CDP: la DMP du futur? (2/2)
Cet article fait suite à une première publication, dans laquelle une vision à long terme de la convergence DMP/CRM vers un modèle «Customer Data Platform (CDP)» est développé. Ci-après, l’évolution de la DMP dans un avenir plus proche est évoquée.
A court/moyen terme: la DMP renforce son intégration et devient plus intelligente
Marketing Cloud VS Marketing OS
Deux visions s’affrontent aujourd’hui dans l’architecture du stack MarTech.
La première correspond aux offres «marketing cloud» du marché, fournies par quelques acteurs proposant une suite d’outils intégrés (TMS, webanalytics, DMP, Personnalisation…). Il y a fort à parier que ces suites continueront de proposer de plus en plus d’outils d’activation, accélérant la fusion AdTech/MarTech, à l’image du rachat marquant du DSP TubeMogul par Adobe.
Cependant, pour des questions d’agilité, de coûts et de dépendance, il est peu probable que ce modèle soit prédominant. Les marketeurs ont historiquement privilégié une stratégie «best-of-breed» avec des fournisseurs multiples, favorisant l’expérimentation et l’innovation. C’est ce modèle qui dominera probablement encore dans les années à venir. Pour le «motoriser» et orchestrer les échanges de données, le couple DMP+TMS (qui pourrait fusionner) jouera un rôle toujours plus clé, et tant les DMP «agnostiques» que celle intégrées dans des suites marketing continueront d’étendre leurs connecteurs à de nouveaux partenaires et de nouveaux canaux.
D’un modèle de règles vers l’intelligence artificielle, pour personnaliser et optimiser «at scale»
Aujourd’hui, le mode principal d’utilisation d’une DMP consiste à créer manuellement des segments d’audiences à partir de règles (ex: «Est un homme» ET «A visité telle page produit dans le dernier mois»), puis les transmettre aux outils d’activation.
Deux inconvénients à cette démarche:
- Une multiplication rapide du nombre de segments, créant des lourdeurs opérationnelles
- Une vue «a priori» et asynchrone: je crée des segments selon mon propre prisme d’analyse, je les active et j’observe les résultats, manquant sans doute des corrélations imperceptibles et changeantes
Il est probable qu’à l’avenir, l’intelligence artificielle permettra de proposer et d’optimiser des segments d’audiences aux marketeurs. Ces derniers, plutôt que de construire des audiences, définiront des objectifs. A la machine ensuite d’optimiser les ciblages.
Si l’on est encore loin d’un gros bouton vert «optimiser tout mon marketing», les prémices sont là, avec notamment les algorithmes bien connus de lookalike, qui gagnent peu à peu en performance et en transparence.
Le corollaire de cette vision est la «verticalisation» de certains composants et «l’appification» de la DMP. Pour optimiser au mieux, des modules dédiés pourront être ajoutés pour introduire des algorithmes spécifiques à tel ou tel contexte business ou fonctionnel.
Des capacités de scénarisation pour s’adapter à des parcours clients toujours plus riches
Encore peu de DMP disposent d’outils permettant de construire facilement des scénarios d’action omnicanal pour accompagner le consommateur dans son parcours, tel qu’on peut le voir aujourd’hui dans les outils de marketing automation.
C’est une fonctionnalité qui se développera probablement, mais là encore, les potentiels d’optimisations via l’intelligence artificielle sont multiples et l’optimisation des scénarios devrait à plus long terme être réalisée via des algorithmes.
A la poursuite du temps réel
Actuellement, encore beaucoup de DMP ne sont pas ce que l’on pourrait appeler des outils «full temps réel». Dans plusieurs DMP, certaines audiences sont calculées périodiquement, d’autres sont temps réel, mais l’utilisation simultanée de données historiques et temps réel pour gérer des audiences est au pire impossible, au mieux pas très pratique. Celles qui permettent de le faire sans couture existent, mais l’historique de traitement des données est encore souvent limité étant donné les ressources que ce type de traitement peut demander.
A cela s’ajoute le fait que la synchronisation avec les outils d’activation n’est pas toujours faite en temps réel. Si l’on prend l’exemple des DSP, ces derniers n’acceptent généralement pas les audiences des DMP immédiatement, mais avec des délais (quelques minutes à un jour selon les DSP). Sur ce point, les DMP possédant leurs propres outils d’activation ont un avantage certain, puisque les audiences passent immédiatement d’un outil à l’autre. Même scénario avec l’ingestion de données, notamment offline, qui reste souvent périodique (pour des raisons pas forcément liées aux DMP). Comment couper le reciblage d’une personne qui vient d’acheter en magasin dans ces conditions?
