Biopiraterie: le pillage des ressources génétiques en discussion à l’ONU
Par Agnès PEDRERO / AFP
Le combat contre la biopiraterie -qui vole les ressources génétiques et pille les savoirs traditionnels- pourrait bientôt s’appuyer sur un traité international, si les négociations de plus de vingt ans aboutissent enfin.
« Les négociations ne seront pas faciles », a averti le directeur général de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi), Daren Tang.
Le projet de traité – négocié jusqu’au 24 mai par les plus de 190 pays membres de cette agence de l’ONU – stipule que les déposants de demandes de brevet devront divulguer le pays d’origine des ressources génétiques de l’invention et le peuple autochtone ayant fourni les savoirs traditionnels associés.
Plus d’une trentaine de pays disposent d’exigences de divulgation, pour la plupart des pays en développement, dont la Chine, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, mais également des pays européens, parmi lesquels la France, l’Allemagne et la Suisse. Mais ces procédures varient et ne sont pas toujours obligatoires.
Le projet de traité vise à accroître « l’efficacité, la transparence et la qualité » du système des brevets pour s’assurer que l’invention est bien nouvelle et que les pays et communautés concernés ont donné leur accord, afin de lutter contre ce qui est familièrement appelé « la biopiraterie ».
« Nos communautés ont souvent été exclues des bénéfices issus de la commercialisation et de l’utilisation de leurs connaissances et de leurs ressources », a dénoncé le Kenya, au nom des pays africains, qui demandent que l’exigence de divulgation soit « obligatoire ».
– « biotechnologies » –
Les ressources génétiques — comme les plantes médicinales, les variétés végétales et les espèces animales — sont de plus en plus utilisées dans de nombreuses inventions par la recherche et l’industrie (cosmétiques, semences, médicaments, biotechnologie, compléments alimentaires…).
Si elles ne sont pas brevetables en tant que telles, les inventions qui reposent dessus peuvent l’être, donnant lieu parfois à de longues batailles juridiques.
Un succès des discussions « contribuerait à renforcer la confiance dans le système des brevets » alors que « les innovations dans le domaine des biotechnologies sont cruciales pour atteindre les objectifs de développement durable et améliorer notre sécurité alimentaire, notre santé et notre bien-être », a fait valoir le chef de la délégation française, Christophe Bigot.
De l’Inde au Brésil en passant par les Etats-Unis ou le Japon, la communauté internationale a souligné lundi l’importance des savoirs traditionnels. Mais plusieurs questions restent en suspens alors que plusieurs pays développés craignent qu’un traité aboutisse à une plus grande incertitude et entrave l’innovation.
Le chef de l’Ompi a appelé à « montrer qu’il n’y a pas de contradiction entre un régime de propriété intellectuelle solide et prévisible (…) et un régime qui répond aux besoins de tous les pays et de toutes les communautés, y compris ceux des peuples autochtones et des communautés locales ».
– Sanctions –
Il y a deux ans, les pays ont contre toute attente décidé de convoquer une conférence afin de conclure un accord au plus tard en 2024. Seuls les Etats-Unis et le Japon s’étaient « officiellement désolidarisés de la décision », sans s’opposer au consensus.
Ces deux pays ne se sont pas opposés non plus lundi à l’idée d’avoir un traité, mais l’ambassadrice américaine, Sheba Crocker, a prévenu que les Etats-Unis veulent « un résultat qui améliore la transparence et qui ne porte pas atteinte (…) au système des brevets ».
Les pays doivent s’entendre sur diverses questions techniques, comme la définition d’une ressource génétique ou ce qui doit être divulgué et quand, ainsi que sur celle, cruciale, des sanctions et des conditions pour révoquer les brevets.
Comme l’Inde et le Brésil, de nombreux pays en développement plaident en faveur de sanctions mais les pays développés insistent sur l’importance qu’elles soient « équilibrées ».
Et elles « ne devraient en principe pas servir de base pour révoquer les brevets », ont soutenu les Pays-Bas, au nom d’un groupe de pays développés, dont font partie de nombreux pays occidentaux ainsi que le Japon et Israël.
« Il est essentiel que l’obligation de divulgation offre une sécurité juridique suffisante à tous », a insisté la Suisse, plaidant également en faveur d' »un certain degré d’harmonisation » sur ce qui doit être divulgué, « plutôt que de laisser des aspects importants ouverts aux juridictions nationales ».
S’exprimant au nom des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, le Brésil, qui préside la conférence, a en revanche jugé « crucial que ce traité soit flexible » afin que les pays puissent « renforcer des mesures selon les besoins régionaux et nationaux ».
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