Chief Digital Officer : le Ninja de la transformation (digitale)
Sur les quatre dernières années, près de 20% des Fortune 500 américaines et européennes se sont dotées d’un Chief Digital Officer (CDO). La France n’est pas en reste, avec des leaders tels que LVMH, L’Oréal, Total, SNCF ou encore SEB. Cependant, le «titre» de CDO se trouve de plus en plus dévoyé et de nombreux directeurs du digital et/ ou du e-commerce portent à présent le titre de Chief Digital Officer, sans toutefois en avoir ni le rôle, ni la responsabilité, ni les ressources.
L’objectif de cet article est de partager notre expérience à la fois en Europe et aux Etats Unis et de dresser un constat en sept points sur ce que devraient être le rôle et les responsabilités du CDO. On peut cependant dores et déjà s’interroger sur le titre même de Chief Digital Officer qui est sans doute peu représentatif des réelles responsabilités dont il a la charge.
1/ Le CDO n’est PAS le directeur digital et/ou du e-commerce
Le Chief Digital Officer n’est pas le directeur digital ni le directeur du e-commerce de l’entreprise. Dans de nombreux cas, les directions e-commerce et digitale sont très opérationnelles et souvent distinctes l’une de l’autre. Elles dépendent soit du marketing et/ ou de la communication pour les sociétés les moins matures, soit du commerce pour les sociétés avec un focus e-commerce important, soit directement du président pour les sociétés les plus matures.
De l’entente de ce tandem digital / e-commerce dépend souvent la réussite de l’entreprise sur la toile. Hors, nombreuses sont les entreprises dont les stratégies e-commerce et contenus ne sont pas pilotées par les mêmes équipes et de ce fait pas toujours cohérentes pour le client, puisque pilotées par deux départements dont les objectifs peuvent différer.
L’une des missions premières d’un CDO est bien d’assurer la cohérence de cet ensemble, sans forcement assurer la direction du e-commerce ou du digital, car sa mission principale est ailleurs.
2/ Le CDO est en charge de la transformation digitale de l’entreprise.
La transformation digitale apparaît aujourd’hui comme une évidence dans de nombreuses industries. L’hôtellerie, les transports, les taxis, les banques et les assurances la subissent déjà.
Ainsi, Booking.com représente aujourd’hui près de 50% des réservations de nombreux hôteliers et 15% de commission sur le chiffre d’affaires des chambres réservées par son intermédiaire. Au global, ce «nouvel entrant» cannibalise aujourd’hui plus de 7% du chiffres d’affaires de nombreux hôteliers qui subissent par ailleurs la concurrence d’airbnb. Les hôteliers connaissent aujourd’hui une forte érosion de leur rentabilité qui les oblige à se transformer de manière subie alors qu’ils auraient pu anticiper et préparer cette mutation. Bien avant eux, les majors de la musique ont connu le même sort, aussi par manque d’anticipation et par résistance au changement.
De nombreuses industries, qui peuvent aujourd’hui encore se sentir à l’abri, doivent se repenser. La plupart des PDG et des Boards ont pris conscience que pour survivre, leur entreprise doit évoluer en profondeur, définir une nouvelle vision de son modèle et se transformer en s’appuyant sur le digital et l’innovation technologique.
Cette nouvelle vision se concrétise par un plan de transformation digitale qui intègre l’ensemble des collaborateurs, à commencer par le Comex et le Board. L’entreprise doit redéfinir son rôle, ses objectifs, son modèle économique, son modèle d’innovation, de production, de distribution, sa culture ainsi que sa relation avec son marché et ses clients.
C’est dans ce contexte de transformation digitale qu’intervient le Chief Digital Officer.
3/ Le CDO est un directeur général délégué
La mission première du CDO est de définir les objectifs du plan de transformation digitale et de les intégrer dans les objectifs stratégiques de l’entreprise. Ces objectifs doivent être ambitieux et leur atteinte nécessitera l’implication de la plupart de parties prenantes : Board, Comex, commercial, marketing, communication, R&D, production, RH, finance…
Quelques exemples :
-
Générer directement 30% de notre chiffre d’affaires par les canaux digitaux d’ici 3 ans
-
Lancer 25 produits connectés chaque année, pour 15% de notre chiffre d’affaires
-
Suivre et capitaliser sur chacune de nos interactions clients quel que soit le canal
-
…
Du fait de l’ambition et de la transversalité de ces objectifs, il est fortement préférable que le CDO dépende du Comex, au même titre que les autres Directions. C’est par exemple le cas de la CDO de L’Oréal, Lubomira Rochet, qui dispose de la même part de voix que les autres membres du Comex.