Des efforts importants sont actuellement en cours sur les différents outils (DMP et activation) et nul doute qu’à l’avenir, les capacités des DMP à facilement ingérer, processer et activer des audiences en «vrai» temps réel se développeront grandement.
Reportings avancés: un potentiel encore sous-exploité
La DMP reste aujourd’hui essentiellement un outil de segmentation et d’envoi d’audiences aux outils d’activation. Les reportings disponibles sont peu développés, et même les fournisseurs qui possèdent à la fois des briques analytics et DMP n’ont pas encore d’intégration parfaitement «sans couture».
Cependant, le potentiel est immense, notamment de part les multiples sources de données que gère la DMP (CRM, navigation, exposition publicitaire, dispositifs phygitaux, …), dont le nombre continuera d’augmenter à l’avenir. Elle est l’outil qui possède sans doute le plus d’informations sur le consommateur et son parcours.
Assez naturellement, elle devrait voir à l’avenir ses capacités d’analyse se développer: rapprochement avec des outils analytics, attribution, scorings natifs… Tout ceci poussé par la tendance de fond à attribuer une part croissante du budget marketing à la mesure et la compréhension de l’expérience. Et avec un frein majeur: les walled garden, qui restent souvent des trous noirs dans la vision que peut avoir une DMP de la customer journey.
Bienvenue dans un monde de partenariats et d’échanges
Les échanges de données second party vont continuer de se développer. Plusieurs DMP permettent déjà à leurs clients de partager de gré à gré des segments, voire ont construit des marketplaces internes pour l’achat/vente d’audiences.
Toutefois, ce format d’échange reste rare aujourd’hui car encore trop limité aux clients d’un même éditeur. La majorité des cas concrets que nous avons pu constater se fait donc «off the radar», via des échanges de tags entre partenaires.
Il est probable qu’à l’avenir, des partages de segments cross-éditeur se développent, ainsi que les marketplaces externes aux DMP permettant à tout un chacun de mettre facilement à la vente des audiences depuis leur DMP.
Des efforts à poursuivre sur la gestion du tracking et de la réconciliation, dans un monde mobile et phygital
L’avenir du tracking a un impact fort sur une bonne partie du stack MarTech, y compris et d’autant plus sur la DMP. Chaque année est «l’année du mobile» depuis cinq ans, mais force est de constater que le tracking et la réconciliation cross-device restent perfectibles aujourd’hui. Ce sera un enjeu d’autant plus important demain avec la multiplication des supports connectés, qu’ils soient personnels ou partagés dans le cadre de dispositifs phygitaux.
Le shift d’un tracking du device à un tracking de la personne n’est cependant pas complètement opéré à ce jour. Concernant la réconciliation, l’amélioration du taux passe principalement par la mise en commun d’informations entre entreprises (hors cas de ciblages dans les environnements Google/Facebook). Toutefois, ce procédé reste aujourd’hui aux mains de quelques acteurs, qui l’utilisent pour améliorer leurs propres services: Adobe Device Co-op, Criteo Cross-Device, GroupM mID… Des services tiers comme Tapad permettent aux clients de profiter de cette mise en commun directement dans leur DMP, mais les éditeurs DMP ont tout intérêt (et ont déjà commencé) à utiliser leur base installée pour créer des devices-graphes mutualisés entre les clients.
Cependant, l’évolution de la règlementation (RGPD et directive e-privacy) pourrait perturber certaines pratiques de tracking ou de réconciliation, mais bien malin qui pourra prédire à l’heure actuelle comment le marché va s’adapter. Une chose est sûre cependant, c’est que le consommateur devrait progressivement avoir un meilleur contrôle sur les données qu’il partage et que le futur recueil de consentement sera un sujet de débats intenses dans les prochains mois ! Cela entraînera certes des complexités à court terme, mais l’écosystème a tout à gagner à construire une relation de confiance avec le consommateur.
On le voit, des évolutions importantes vont continuer à s’opérer dans le paysage data-marketing. Les data-marketeurs d’aujourd’hui seront perçus demain comme des pionniers de la révolution digitale. Beaucoup reste à faire pour transformer la «machine à vapeur» constituant le stack MarTech d’aujourd’hui en l’outil bien huilé que l’on souhaiterait voir dans le futur. Des mutations technologiques importantes vont s’opérer, sur fond d’évolution règlementaire et de consolidation du marché. Bref, des perspectives radieuses pour le métier de marketing technologist!
Mickaël Avoledo est directeur associé chez M13h, cabinet de conseil spécialisé en data marketing et technologies. Il intervient auprès de grands comptes sur des missions de stratégie data-marketing, de sélection et déploiement d’outils ou de démarche test & learn.
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