Amazon Prime : la machine à transformer des clients en abonnés fidèles
Par Tom Morisse, research manager chez Fabernovel
L’économie de la souscription dévore le monde : de la musique (Spotify) à la beauté (Birchbox) en passant par l’alimentation (HelloFresh), l’expérience client via un abonnement affecte de plus en plus de secteurs. Si une entreprise incarne particulièrement cette évolution de l’économie, c’est bien Amazon, avec son offre Prime lancée dès 2005 aux Etats-Unis.
La révolution Prime
Amazon Prime constitue une véritable révolution commerciale, car elle apparaît au premier abord comme un non-sens économique : pourquoi proposer un abonnement à 49 euros (en France) quand le coût des avantages associés (livraison gratuite en 2 jours, streaming de musique et vidéo, promotions exclusives…) est évalué à près de 670 euros?
Prime illustre en fait un principe clé de l’économie en réseau: ce qui compte, c’est d’établir une connexion durable avec le client. Et investir dans la relation paye: les abonnés Prime dépensent 1 400 $ par an sur Amazon (et plus ils sont anciens, plus ils dépensent), contre 600 $ par an pour les non-membres. Et au bout d’un an, 94% des membres renouvellent leur abonnement.
Ainsi, Prime est un levier très efficace de fidélisation des utilisateurs d’Amazon. D’une part, les avantages de livraison ou prix bas encouragent bien sûr les achats. D’autre part, la connaissance plus fine des clients acquise avec l’utilisation des divers services offerts et leurs commandes plus nombreuses, permet à Amazon d’améliorer la qualité de ses recommandations en temps réel.
Mais ce qui est encore plus important, c’est que Prime renforce la boucle de valeur d’Amazon, et ce pour tous ses clients. Plus ceux-ci sont nombreux et actifs, plus les vendeurs ont intérêt à rejoindre la place de marché d’Amazon, ce qui augmente la gamme de produits offerts, ce qui attire de nouveaux clients ou des dépenses additionnelles des existants, et ainsi de suite. Et plus les clients non-membres dépensent leur budget sur Amazon, plus l’abonnement à Prime devient une évidence.
A la fin, il n’en restera qu’un?
En tant qu’un des pionniers de l’économie de la souscription numérique (plus de 100 millions d’abonnés Prime dans le monde), Amazon a ouvert une voie que les autres GAFA tentent depuis lors de suivre (en B2C) :
- Google a lancé en 2012 des versions payantes de Google Drive (pour bénéficier de larges capacités de stockage), puis en 2014 de YouTube Premium, qui offre notamment des contenus exclusifs et un service de streaming musical.
- Apple a lancé en 2015 son service de streaming Apple Music, ainsi que l’iPhone Upgrade Program, qui permet des nouvelles versions de l’iPhone année après année. Cette focalisation sur les services payants récurrents a été accentuée récemment, avec l’annonce d’Apple News+ (information), Apple Arcade (jeux vidéo) et Apple TV+ (films et séries).
- Facebook a lancé en 2018 Subscription Groups (accès à des groupes aux contenus exclusifs) et en 2019 Fan Subscriptions (soutien de créateurs).
Ces différents lancements, en complément des nombreuses startups et licornes dont le modèle est uniquement basé sur celui du revenu récurrent, pose la question des limites de croissance de l’économie de la souscription. Un consommateur peut souscrire à plusieurs services vidéo, mais sans doute pas à plusieurs abonnements de cosmétiques ou de streaming musical (puisque les catalogues sont quasi-identiques d’une plateforme à l’autre).
Dans cette perspective, Amazon Prime est bien plus qu’un levier de croissance extrêmement efficace : c’est une assurance-vie, une défense redoutable contre ses concurrents actuels ou futurs. Car à chaque fois qu’Amazon ajoute de nouveaux services à son offre phare, et qu’il en augmente le prix (en 2018, de 99 $ à 119 $ aux Etats-Unis), sans que la rétention de ses abonnés ne décline, c’est la part de portefeuille laissée à la concurrence qui se réduit d’autant.
Le contributeur:
Biographie de Tom Morisse, Research Manager, Fabernovel Tom est Research Manager au sein du groupe FABERNOVEL, chargé d’animer la stratégie de recherche de l’ensemble du Groupe et de conduire la réalisation d’études. Auparavant, il occupait le rôle d’Analyste pour FABERNOVEL, avec des missions d’analyse des opportunités de croissance externe, d’appui à la définition de la stratégie du Groupe et de suivi du portefeuille de participations dans des start-up.
Avant d’intégrer FABERNOVEL en 2014, Tom a cumulé des expériences dans l’accélération de start-up (NUMA Sprint, ex-Le Camping), le M&A (Aforge Finance) et en private equity (Bridgepoint Development Capital). Diplômé de Sciences Po Paris, Tom y a suivi le Master Finance & Stratégie après un échange d’un an à l’Université de Pennsylvanie.