Le CDO devra dès son arrivée dresser un état des lieux du digital dans l’entreprise et identifier les premiers «quickwins». Mais avant tout, il construira son plan avec l’idée de favoriser le désilotage et les changements culturels de l’entreprise, ce qui va au delà de la digitalisation elle-même, par exemple en mettant en place des chantiers qui dépassent les silos actuels et dont les progrès seront systématiquement mesurés par des nouveaux KPI transverses.
4/ Le CDO pilote le plan de transformation (digitale) de l’entreprise
Le plan de transformation (digitale) de l’entreprise peut revêtir différentes formes mais doit en particulier intégrer trois grands groupes de chantiers, que nous proposons de répartir en 15 familles:
-
Groupe 1/ Les chantiers «Amont», liés aux modèles économiques, à la conception à la fabrication des produits et services :
-
R&D et Veille,
-
Innovation (technologique, modèle économique, intégration des clients),
-
Croissance externe,
-
Partenariat écosystème de start-up ou création d’un Fond d’investissements,
-
Accélérateurs (internes, externes, mutualisés avec d’autres entreprises),
-
Process de conception produits/services, de fabrication et de production.
-
Groupe 2/ Les chantiers «Aval», coté clients :
-
Communication & marketing (marketing d’influence, content marketing …)
-
Performance & croissance e-commerce,
-
Digitalisation des points de vente,
-
Intimité clients et fidélisation (CRM et Big data),
-
SAV et Centre de relation clients,
-
Excellence des parcours clients avant, pendant, après l’achat et omnicanal.
-
Groupe 3/ Les chantiers « internes », liés à la conduite du changement, à l’efficacité des hommes, à l’organisation et la culture :
-
Formation / développement des compétences digitales (du Comex aux équipes),
-
Evolution des métiers à l’heure du digital / Process et outils RH /Évaluation,
-
Organisation, efficacité collaborative.
5/ Le CDO dispose de ressources, d’une équipe et de relais à tous les niveaux de l’entreprise
Le CDO a un rôle de «chef d’orchestre» et a besoin de moyens, de ressources et de la contribution de l’ensemble des départements et des équipes pour faire aboutir le plan de transformation.
La plupart des CDO disposent d’une «garde rapprochée» composée notamment d’experts (business analyst, marketing, IT, RH…) ainsi que de chefs de projets internes. Mais le plus important est d’avoir des relais au sein des différents départements, qui assurent l’avancée des différents chantiers.
L’une des complexités réside dans le fait que les chantiers sont transverses. Ainsi, «l’excellence dans le parcours client» nécessite l’implication des directions commerciale, marketing, communication, RH …
Le Chief Digital Officer pilote le plan de transformation, donne l’alerte si un des chantiers ne délivre pas les résultats attendus et doit aussi régulièrement ré-inspirer chaque chantier afin d’en ajuster les ambitions.
6/ Le CDO est un Ninja
Comme le dit Mary Mesaglio, VP Research chez Gartner, le CDO est un Ninja, une sorte de combattant peu orthodoxe qui fait face à un ennemi non conventionnel : la résistance au changement.
Cette résistance est présente chez chaque collaborateur qui trouve généralement peu d’intérêt à changer ce qui a toujours correctement fonctionné jusqu’à présent.
Ce ninja doit disposer, en dehors de la maitrise du digital, de plusieurs qualités :
-
être un stratège, capable de remettre en question chacun des enjeux stratégiques et des marchés de l’entreprise, et d’insuffler une vision à «long» terme.
-
être un excellent communiquant et un fin politique, pouvant convaincre à tous les niveaux, à commencer par le Comex et parfois le board.
-
Et surtout savoir animer dans la durée des projets d’envergure et transverses au différents métiers.
Sans qu’il y ait réellement de profils stéréotypés de CDO, nous avons cependant observé trois types de profils pouvant définir et insuffler une vision du Digital, la communiquer et faire de ce changement une réalité :
-
De nombreuses entreprises misent sur un externe, expert du digital ayant su piloter de grands projets d’entreprise ou encore entrepreneur à succès. Ian Rogers, CDO de LVMH vient de chez Apple ou il a mis en place l’offre de Apple Music après avoir développé Beat Music. Adam Brotman, CDO de Starbucks, vient du e-commerce et des medias online et a été successivement fondateur de PlayNetwork, SVP licencing chez Corbis puis CEO de Barefoot Yoga Company. Fred Santarpia, CDO de Conde Nast était précédemment General manager de Vevo, VP Operations & Finance sur les activités digitales de Universal Music après une carrière d’auditeur chez Arthur Andersen.
