Conseils aux politiques pour aller sur Twitter par Thierry Do Espirito
Ça m'a énervé. J'ai lu récemment dans le Figaro un nième dossier sur les stars du net. Comme souvent, c'est le genre d'article qui ne s'intéresse qu'à l'écume, mélange des choux et des carottes et ressasse les habituels clichés des experts autoproclamés du net (quand je dis ça, je ne parle pas des blogueurs cités dans l'article, bien entendu…). Une phrase m'a néanmoins fait sursauter. Je vous la resitue dans son contexte.
«Chaque jour, une revue du net arrive sur le bureau du directeur de cabinet, souvent corrosive. Car le net français est à l'image du génie national, massivement râleur et caustique. «C'est le talent du veilleur de savoir interpréter les données, les pondérer», explique Mathieu Morgensztern, qui dirige l'agence Isobar, chargée de certaines campagnes du service d'information du gouvernement (SIG). A l'Elysée, la cellule net s'est étoffée et pourrait bientôt dépasser celle d'analyse des médias traditionnels, reconnaît Franck Louvrier, le conseiller communication du Président. Mais les blogs ne font pas les élections et l'influence du net reste faible en matière politique...»
Donc on a des politiques, qui ne connaissent rien à internet, et qui demandent à leurs services de leur fournir tous les jours une analyse du net. Comme ces services n'y connaissent rien non plus, ils font appel à des sociétés extérieures. Et tout ça fait une activité qui va bientôt dépasser l'analyse des médias traditionnels. Mais dont on a à peu près rien à foutre, car tout ce beau monde a décrété que l'influence du net restait très faible en politique. Notez bien la cohérence du raisonnement… Je vais faire un tour juste pour me calmer et je reviens.
L'influence d'internet sur la politique est tellement faible qu'on peinerait à se souvenir d'un moment où elle a, ne serait-ce qu'un instant, bousculé un peu les agendas et les certitudes. Et si c'est le cas, ce n'est pas une influence saine, c'est un scandale. Quand Brice Hortefeux est pris la main dans le sac avec ses propos douteux sur les Auvergnats trop nombreux, ce n'est pas la faute de France Télévisions qui a filmé son dérapage, c'est celle d'Internet qui a relayé les images caviardées par la direction. Hurlements dans la classe politique. Quand deux députés (Favennec et Tardy) décident de tweeter les échanges auxquels ils assistent, lors de l'audition des dirigeants de la Fédération Française de Football, après la désastreuse coupe du Monde sud-africaine (par parenthèse, je ne comprends toujours pas pourquoi on n'avait pas le droit de voir ça à la télé…), nouveaux cris d'orfraie. Mais cette fois, venus du côté des journalistes old school (Jean-Michel Aphatie et consorts), grillés dans leur position de relais incontournables de l'information. Prière d'utiliser les canaux estampillés. A part vider les poubelles, dans leur esprit, Internet ne sert à rien. Et Twitter, n'en parlons pas. Eh bien si, justement, parlons-en.
Je me suis promené par curiosité sur quelques dizaines de compte twitter de politiques. Résultat, à quelques très rares exceptions près, c'est consternant. Je voulais absolument vous éviter les habituels tableaux d'honneur : «En hausse», «En baisse», «Les dix premiers ceci», «Les dix plus plus gros cela». En suivant ce raisonnement, j'aurais abouti à compter les followers et les tweets. Et j'aurais proféré les habituelles âneries énoncées plus haut. J'ai fait comme le font parfois les consultants face à un énorme tas de dossiers : ne jamais se laisser impressionner par la masse. Et rester pragmatique. On prend quelques dossiers au hasard, comme ils viennent, on se fait une idée, et on commence à classer le tas, en corrigeant les critères au fur et à mesure. Je laisse à quelques rares spécialistes des études le soin d'en tirer les conclusions qui s'imposent et d'élaborer leurs propres modèles critiques. Les comptes Twitter que j'ai consultés sont présentés dans une seconde note.
Une fois n'est pas coutume, je vais commencer par les conseils à suivre, issus d'une simple observation de ces comptes Twitter. Chacun le prendra comme il peut. Désolé, mais je ne vais pas prendre de gants. Je ne suis pas là pour vous vendre des services (même si c'est mon métier, vous voyez un peu mon abnégation…), mais pour vous dire ce qu'il faut faire et surtout ne pas faire. Ça ne vous fera peut-être pas plaisir, mais vous allez gagner un temps fou, croyez-moi.
