Cancers: à l’hôpital Bicêtre, l’IA précise les diagnostics en un clic
Par Anne PADIEU / AFP
Dans son « cockpit de pathologiste augmenté », la médecin Catherine Guettier analyse ses lames de biopsies non plus au microscope, mais sur écran. Et l’intelligence artificielle (IA) intervient ensuite pour aider au diagnostic ou pronostiquer l’évolution de certains cancers.
Le passage en 2019 à la lecture des lames à l’écran « a changé nos pratiques » vers une « pathologie de haute précision », explique la cheffe de service anatomie et cytologie pathologiques de l’hôpital Bicêtre, à Paris.
Les lames de verre de prélèvements tissulaires sont numérisées grâce à des scanners très puissants, elles peuvent être analysées à l’écran et soumises à des algorithmes d’IA. « Alors qu’il y a pénurie de pathologistes en France, l’IA va nous faire gagner du temps pour des tâches répétitives », selon la praticienne.
Mais « nous ne sommes qu’au début de l’histoire », souligne l’experte, en zoomant sur l’image de tissus prélevés lors d’une mastectomie, pour recueillir les caractéristiques des lésions tumorales.
Un seul clic d’ordinateur suffit pour voir s’afficher en quelques minutes, sous forme d’un document, le pronostic d’un risque de rechute de la patiente atteinte d’un cancer du sein au stade précoce.
Cette fois, le pronostic est encourageant. Mais il ne sera pas pris en compte dans le diagnostic du médecin: la solution d’intelligence artificielle par « apprentissage », bien qu’intégrée à l’environnement de travail des pathologistes depuis fin février, doit encore obtenir son marquage CE pour être autorisée pour la routine médicale. Cette certification est attendue aux alentours de mi-2025.
– « Maître du jeu » –
« Un pathologiste peut avoir l’œil un peu fatigué le soir, mais un algorithme n’est jamais fatigué! », lance la Pr Guettier.
L’outil « dépasse les capacités de l’œil du pathologiste », d’où la notion de « pathologiste augmenté », observe-t-elle. Mais le spécialiste « reste maître du jeu » en contrôlant la cohérence du résultat de l’algorithme.
Développé par la licorne franco-américaine Owkin, cet outil d’IA vise à « prévenir la rechute à 5 ou 10 ans à partir d’une seule lame » après ablation de la tumeur, et savoir ainsi « quelle femme peut éviter une chimiothérapie coûteuse », explique à l’AFP Victor Aubert, chef de produit chez Owkin.
La biotech s’est entraînée sur « une base de données de 1.500 lames de patientes du centre de lutte contre le cancer Gustave Roussy » et continue d’affiner l’outil en s’appuyant sur l’expertise des pathologistes de Bicêtre, détaille M. Aubert.
Dans le cancer de la prostate aussi, les algorithmes d’IA viennent « prémâcher le travail » des pathologistes et leur faire « gagner en qualité, en rapidité et en précision », indique à l’AFP le Dr Adam Clovis, à Bicêtre.
Grâce à un accès à la plateforme cloud de pathologie assistée par intelligence artificielle de la société finlandaise Aiforia, le médecin peut détecter en quelques minutes les foyers de ce cancer, mesurer leur surface et donner leur niveau de gravité.
– Désescalade thérapeutique –
« Avant, on faisait des points avec un marqueur sur la lame pour mesurer le foyer cancéreux à la règle! » sous le microscope, se rappelle le spécialiste.
Dans les biopsies de prostate, il faut en moyenne analyser « 26 lames par patient », une tâche qui dure « entre 20 et 25 minutes » pour les 26 lames, un temps réduit de quelque 30% grâce aux algorithmes, selon le pathologiste.
Désormais, « les biopsies sont scannées et analysées la nuit par l’algorithme sur un serveur en France », ajoute-t-il. « Le matin, en arrivant, toutes les informations sont disponibles, il suffit d’exporter les données sous la forme d’un tableau ».
Pour l’instant, le praticien vérifie qu’il arrive bien à reproduire rétrospectivement un diagnostic fourni par l’algorithme, le temps que l’outil soit bel et bien intégré dans son activité quotidienne.
Il en espère « une amélioration de la prise en charge du patient » car « tous les cancers de la prostate n’ont pas forcément besoin d’être traités »: grâce à la précision du diagnostic, les patients traités « seront bien ceux avec des cancers agressifs ».
Cancers du sein ou de la prostate, le but est d’éviter des traitements inutiles et d’avoir ce que les praticiens qualifient de « désescalade thérapeutique ».
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