Back from the Startup nation : réflexions autour de l’entrepreneuriat étudiant inspirées du contexte israélien | Épisode 2
Par Laetitia Gabay Mariani, Consultante - Chercheuse en Entrepreneuriat
Dans le précédent billet de cette série sur l’entrepreneuriat étudiant en Israël, je pointais la nécessité pour des universités – pourtant pionnières dans la formation de leurs étudiants en entrepreneurs -, de penser de nouveaux modèles, face au boom que connaît l’accompagnement entrepreneurial aujourd’hui. Ces modèles de la « Startup nation » sont-ils pour autant répliquables dans le contexte français ? C’est tout l’objet de ce second volet de nos réflexions…
Episode 2 – « Ici, on fait tout à 80% »* : faut-il s’inspirer des méthodes de la « Startup nation » pour favoriser l’entrepreneuriat-étudiant en France ?
Investir dans les talents : une brique supplémentaire dans l’offre de valorisation des universités.
La création de fonds d’investissement détenu par les universités israéliennes constitue une réponse à ce besoin de nouveaux modèles d’accompagnement. A l’université de Tel-Aviv, le centre d’entrepreneuriat StarTAU a récemment cessé de fonctionner, faisant ainsi place à TAU Ventures, le premier fond détenu par l’établissement. Des initiatives similaires émergent aujourd’hui en France, notamment avec l’ouverture de Saclay Seed Fund le premier fond d’investissements de l’Université Paris-Saclay ou encore le fond dédié aux prêts d’honneur de l’ISEP.
Tirant un avantage de l’excellente réputation de l’université à l’international, TAU Ventures a réussi à lever, sur une période extrêmement courte, 20 millions de dollars, auprès d’investisseurs institutionnels surtout étrangers, désireux d’approcher le marché israélien. Il constitue ainsi une brique supplémentaire dans l’offre de valorisation de l’université, déjà extrêmement bien structurée. Les universités israéliennes se sont en effet dotées très tôt d’imposants bureaux de valorisation, tels que Ramot à Tel-Aviv University ou encore Yissum à l’Université Hébraïque de Jérusalem, où opèrent principalement d’anciens chercheurs, passés par le secteur privé, possédant ainsi une connaissance extrêmement fine des différentes parties prenantes du transfert de technologie. Ces avancées en font des pôles plus à même de capter la valeur des innovations portées par leurs étudiants, dont les établissements français s’inscrivant dans des démarches similaires peuvent s’inspirer.
Créer de nouveaux débouchés pour ses diplômés : le défi de la professionnalisation.
Les universités israéliennes déploient également l’entrepreneuriat étudiant comme réponse à une saturation du marché de l’emploi sur certains secteurs, notamment relevant des sciences fondamentales. La Sagol Scool of Neuroscience, qui réunit des chercheurs venus d’horizons disciplinaires variés (neurosciences, psychologie, informatique, linguistiques etc), a ainsi cherché à faire travailler ensemble les mondes de la recherche, de l’industrie et de l’entrepreneuriat. Partant du constat qu’il n’existait pas suffisamment de postes – notamment dans l’enseignement supérieur – pour leurs diplômés, cette faculté de l’Université de Tel-Aviv a multiplié les initiatives en ce sens, en créant deux programmes d’accompagnement dédiés aux doctorants et post-docs : le Minducate, focalisé sur les technologies pédagogiques et le BrainBoost, spécialisé sur le développement de nouvelles thérapies en neurosciences.
Deux ans de bourse doctorale (équivalent à 20 000 dollars) sont accordés à une sélection d’étudiants souhaitant créer des entreprises dans ces domaines. L’objectif est de créer un écosystème vertueux pour la professionnalisation des étudiants : les responsables du programme espèrent ainsi que les entreprises créées à l’issue du programme pourront ensuite recruter d’autres étudiants de l’école. Il s’agit également pour l’école de multiplier les ponts avec l’industrie, à travers les collaborations pouvant émerger des projets étudiants avec de grandes entreprises. Surtout, ces programmes participent à rendre la faculté elle-même plus innovante, les projets des étudiants du Minducate étant directement testés au sein de l’université de Tel-Aviv. Il s’agit donc tant pour l’établissement de former les étudiants à la création d’entreprise que de créer et structurer autour un véritable écosystème permettant à ces initiatives de voir le jour.
Une économie de startups ?
Si ces modèles peuvent être inspirants dans le développement de l’accompagnement entrepreneurial au sein des universités, leur simple réplication dans le contexte français n’est pas sans poser question. La startup nation a pu nous être présentée par certains observateurs comme un pays de startups, peu propice à l’établissement de grandes entreprises, comme c’est le cas en France depuis la révolution industrielle. La jeunesse relative, la taille, les ressources limitées et la situation géopolitique du pays sont notamment en cause dans la difficulté à y implémenter des géants de l’industrie. « Du dessalement de l’eau à l’armement, nous nous devons d’être innovants », rappelle une responsable de TAU Ventures, interrogée sur le dynamisme entrepreneurial du pays. Ce besoin peut ainsi participer à expliquer la foison de startups, souvent jugées les plus à mêmes de porter l’innovation technologique.
La création d’entreprise n’est en ce sens pas nécessairement tournée vers l’établissement d’organisations pérennes, mais visent plutôt « l’exit », c’est à dire la revente de la jeune startup à de grands groupes. Ces logiques ont pu conduire certaines parties prenantes de l’écosystème entrepreneurial israélien à nous confier qu’« ici, on fait tout à 80% »* : les entreprises israéliennes ne rechercheraient pas une perfection organisationnelle, mais suivraient plutôt des logiques opportunistes, consistant à choisir la solution la plus efficace à l’instant T, sans forcément se projeter au-delà. Il n’est donc pas rare de rencontrer d’anciens entrepreneurs devenus investisseurs quand ils n’ont pas multiplié les créations et reventes de startups. Ce modèle d’entrepreneuriat innovant type startup contraste en partie avec un modèle plus traditionnel, ancré dans la culture française, du développement de jeunes pousses en entreprises pérennes et durables. Cela se manifeste notamment dans certains indicateurs d’impact visant à évaluer le dynamisme entrepreneurial d’un territoire dans les politiques publiques : nombre de création de sociétés, nombre de création d’emplois, pérennité des entreprises à plus de 3 ans d’existence. Il serait donc compliqué de répliquer les méthodes de la startup nation, calquées sur un modèle plus anglo-saxon, dans le contexte français, ou l’univers de la grande entreprise reste un référentiel solide. Par ailleurs, la forte sélectivité des logiques de startups (grossir ou mourir) en fait un modèle dont beaucoup demeurent écartés.
Si l’avancée des universités israéliennes pour valoriser les talents et trajectoires de leurs étudiants sont inspirantes à bien des niveaux, le modèle de référence sur lequel elle s’appuie laisse donc penser que sa simple réplication dans le contexte français ne va pas de soi. Au-delà du copier/coller, la richesse de la startup nation est donc peut être ailleurs… Suite au prochain épisode.
Merci pour cette web-série. Très intéressant ce comparatif !