Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 6/6 : analyse de sensitivité
par Rodrigo Sepulveda Schulz, Investor. Advisor. Board member.
Maintenant que vous avez construit un compte de résultat complet (partie 1 – Revenus, partie 2 – Coûts variables, partie 3 – Coûts fixes), compris vos besoins en trésorerie (partie 4) et vérifié la cohérence de votre modèle (partie 5), vous pensez être prêts à lever des fonds ?
En réalité, non, car votre modèle repose sur un ensemble d’hypothèses très spécifiques que vous considérez comme vraies ou qui le seront, ce qui vous donne un résultat précis : le moment où vous n’aurez plus besoin de consommer plus de trésorerie (montant et date).
Et si quelque chose se passait mal ? Et si les ventes attendues ne se concrétisaient pas ? Et si vos employés demandaient des salaires plus élevés ? Et si vos ventes explosaient, impliquant des besoins accrus en fonds de roulement (cela signifie que vous avez besoin de plus de trésorerie pour financer une croissance plus rapide) ?
J’utilise 3 méthodes pour gérer cette incertitude.
Méthode 1 : ajouter simplement un montant.
La première manière de gérer cette incertitude est d’ajouter simplement une réserve arbirtraire d’argent au montant à lever. Une règle empirique (basée sur ZÉRO réalité) serait d’arrondir le montant des capitaux nécessaires. Différentes techniques peuvent être utilisées :
- ajouter 20 à 30 % à vos besoins. Dans la partie 4, j’ai montré que le modèle indiquait que j’avais besoin de 1,073 million d’euros pour financer l’entreprise. Supposons que vous leviez 300 000 euros supplémentaires pour vous sécuriser. Cela représente 1,3/1,073-1 = 21,2 % d’argent en plus.
Supposons que vous leviez 1,073 million d’euros avec une valorisation pre-money de 4 millions d’euros, la dilution pour ce tour serait de 1,073/(4+1,073) = 21,15 %. Mais maintenant, si vous levez en incluant le montant de la réserve, votre dilution serait de 1,3/(4+1,3) = 24,53%.
- une autre technique consiste à calculer votre taux de consommation de trésorerie (cash burn) au moment de l’équilibre des flux de trésorerie et à ajouter quelques mois arbitraires (entre 3 et 6) de consommation de trésorerie au montant que vous levez, juste au cas où les choses tournent mal.
Vous feriez bien de vous assurer que cet argent supplémentaire en vaut la peine et n’est pas trop coûteux, car il serait moins cher de lever plus à une valorisation plus élevée plus tard. Néanmoins, c’est une technique rapide et brouillon pour avoir une marge de manœuvre.
Méthode 2 : analyse de scénarios
Une meilleure façon serait de construire 3 modèles pour les scénarios optimiste, pessimiste et cible (j’ai vu des entrepreneurs construire encore plus de comptes de résultat, selon différents scénarios liés à différents choix stratégiques dans le temps). Idéalement, la réalité se situera quelque part entre les scénarios pessimiste et optimiste.
Dans toutes les situations, vous devez atteindre une courbe en J dans un scénario pessimiste : si vous continuez à perdre de l’argent sans visibilité à court terme (moins de 5 ans) pour la récupération de votre consommation de trésorerie, alors votre entreprise n’est probablement pas compatible avec les VC.
La meilleure façon de procéder est de faire 2 nouvelles copies de votre compte de résultat, pour travailler avec 3 fichiers Excel. Changez ensuite les hypothèses de chaque modèle. J’utiliserais votre modèle existant comme cas cible.
Scénario optimiste : imaginez maintenant que tout se passe merveilleusement bien. Imaginez que vous gagnez plus de parts de marché. Imaginez que vous pouvez améliorer votre tarification, ou concevoir un mix de produits où vous orientez les ventes vers la vente des produits les plus chers à vos clients. Voyez comment ces nouvelles ventes influencent vos coûts variables des marchandises vendues. Comment elles impactent votre structure de coûts (par exemple, si vous embauchez deux fois plus de personnes, cela peut signifier un nouveau bâtiment de bureaux, ce qui aura un impact sur les frais généraux et administratifs). Peut-être aurez-vous besoin de plus d’argent pour financer cette entreprise, ou peut-être atteindrez-vous l’équilibre de trésorerie plus rapidement.
Scénario pessimiste : imaginez que le lancement de votre produit soit retardé. Vos ventes commencent plus tard. La demande est plus faible. La concurrence s’intensifie et vous devez abaisser vos objectifs de ventes. Peut-être avez-vous besoin de moins de personnes pour servir vos clients. Peut-être avez-vous besoin de moins d’infrastructures. Tout restant égal par ailleurs, l’intuition ici est que vous pourriez atteindre l’équilibre de trésorerie beaucoup plus tard. Parfois, cela est contre-intuitif, mais vous pourriez atteindre la rentabilité plus tôt mais avec une entreprise beaucoup plus petite.
La seule façon de le savoir est de modéliser les 3 scénarios. Ensuite, vous pouvez tracer facilement les 3 lignes de consommation de trésorerie (les 3 courbes en J) en créant un 4ème fichier, en copiant les données de la ligne de consommation de trésorerie de chaque fichier dans le 4ème fichier, et en traçant les 3 lignes résultantes.
