HARD RESET

Airbnb, Booking, Microsoft, Google… et si le vrai déficit commercial était digital ?

HARD RESET : la chronique qui ne résout rien, mais tente quand même.

Parler de déficit commercial en Europe, c’est souvent agiter les mêmes symboles : nos voitures, nos machines, nos textiles que nous vendons ou importons, nos excédents (allemands), nos faiblesses (françaises). Mais pendant qu’on regarde les containers, une autre hémorragie passe sous les radars : celle des bénéfices numériques. Silencieuse, opaque, mais massive.

Dans cette nouvelle économie, les profits ne se voient plus dans les usines, mais dans les centres serveurs.

Les géants du numérique captent 90 % du profit publicitaire mondial

Prenons un indicateur simple : le marché de la publicité digitale mondiale.
En 2023, Google, Meta et Amazon ont capté près de 90 % des profits mondiaux du secteur. Ce n’est pas un marché en tension : c’est une occupation. Et le territoire occupé, c’est l’Europe.

Chaque clic sur une pub en ligne, chaque réservation sur Airbnb, chaque requête tapée sur Google, alimente une valeur créée ici… mais rapatriée là-bas. Le cloud de Microsoft, le tracking de Google Analytics, les marketplaces d’Amazon : ce sont autant de tuyaux à bénéfices installés directement au cœur de notre économie.

Les plateformes ne vendent pas des produits, elles absorbent notre PIB

Airbnb n’a pas de lit en France, mais elle encaisse les frais. Booking n’a pas un seul hôtel, mais prélève sa dîme sur chaque nuitée. Microsoft ne construit pas d’ordinateur ici, mais touche chaque entreprise à travers Teams, Office et Azure.

Et aucune de ces sociétés ne crée de chaîne de valeur locale proportionnelle à leurs revenus.
Le centre de gravité de la création de valeur — et donc de l’impôt, de l’emploi qualifié, de la capacité d’investissement — est ailleurs.

En résumé, le cœur de l’économie digitale européenne bat à Mountain View, Redmond ou Seattle.

Un flux de capitaux invisibles traverse l’Atlantique

Chaque mois, des milliards d’euros partent discrètement :

    • profits consolidés dans des holdings,
    • redevances versées pour des licences logicielles,
    • commissions sur transactions,
    • abonnements SaaS,
    • dépenses cloud,
    • campagnes Google Ads ou Meta Ads.

Aucune balance commerciale ne le montre clairement. Et pourtant, ce déficit digital est structurel et exponentiel. On investit, on produit, on consomme… mais les profits finaux échappent au continent.

Les biens sont devenus secondaires. La bataille est logicielle.

“Le monde est entré dans Matrix. Et dans Matrix, ce sont les GAFAM qui captent 90 % des profits.”
Cette phrase, prononcée par Nicolas Dufourcq (DG de Bpifrance), est plus qu’un bon mot. Elle décrit une bascule historique : nous avons cessé de faire la guerre économique sur le bon front.

L’Europe se rassure encore en exportant ses biens. Mais la marge, la donnée, la scalabilité, la propriété intellectuelle, tout cela est ailleurs.

Un rééquilibrage est-il possible ?

Oui, mais il faut changer de posture.

    • Fiscalement : l’Europe doit harmoniser les règles fiscales entre pays, imposer un taux d’imposition minimum effectif commun, taxer les profits là où la valeur est réellement créée, renforcer la transparence des flux intra-groupe, et sanctionner les États membres qui facilitent l’optimisation agressive. Appliquer strictement les directives européennes sur la taxation des plateformes (DMA/DSA).
    • Stratégiquement : conditionner les appels d’offres publics à des fournisseurs européens lorsqu’ils existent.
    • Culturellement : faire émerger un réflexe souverain dans les choix logiciels, cloud et IA.

C’est toute la différence entre consommer américain et construire européen.

L’Europe ne manque pas de talents. Elle manque de bons réflexes.

Le sujet n’est pas que politique ou macroéconomique. Il est existentiel pour nos entreprises.
À chaque fois qu’un acteur public ou privé choisit une solution américaine sans challenger une alternative locale, il finance indirectement le prochain cycle d’innovation… américain.

Si l’on veut que Mistral (IA), OVH (cloud), Qonto (fintech), ou Alan (santé) deviennent autre chose que de belles exceptions, il faudra aligner nos comportements avec nos ambitions.

Le vrai déficit n’est pas commercial. Il est stratégique. Et il commence à la ligne de commande.

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