Comment Costco France veut vous vendre « une expérience en entrepôt » face aux géants de l’e-commerce
Interview de Gary Swindells, président de Costco France, par Laurence Faguer, experte retail FrenchWeb
En bref
- Après deux ans d’existence, Costco France est très satisfait de l’acceptation du modèle.
- Le taux d’adhésion – et de renouvellement de la carte – suit exactement les taux observés sur un nouveau marché.
- Costco France ne se considère pas comme un acteur de la grande distribution. Il est un complément de ce qui existe.
- Dans l’actualité de Gary Swindells: l’expansion du réseau, mais aussi le lancement de nombreux services et le développement de la marque Kirkland Signature ™, qui représente déjà 22% du chiffre d’affaires France.
Dans le détail
Un matin de juillet, à l’ouverture des portes du club-entrepôt Costco France à Villebon-sur-Yvette. Les premiers membres se pressent à l’intérieur, en partie pour échapper à la canicule qui sévit cette semaine-là en France, plus sûrement pour l’effet “Chasse aux Trésors”, ce sentiment qui anime chaque membre lorsqu’il entre dans l’un des 776 clubs-entrepôts que compte Costco à travers le monde, et qu’il s’empare d’un chariot taille XXX-Large. Les bonnes affaires sont partout. Sur les 3 800 références que compte un Costco, 500 sont des produits exceptionnels, mais en quantité et durée limitées.
Autre recette de Costco: la remise d’échantillons, les dégustations gratuites, les animations et discussions avec les représentants de certaines marques présentes.
Sans oublier l’atmosphère friendly, le sens du service et l’attention extrême des employés portée aux membres, un constat déjà observé dans un Costco de Washington, mais qui se vérifie aussi en France. Autant d’atouts in-store difficiles à répliquer en ligne.
Gary Swindells, président de Costco France, m’a fait l’honneur de répondre à mes questions, et de faire le tour du magasin qui fête ses deux ans:
:: Vous êtes en France où vous dirigez Costco France depuis 7 ans. Etiez-vous dans le groupe précédemment?
Gary Swindells – Je suis Canadien – vous l’avez sans doute deviné par mon accent… Je travaille pour la société Costco depuis 26 ans. J’ai débuté en 1993 chez Price Club, dans le plus petit magasin. Puis Costco a fusionné avec Price Club. J’ai été directeur de club-entrepôt jusqu’en 1999. Puis j’ai occupé pendant deux ans la fonction de Assistant V.P. Ancillary and Fresh Foods, c’est-à-dire toutes les activités connexes à notre activité principale –les pharmacies, le centre auditif, le centre optique, le centre du pneu et les restaurants– et les départements de produits frais. En 2001, je suis devenu VP des Opérations. Je suis en France depuis janvier 2012.
:: Pour James Sinegal, co-fondateur de Costco en 1983 et son président directeur général jusqu’à sa retraite en 2011, la clé du succès de l’enseigne est à la fois sa culture interne – une culture faite de passion, d’intégrité, de responsabilité et de motivation de la part des collaborateurs – et la garantie pour le membre d’obtenir toujours le meilleur prix.
En ouvrant le premier club-entrepôt Costco en France, avez-vous aussi fait de la culture et du prix bas vos deux priorités?
Gary Swindells – Oui, absolument. Dans tous les pays où Costco s’est installé, ce sont à notre sens les deux choses les plus importantes à démontrer. Les valeurs de la compagnie, sa culture, sont très importantes et c’est la raison pour laquelle quelques personnes du groupe sont venues travailler en France pour le lancement de Costco France. C’est probablement le plus gros challenge. Nous ne sommes pas la grande distribution traditionnelle. Nous sommes un complément à ce qui existe. Au niveau des produits, c’est la même chose. C’était important pour nous de démontrer que Costco n’est pas une société qui prétend vendre au plus bas prix. Nous vendons la meilleure qualité de produit, au meilleur prix. Avec nos fournisseurs, la qualité de produit est le critère n°1 avant même d’avoir des conversations sur les prix.