Conseil n°1 – La politique se fait aussi sur Twitter
C'est dingue, ça permet d'exprimer des pensées, des réactions, des points de vue, et de les partager instantanément et sans intermédiaire. Je rappelle que c'est notamment grâce à son activisme sur Twitter et Facebook (donc aux médias sociaux) que Barack Obama a été élu. Je sais, c'est agaçant de le rappeler (surtout après le résultat des "Midterm Elections"). Mais la masse flottante qui fait les élections est toujours décisive. Alors autant ne pas prendre les internautes pour des truffes et faire en sorte de les traiter correctement, comme n'importe quelle cible électorale. C'est votre boulot, non ? Et puis beaucoup de gens simplement intéressants sont présents sur twitter. Donc allez déjà y faire un tour, si ce n'est pas le cas. Vous verrez que ça ne ressemble pas du tout aux portraits accablants qu'en font certains médias.
Conseil n°2 – Apprenez à vous en servir vous-même !
C'est évidemment bien plus simple de sous-traiter. Vous avez peut-être un chauffeur, mais vous savez conduire, non ? Il me semble bien que vous avez tous un portable et que vous ne laissez pas les autres répondre. Alors utilisez ce portable ou votre micro-ordinateur. Vous allez me dire, vous êtes tout le temps en train de serrer des paluches ou de signer des parapheurs… Oui, mais vous avez aussi des temps de transport, des breaks, des suspensions de séances, des escales techniques aux toilettes, comme les autres, non ? Alors oubliez l'assistant ou la chargée de communication, et faites fonctionner vos petits doigts boudinés. Ça vous prendra quelques heures pour vous former, mais si vous ne le faites pas, vous serez toujours tributaire des autres, vous ne comprendrez rien aux usages. Et vous serez incapables de réagir en temps opportun quand vous serez au beau milieu d'une tourmente quelconque. Demandez à un ami ou à un collègue de vous aider. Et même si vous vous trompez, on ne vous en voudra pas. Vous le direz et ça sera juste oublié. C'est d'ailleurs un autre conseil : soyez franc. Si vous dites une connerie, eh bien reconnaissez-le. Ça arrive à tout le monde, je vous rassure. C'est le déni et le mensonge qui sont catastrophiques et qui ouvrent un boulevard aux commentateurs malveillants.
Conseil n°3 – Publiez des choses intéressantes
Evitez de saouler ceux qui vous suivent avec vos interviews à la télé, les inaugurations des chrysanthèmes et les tables-rondes pour l'emploi. Ceux qui sont sur twitter n'iront à ces événements que si ça vaut le coup. Alors creusez-vous la tête. Soit vous êtes le dernier des nuls et votre pensée du jour se résume à "En route vers le studio de iTélé". Soit vous êtes un type ou une nana juste comme les autres et vous avez de temps en temps des idées intéressantes qui vous passent par la tête. Par exemple:
– Une question que vous posez innocemment et qui ferait vraiment avancer le schmilblick si on pense que vous avez trouvé la réponse…
– Un document intéressant à partager plutôt que de le laisser dormir dans un coin…
– Une situation inédite à laquelle vous assistez, en temps qu'observateur privilégié (vous pouvez même faire une photo, vous avez le droit, vous savez…).
– Une information exclusive qui ne sortira pas avant quelques heures ou quelques jours (si c'est l'heure de votre permanence électorale, envoyez le communiqué par fax à la PQR…).
– Une indignation pas téléphonée. Je vais être cynique, mais c'est pour être pédagogique. Tout le monde sait que vous êtes contre la faim dans le monde, l'arrestation des dissidents chinois ou la lapidation en Iran. Si vous avez une position originale, faites un texte, un vrai beau texte, postez-le sur votre blog, et postez un lien sur twitter, avec cinq mots juste devant : «Pourquoi il faut libérer X». Mais écrire un beau texte, ce n'est pas donné à tout le monde. Abstenez-vous si ce n'est pas votre truc.
