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AgTech en Europe : un secteur en mutation face au retrait des corporate ventures

Edition spéciale Salon de l'Agriculture 2025

L’AgTech traverse une période de transformation profonde. Longtemps soutenue par les investissements en Corporate Venture Capital (CVC), l’innovation agricole doit aujourd’hui composer avec une réduction significative des financements. Plusieurs acteurs majeurs du secteur, à l’image de FMC Ventures, ont mis fin à leurs investissements en capital-risque, tandis que le fonds commun Bayer-Trendlines AgTech Fund, initialement prévu jusqu’en 2025, a été dissous fin 2024. Ce repli marque un changement d’approche des grandes entreprises, qui privilégient désormais les acquisitions ciblées et les investissements stratégiques à court terme plutôt que le soutien aux jeunes entreprises en phase de développement.

Depuis plusieurs années, le secteur de l’AgTech connaît une contraction progressive des investissements en capital-risque. Les chiffres sont éloquents : selon PJ Amini, directeur senior chez Leaps by Bayer, les financements en AgTech ont chuté de 30 à 40 % par an depuis le début de la décennie, après un pic d’activité en 2018. Cette période d’euphorie avait vu affluer des investisseurs issus d’horizons divers, notamment de la biotechnologie et des technologies numériques, attirés par le potentiel de transformation du secteur agricole. Mais les spécificités de l’AgTech – cycles de développement longs, forte dépendance aux saisons agricoles, complexité des canaux de distribution – ont rapidement dissuadé de nombreux fonds non spécialisés.

Ce mouvement ne signifie pas la fin des opportunités pour les startups du secteur, mais il impose une réorientation de leurs stratégies de financement. En Europe, où le CVC en AgTech a toujours été moins développé qu’aux États-Unis, les entrepreneurs doivent désormais s’appuyer sur d’autres leviers pour assurer leur croissance et financer leur développement.

Un environnement plus exigeant pour les startups AgTech

Paradoxalement, alors que l’investissement en AgTech connaît un ralentissement global, certaines startups continuent de lever des montants significatifs, prouvant que le marché conserve un attrait pour les fonds de capital-risque. 80 Acres Farms, spécialisée dans l’agriculture en intérieur, a levé 115 millions de dollars en février dernier. Inari, qui développe des semences génétiquement modifiées, a bouclé un tour de 144 millions de dollars en janvier 2025, avec une valorisation de 2,17 milliards de dollars, tandis que Carbon Robotics, fabricant de robots désherbeurs automatisés, a obtenu 70 millions de dollars en octobre 2024. Les entreprises capables de démontrer un modèle économique clair et scalable parviennent encore à attirer des investisseurs.

Vers de nouveaux modèles de financement et de développement

Face au retrait des corporate ventures, les startups AgTech doivent se tourner vers d’autres sources de capitaux. Le capital-risque spécialisé en AgTech constitue une alternative viable, avec des fonds comme Astanor Ventures, Capagro et Anterra Capital, qui concentrent leurs investissements sur des thématiques porteuses telles que l’agriculture régénérative, la biotechnologie et l’intelligence artificielle appliquée aux cultures. Plusieurs startups européennes ont récemment bénéficié de leur soutien, à l’image d’Agronutris, acteur français de la bioconversion des insectes, et de Biome Makers, entreprise espagnole spécialisée dans l’analyse du microbiome des sols grâce à l’IA.

La France, premier producteur agricole européen et sixième exportateur mondial de produits agroalimentaires, occupe une place centrale dans l’AgTech et la FoodTech. Entre 2020 et 2022, les investissements publics dans le secteur ont doublé, témoignant d’une volonté politique forte de soutenir l’innovation, aussi bien pour les start-ups que pour les grandes entreprises.

En 2023, les levées de fonds des jeunes pousses françaises de l’AgTech et de la FoodTech ont atteint 490 millions d’euros, avec dix opérations comprises entre 10 et 50 millions d’euros, soit près de 18 % des financements du secteur. Cette dynamique s’accompagne d’une intensification des collaborations entre start-ups et entreprises établies, favorisant l’émergence de nouvelles technologies à même de transformer le modèle agricole.

Toutefois, le secteur reste confronté à plusieurs défis structurels. Si les innovations technologiques ambitionnent de réconcilier productivité et empreinte environnementale, leur impact sur la rentabilité des exploitations demeure incertain, freinant l’adoption par les agriculteurs. Les cycles de vente longs, la complexité de l’accès au marché et la forte concentration des canaux de distribution entre les mains des coopératives et négociants limitent l’entrée des start-ups sur le terrain, réduisant leur capacité à s’adresser directement aux exploitants. Cette barrière freine l’enthousiasme des investisseurs en capital-risque, qui peinent à être convaincus par les coûts d’acquisition élevés et les modèles économiques encore fragiles des entreprises innovantes du secteur.

De son coté, l’Union européenne joue un rôle clé dans le financement de l’AgTech à travers des programmes comme Horizon Europe, qui soutient les projets de transition écologique et d’innovation agricole. Des initiatives nationales, comme EIT Food, BPI France et l’Innovation Fund, offrent des opportunités complémentaires aux startups cherchant à diversifier leurs sources de financement. Micropep, entreprise française développant des biopesticides à base de peptides, témoigne de cette approche en combinant levées de fonds privées et subventions publiques pour accélérer son développement.

Outre la recherche de nouveaux investisseurs, certaines startups adaptent leur modèle économique pour atteindre plus rapidement la rentabilité. Plutôt que de dépendre uniquement des levées de fonds, elles privilégient des stratégies commerciales mieux adaptées aux cycles longs de l’AgTech. Agreenculture, spécialiste de la robotique agricole, mise sur un modèle hybride combinant vente et location de ses machines pour assurer une adoption rapide tout en maîtrisant ses coûts. Avant de se faire racheter par Raven Industry, la startup grecque Augmenta, qui conçoit des capteurs pour l’optimisation de la fertilisation, avait choisi d’établir des partenariats solides avec des distributeurs afin de s’intégrer plus rapidement aux circuits de vente existants.

L’innovation, clé de la compétitivité dans un marché en mutation

Reste que l’innovation continue de jouer un rôle central dans la transformation du secteur. Les avancées en génétique végétale, par exemple, ouvrent des perspectives considérables. Selon PJ Amini, la maîtrise de la lecture et de l’écriture du génome végétal a déjà permis d’augmenter les rendements jusqu’à un facteur dix sans modification génétique invasive. L’épigénétique, qui modifie l’expression des gènes sans altérer l’ADN, pourrait également révolutionner la sélection variétale en contournant les obstacles réglementaires liés aux OGM.

Parallèlement, l’intelligence artificielle et l’automatisation gagnent du terrain dans l’AgTech. L’essor des agronomes virtuels, capables d’optimiser la gestion des cultures, et le développement de drones et de robots agricoles, destinés à pallier la pénurie de main-d’œuvre, illustrent cette dynamique. L’utilisation des drones dans l’agriculture aurait d’ailleurs été multipliée par trois ces dernières années, facilitant l’irrigation, la fertilisation et la surveillance des parcelles.

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