:: Vous avez réussi à recruter 115 000 porteurs de cartes dès la première année, dans un pays, la France, qui n’est pas habitué au modèle membership. Quels dispositifs marketing avez-vous mis en place pour faire comprendre le modèle et recruter tant de membres en si peu de temps?
Gary Swindells – Nous comptons aujourd’hui en France à 140 000 porteurs de cartes et 90 000 membres (Ndlr: l’adhésion donne droit à une 2ème carte gratuite pour un membre du foyer). Le membership est un gros challenge. Avec tout ce qui existe comme commerces en France, mais très peu de modèles de membership, arriver à expliquer aux consommateurs qu’il faut une carte de membre à 36 euros pour accéder au club-entrepôt, était déjà un challenge.
Nous avons expliqué aux consommateurs que la carte de membre est 100% garantie. Si Costco ne trouve pas une façon de vous plaire, Costco rembourse la carte. Donc il n’y a pas de risque pour le consommateur. Nous garantissons également 100% de satisfaction sur chaque produit et service.
La seconde chose était de démontrer que c’est grâce aux revenus de la carte de membre que nous pouvons garder les prix les plus bas possible.
Nous devions montrer que si vous n’achetez que de l’alimentaire, à votre 3ème ou 4ème visite, avec les économies que nous allons vous offrir, vous aurez remboursé votre carte de membre. Et si c’est du non-alimentaire, c’est souvent dès votre première visite que vous remboursez votre carte de membre, et ceci pour plusieurs années.
“ Nous pensons que nos membres sont nos meilleurs ambassadeurs “
Nous faisons très peu de communication et de marketing. Nous croyons que c’est notre politique de prix qui amène nos membres à devenir nos meilleurs ambassadeurs. Ce sont eux qui sont notre meilleure publicité. Monsieur Sinegal a toujours dit “Ce ne sont pas les 50 centimes de réduction sur le beurre d’arachide qui crée une conversation le samedi soir, mais peut-être les 150, 200, 300 dollars que vous avez économisé sur votre téléviseur”.
On doit offrir à nos membres des économies substantielles, de façon à ce qu’ils incitent leur entourage à découvrir ce qui se passe chez Costco.
:: Le taux de renouvellement de l’adhésion est de 90,7% aux U.S. et au Canada. Etes-vous sur les mêmes taux de fidélisation en France?
Gary Swindells – Nous sommes à 88% à l’échelle internationale. Et en France, cela suit exactement le taux de renouvellement d’un nouveau marché. Nous sommes très satisfait de l’acceptation du concept.
Mais il faut toujours rester à l’affût. Nous sommes à l’écoute de nos membres, et nous nous assurons d’avoir la bonne offre.
Nous restons toujours à l’intérieur du concept Costco, donc nous avons une saveur internationale. Mais nous travaillons déjà avec 450 fournisseurs français, donc nous avons aussi la saveur locale.
Les personnes auraient tendance à penser que parce que Costco est une grosse société, nous travaillons uniquement avec des gros fournisseurs. Or ce n’est pas du tout le cas. Nous travaillons très bien avec des petits fournisseurs en France qui ont des produits excessivement qualitatifs, avec des cahiers de charge très élevés, et qui ne peuvent pas nécessairement desservir 30, 40, 50 magasins.
Chez Costco, ils apprennent à se faire découvrir, en même temps que nous, nous sommes capable d’offrir des produits aussi qualitatifs.
:: A l’entrée du magasin, j’ai remarqué un petit flyer très didactique consacré à la viande.
Gary Swindells – Ce document est travaillé avec notre fournisseur, et il présente le Charolais, du Label Rouge, une qualité de viande supérieure à ce qui se fait sur le marché. Au début, notre taux de pénétration au niveau de nos ventes était faible, car les personnes ne connaissaient pas le produit. Deux ans plus tard, nous avons doublé le taux de pénétration dans nos viandes. Nous avons une très belle collaboration avec le fournisseur. Les éleveurs viennent 4 à 6 fois par an dans notre entrepôt pour expliquer la provenance, mais aussi comment traiter la viande.
