
Audible, Amazon, Apple : qui prend vraiment l’argent des auteurs ?
Alors que se termine le Festival du Livre de Paris 2025, plus de 1 200 autrices et auteurs ont pu rencontrer leur public. Mais derrière les dédicaces, les lectures et les scènes littéraires, une question plus technique traverse les échanges : comment les auteurs vivent-ils vraiment de leurs œuvres ? Et surtout, où va l’argent du lecteur une fois le livre acheté ?
Dans l’économie du livre numérique et audio, les grandes plateformes — Amazon, Audible, Apple — occupent une place centrale. Leur promesse initiale était simple : désintermédier, rémunérer mieux, ouvrir les marchés. La réalité est bien plus complexe. L’auteur, même autonome, voit ses revenus morcelés par des commissions, des clauses tarifaires strictes, et une distribution de plus en plus opaque.
Une chaîne de valeur verrouillée
La vente d’un ebook à 9,99 € sur Amazon Kindle génère en théorie une rémunération de 70 % pour l’auteur indépendant. Mais cette règle ne s’applique que si le prix reste entre 2,99 € et 9,99 €. Au-delà, la commission chute à 35 %. Les éditeurs traditionnels, eux, conservent 70 % même à 14,99 €, grâce à des accords spécifiques.
Côté audiobooks, Audible fonctionne majoritairement avec un système de crédits mensuels. L’utilisateur paie environ 15 € ; l’auteur en perçoit environ 4 €. La répartition précise reste floue. Audible invoque des campagnes promotionnelles, des offres gratuites ou des remises intégrées aux abonnements. L’auteur ne connaît ni le détail ni la clé de répartition.
30 % de commission incompressible
Les règles imposées par Apple et Google sur les ventes via applications mobiles prévoient une commission de 30 %. Pour les éviter, Audible et Kindle redirigent les utilisateurs vers des achats sur le web. Cela complexifie l’acte d’achat et limite la visibilité des ouvrages. L’auteur paie ce coût indirect en découvrabilité.
Chez Amazon, les meilleures conditions sont réservées aux auteurs qui acceptent une exclusivité. Ceux qui souhaitent vendre ailleurs subissent des commissions moins avantageuses, une logique difficile à contourner sans perdre en exposition.
Les éditeurs traditionnels mieux servis ?
Certains éditeurs, notamment à New York ou à Paris, bénéficient d’accords préférentiels : prix plus élevés, accès à des remises logistiques, intégration aux offres promotionnelles des plateformes. En contrepartie, les auteurs cèdent une partie de leurs droits, de leurs marges, et de leur contrôle.
Le discours dominant — “vous gagnerez moins par vente, mais plus en volume” — masque souvent une perte nette de souveraineté et de traçabilité.
Un nouvel équilibre à inventer
Certains auteurs explorent d’autres voies : vente directe, financement participatif, packs numériques, édition fractionnée (ebook en direct, print sous licence). D’autres négocient des contrats hybrides pour conserver certains formats et céder d’autres. Ces stratégies supposent une lecture fine des modèles économiques, une capacité à suivre ses ventes, et des compétences commerciales minimales.
Le Festival du Livre célèbre la diversité littéraire. Il pourrait aussi devenir un lieu de réflexion économique. Car l’enjeu n’est plus seulement de publier, mais de comprendre où va la valeur créée — et comment la récupérer.
Les plateformes ont facilité l’accès au marché. Elles en ont aussi capté les marges. En 2025, l’auteur n’est plus marginalisé, mais reste minoritaire dans la chaîne de valeur. Ce n’est pas l’éditeur qui le prive de revenus, ce sont les conditions d’utilisation, les commissions, et la centralisation des canaux.
Dans ce nouveau paysage, l’auteur est aussi éditeur, stratège et distributeur. Reprendre la main ne passe plus par l’imprimerie, mais par une lecture attentive des conditions, une maîtrise des canaux, et une exigence de transparence.
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