-
D’autres entreprises misent sur des consultants et experts de haut niveau avec une forte expérience d’accompagnement de marques et de groupes dans leur transformation Digitale. L’Oréal a recruté Lubomira Rochet qui était Deputy CEO digital marketing au sein de l’agence Valtech et Axel Adida ancien Partner d’Accenture et entrepreneur.
-
Enfin, certains CDO sont des «champions» de l’entreprise qui ne viennent pas forcement du Digital mais qui ont su démontrer en interne leurs talents de locomotive, bâtissant ainsi leur légitimité. Par exemple, Gilles Cochevelou, CDO de Total depuis novembre dernier, est l’ancien Directeur de l’Université Total, ainsi que des Energies Renouvelables et de la R&D.
On peut cependant s’étonner que certains CDO soient d’anciens dirigeants de régies publicitaires en ligne (Google, Yahoo! …), dotés à la fois d’une forte expertise digitale et de talents commerciaux, mais ayant souvent moins d’expérience dans la gestion de grands programmes de transformation. Cela peut induire le risque de passer à côté de certains chantiers clefs de la transformation digitale, notamment dans les chantiers liés à la vision client et aux changements culturels. Cependant, ces cas restent une minorité et les entreprises qui choisissent ce type de profil n’envisagent généralement pas de transformation en profondeur de leur modèle et de leur culture.
7/ Le CDO n’a pas pour vocation de rester à ce poste plus de quelques années
Le plan de transformation (digitale) permettra à l’entreprise d’être préparée pour affronter les mutations de ses marchés et de capturer les nouveaux besoins des clients afin de mieux les conquérir et les fidéliser.
A l’issu de ce plan, le digital ne sera plus confiné à un département et à quelques métiers, mais sera au contraire présent partout, dans l’ensemble de l’entreprise, dans toutes ses activités et au niveau de chaque collaborateur. Il n’y aura plus d’expert du digital mais au contraire une part de digital chez chaque collaborateur, chaque équipe, chaque métier et chaque interaction interne et externe/client.
A ce moment là, la mission du CDO prend fin et ce dernier aura plutôt tout intérêt à chercher du travail ailleurs ou à capitaliser sur son expérience, son réseau, ses résultats et surtout la transversalité de ses missions pour… prendre pourquoi pas la place du Président …
Aurélia Ammour est directrice associée au sein de iVentures Consulting, cabinet de conseil en management spécialisé en transformation digitale, e-commerce & omnicanal. En charge du bureau de San Francisco, Aurélia accompagne les dirigeants des secteurs mode, luxe, beauté ainsi que des start-up (LVMH, Kering, L’Oréal, Puig, Loewe, Lacoste, Sephora, Feelunique.com…). Par ailleurs, Aurélia est co-créatrice du eShopper Index, un index e-commerce international qui s'appuie sur le parcours client.
Aurélia est diplômée du Master Innover & Entreprendre de ESCP Europe.
Christophe Biget est directeur associé au sein de iVentures Consulting. En charge du bureau parisien, Christophe accompagne les dirigeants des secteurs retail, beauté, luxe et banques (Darty, LVMH, Kering, Total, Société Générale, Vilebrequin…) et est co-créateur du eShopper Index.
Christophe Biget est titulaire d'un MBA de London Business School.
iVentures Consulting est un cabinet de conseil en management spécialisé en transformation digitale, e-commerce & omnicanal, créé en 2005 et basé à Paris et à San Francisco.
Ventures Consulting intervient particulièrement dans les secteurs Mode, Luxe, Beauté et Retail pour des groupes et sociétés leaders tels que Clarins, Darty, Feelunique, Fnac, Kering, L’Oréal Paris, Lacoste, Lancôme, Loewe, LVMH, Nocibé, Puig, Sephora, Société Génerale, Total etc…
Crédit photo: Fotolia, banque d’images, vecteurs et videos libres de droits
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 6/6 : analyse de sensitivité - 21/05/2024
- Ask A VC : comment modéliser un compte de résultat — Partie 3/6 : les Coûts Fixes - 16/01/2024
- Question à un VC : Pourquoi les marges unitaires sont-elles si importantes pour votre modèle d’affaires? - 13/11/2023