amendes allant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises concernées.

« Le Digital Markets Act est un instrument crucial pour garantir des marchés numériques contestables et équitables. Il protège les consommateurs européens et rétablit des conditions de concurrence équitables », a déclaré Teresa Ribera, vice-présidente exécutive pour la transition juste et compétitive.

Henna Virkkunen, vice-présidente pour la souveraineté technologique et la démocratie, a ajouté : « Les décisions adoptées aujourd’hui constatent qu’Apple et Meta ont privé leurs utilisateurs de ce libre choix, et ils sont tenus de modifier leur comportement. »

Vers une redéfinition des modèles dominants ?

Derrière ces sanctions se dessinent des transformations profondes des modèles économiques des plateformes numériques. Pour Apple, il s’agit de repenser une stratégie fondée depuis des années sur le contrôle de bout en bout de son écosystème. Pour Meta, c’est la monétisation par la donnée personnelle qui est remise en question.

La portée symbolique est forte : l’Union européenne se positionne comme pionnière d’une régulation proactive, où la protection du choix, de la vie privée et de la concurrence prévaut sur les logiques de rente. Apple et Meta, sommés de s’adapter, inaugurent probablement une nouvelle jurisprudence. Les autres « gatekeepers » (Google, Amazon, Microsoft, ByteDance…) sont d’ores et déjà avertis.

Apple conteste une décision qui la « cible injustement » et l’oblige à « donner gratuitement » sa technologie. Meta dénonce une politique à deux vitesses favorisant les entreprises européennes et chinoises. À Washington, la Maison-Blanche qualifie ces sanctions de « nouvelle forme d’extorsion économique », et accuse l’UE d’ériger des barrières commerciales déguisées sous couvert de régulation numérique.

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