Modélisation des scénarios cible, meilleur cas, pire cas
Cela vous montrera la sensibilité en termes de besoins en trésorerie, et les délais (à quel mois) où vous atteindrez le point le plus bas de trésorerie dans l’entreprise. C’est beaucoup plus précis, et vous pouvez expliquer comment vous avez construit chaque scénario. La vérité sera quelque part entre les deux, à moins d’un cas de force majeure.
Vous pouvez aller plus loin, mais cela est généralement réservé aux investisseurs qui essaient de mieux comprendre votre entreprise et de l’approximer de manière empirique. Ils reconstruiraient vos 3 scénarios en supposant des hypothèses telles que :
- ils croient que votre meilleur cas est plus ou moins votre cas cible, avec un peu de marge de progression (disons 80 % de votre cas cible et 20 % de votre meilleur cas).
- ils croient que votre cas cible est surestimé et construiront un mélange de cas cible et de cas le pire (disons 70 % et 30 % respectivement)
- et que votre cas le pire n’est pas assez pessimiste. Disons qu’ils dégradent les ventes à 75 % de votre pire cas.
Paramétrer pour pondérer les scénarios
Cela créera de nouvelles courbes, qui montrent une image beaucoup plus alarmante de l’avenir : avec un temps plus long pour atteindre l’équilibre de trésorerie et un besoin accru de financement.
Bien sûr, nous entrons de nouveau dans le domaine de la science-fiction ici, en utilisant des nombres arbitraires, mais cela nous permet de jouer avec la sensibilité et constitue une base de discussion sur les plans alternatidfs entre l’investisseur et l’entrepreneur.
Courbes en J des scénarios pondérés
Comme vous pouvez le voir ici, le besoin en trésorerie est beaucoup plus élevé (passant de 3,3 millions d’euros à 5,6 millions d’euros), et l’équilibre de trésorerie passe du mois 25 au mois 55 (presque 3 ans plus tard !), et bien différent des 2,3 à 2,7 millions d’euros nécessaires indiqués par l’entrepreneur dans le graphique précédent.
Méthode 3 : Simulation de Monte Carlo
Logiciel Crystal Ball, vendu par Oracle
Comment fonctionne une simulation de Monte Carlo ?
Supposons que je veuille calculer le nombre Pi (nous savons tous qu’il est d’environ 3,14). Supposons que je crée un carré de 4 mètres par 4 mètres. La superficie du carré est le côté (2R) multiplié par lui-même = (2R)² = 4R². Dans ce cas, 16 mètres carrés. La superficie d’un cercle inscrit dans le carré serait Pi x R², R étant le rayon du cercle.
Si je place un certain nombre A de ballons de basket à l’intérieur du carré, je peux compter combien de ballons B sont à l’intérieur du cercle. Et donc que A/B = 4R² / Pi x R², ou dit autrement, que A/B= 4 / Pi, ou que Pi=4 x B/A. J’obtiendrai un certain montant. Si je répète maintenant l’exercice avec des balles de tennis (des balles plus petites), les montants A’ et B’ sont plus précis, et le résultat est plus précis pour Pi. Je peux le faire à nouveau avec des balles de golf, ou des billes, et me rapprocher encore plus de Pi. Ou avec du sable nivelé exactement, et je peux calculer un ratio du poids, ou avec de l’eau.
L’idée générale est qu’avec chaque itération d’une quantité plus fine, je peux mieux approximer la réalité. Cela fonctionne de la même manière pour définir certains nombres cibles dans un compte de résultat.
Supposons que je puisse modéliser certains paramètres clés avec une distribution (triangulaire ou normale). Exemple : je suppose que mon coût d’acquisition client est de 17 €. Mais parfois, il pourrait être aussi bas que 13 € et aussi élevé que 25 €. Je peux dire à mon modèle que je veux une distribution triangulaire centrée à 17 avec des limites à 13 et 25.
Et ensuite, je peux exécuter le modèle qui itérera quelques milliers de fois (généralement jusqu’à 5 000, c’est suffisant). Il utilisera 5 000 valeurs différentes pour ce CAC qui correspondent à cette distribution triangulaire, et bien sûr, il générera une distribution de 5 000 points de données pour le résultat final, par exemple le point le plus bas de ma courbe en J. Elle ressemble généralement toujours à une courbe normale.
Je peux aussi modéliser la quantité de clients acquis chaque mois, peut-être avec une loi de Poisson, ou une courbe normale. Supposons cette dernière avec une moyenne à 10 000 nouveaux abonnés par mois, mais avec un écart-type de 2000 (vous vous souvenez que 1 écart type +/- la moyenne représente 68% de la réalité, 2 écarts types c’est 95%, et 3 écarts types vont à 99,7%, n’est-ce pas ? ;) Bien sûr, vous avez besoin de données réelles pour modéliser ces hypothèses.
Ensuite, le modèle s’exécutera 5 000 fois en prenant une valeur pour les nouveaux abonnés qui approximera la courbe normale que vous avez spécifiée ci-dessus. Combinée à la distribution d’entrée pour le CAC, la courbe normale résultante ressemblera beaucoup à la réalité.
La moyenne de la courbe normale résultante sera le point le plus bas de votre courbe en J, donc le montant d’argent que vous devez lever.
Cela va au-delà de ce post de décrire comment utiliser Crystal ball, mais vous comprennez l’idée.
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