Conseil n°4 – Triez dans votre réseau
Si vous avez 100 personnes qui vous suivent, ce n'est pas la même chose que si vous en avez 1000, quand vous publiez quelque chose. Et si vous avez 10 000 clampins inactifs, c'est de la confiture donnée aux cochons. Vous pouvez accepter pas mal de gens, vous êtes des personnalités, ne l'oubliez pas. En retour, vous n'êtes pas obligé de suivre vraiment tout le monde. Faites-vous une liste à vous et rangez-y ceux qui ont un vrai intérêt dans le partage instantané. C'est bien de suivre Nicolas Sarkozy, mais vous avez plus de chance de le voir en vrai que de lire un de ses tweets. D'ailleurs, ils ont tous été effacés… Choisissez des gens qui peuvent nourrir vos réflexions, des gens vifs, actifs, avec lesquels vous pouvez avoir de vraies discussions. Pas des noms juste pour faire beau, branché ou politiquement correct. Triez, n'ayez pas peur, tout le monde le fait, surtout les plus actifs sur tweeter, même s'ils ne vous l'avoueront jamais. Et proposez en retour des infos qui soient remarquables dans le flot reçu tous les jours. Twitter, c'est comme le blog. Avant d'appuyer sur le bouton “Publier”, demandez-vous si ça vous intéresserait de le lire.
Conseil n°5 – Ajoutez de la valeur
Vous pouvez partagez plein d'autre chose que de l'information brute. Postez des vidéos, des photos (avec twitpic ou yfrog), de la musique (avec spotify ou deezer, par ex.). Mais -il y a un énorme MAIS- accompagnez ça d'un bout de phrase qui donne envie. Encore une fois, posez vous la question de ceux qui vont ouvrir ou pas votre le lien. Ou qui vont juste lire vos tweets. Si c'est pour mettre "J'adore!" devant un lien renvoyant vers "Sympathy for the devil" des Rolling Stones, imaginez-vous que vous n'êtes pas le seul ! Or vous serez remarqué si vos tweets apportent de la valeur ajoutée, surtout quand vous republiez des contenus postés ou repérés ailleurs.
Conseil n°6 – Apprenez à compter…
On ne peut mettre que 140 caractères. Ben désolé, c'est comme ça. Alors inutile de biaiser. La suite sera coupée, si vous essayez de passer outre. Et si vous republiez automatiquement un billet de votre blog sur twitter, sachez que Twitter ne prend toujours que 140 caractères, moins le lien vers la note. C'est bien essayé, mais non… Alors arrangez-vous pour que le titre de votre billet soit court. Et pas emphatique. Sinon, on aura un truc du genre
@Jean_Dupont : Jean Dupont annonce qu’il se prononce pour le projet de loi élaboré en commission : «C’est une victoire pour toutes… http://on.fb.me/9nnXC5
Et là, vous passerez vraiment pour une grosse brêle.
Conseil n°7 – Pratiquez, pratiquez…
Un tweet tous les 36 du mois, c'est juste pas possible et c'est de l'énergie perdue pour rien. Ne me faites pas croire que vous êtes surbooké, etc. Certains qui le sont plus que vous y parviennent sans difficulté. J'accède moi-même sans problème -et sans gloire particulière- à des gens qui ont des occupations autrement plus prenantes que les vôtres.
Conseil n°8 – N'allez pas sur twitter pour tweeter…
On l'a dit et répété : Twitter est un site basique. Choisissez une application qui vous permet de tweeter selon vos besoins : tweetdeck, seesmic, hootsuite, j'en passe et des meilleurs. Vous pourrez trier vos suiveurs, suivre plusieurs profils (facebook, twitter, linkedin, etc.), suivre des mots clés particuliers, etc.
Je publierai demain les comptes twitter que j'ai observés pour écrire cette note. Ça va charcler…
Retrouvez Thierry Do Espirito sur son blog: L’atelier Ted et Eux et sur Twitter: http://twitter.com/Doespirito
Je partage votre énervement sur les médias dit traditionnels dont le point de vue est souvent considéré comme plus légitime que les nouveaux médias, y compris pour parler de ces derniers. Quant aux politiques, si certains pensent sérieusement que les médias sociaux sont un phénomène négligeable, il faut faire confiance à l'autorégulation… Gageons qu'ils n'auront pas, à terme, beaucoup d'impact dans la vie politique française, et que d'autres sauront s'intéresser à cette profonde évolution sociétale.
C'est vrai que les médias parlent souvent sans savoir, et savoir, pour les médias sociaux, c'est d'abord les pratiquer. La vision qu'en ont beaucoup de politiques, par ailleurs, c'est une sorte de bouton sur lequel on pourrait appuyer pour diffuser leurs propres infos.