Costco comprend très peu de références. Un Costco moyen fait 180 millions de dollars américains de chiffre d’affaires, avec 3 500 références. Alors que la plupart des commerces vont faire ce chiffre d’affaires avec 80 000 ou 100 000 références. Vous imaginez que cela ne représente pas la même chose pour nos fournisseurs.
:: Aux Etats-Unis, Costco vient d’annoncer une hausse des ventes (à comparable) de 7% sur son 3ème trimestre fiscal (clos le 12 mai). Comment expliquez-vous une telle croissance face à Walmart, Amazon, des petits nouveaux comme Boxed.com ou encore les Dollar General et consorts?
Gary Swindells – Il est certain qu’il y a une émergence très rapide des achats en ligne, par contre, cela ne représente que 5% des achats globaux. Nous croyons que l’expérience en entrepôt est encore très importante. Etre capable d’offrir une expérience de shopping à nos membres, où l’on est capable de leur faciliter leurs achats, d’avoir les produits en entrepôt afin de leur éviter les ruptures quand ils font l’effort de se déplacer.
Nous sommes un cash and carry, mais aux caisses nous avons un emballeur en plus du caissier. Nous prenons soin des membres. Nous créons une relation avec nos salariés pour avoir une atmosphère plus détendue à l’intérieur de l’entrepôt. Je crois que l’expérience en club-entrepôt est très importante.
D’ailleurs si on prend comme exemple les Etats-Unis où Costco propose l’achat en ligne, seulement 4 à 5% des produits sont les mêmes produits qu’en entrepôt. Le e-commerce est un complément de ce qui existe déjà en entrepôt et qui nous permet d’avoir 8 0000 références au lieu de 4 000 références.
:: Aux Etats-Unis, le membre Costco a un revenu annuel moyen de 100 000 dollars ou plus. Le profil de clientèle est-il le même en France?
Gary Swindells – Nous avons une partie de notre clientèle qui est ainsi. La réalité est que lorsque l’on regarde les catégories de produits, nous avons des produits pour tout le monde. Pour les étudiants, par exemple, nous avons des ordinateurs portables, des jeans Levi’s à 39,99 euros. La démographie que nous ciblons en France est une famille de 4 personnes, avec un revenu familial autour de 55-60 000 euros.
:: Le coût d’adhésion est moins élevé en France qu’aux Etats-Unis : 36€ ($40) vs $60 pour la carte de base Goldstar aux USA. Est-ce volontaire?
Gary Swindells – Absolument, le coût d’adhésion plus bas en France est volontaire. Aux Etats-Unis, nous avons également pour le grand public la carte Executive à 120 dollars. Mais nous avons aussi une panoplie de services qui sont associés à cette carte de membre exécutif. Ces services sont appelés à être développés en France. Mais actuellement, personne chez Costco n’envisagerait de lancer une carte exécutive – donc plus chère – en France, sans avoir des services additionnels à proposer avec.
:: Le coût de l’adhésion est-il donc appelé à évoluer?
Gary Swindells – Cela fait 26 ans que je travaille dans la société et cela n’a jamais évolué énormément. Alors oui, c’est appelé à évoluer, mais jamais de façon excessive et ce sera en donnant plus d’avantages à nos membres en France.
:: Beaucoup de retailer (comme Nike) se servent désormais des données de leurs ventes e-commerce pour décider du lieu de leurs ouvertures de magasin. Sur quelles données vous appuyez-vous pour choisir le lieu de vos prochaines implantations en France?
Gary Swindells – Nous voulons que le site ait environ 1 million de personnes à 30 minutes avec une taille de parking sur-dimensionnée –environ 800 places de parking– parce que nous desservons aussi les PME. La grandeur des parkings est un des points très positifs dans les retours que nous font nos membres. Chez nous, les personnes se sentent très à l’aise, sans la crainte d’abimer leurs portières. Or avec les conditionnements de nos produits, vous avez parfois besoin d’ouvrir en grand vos portières.
Par la nature de notre carte de membres, Costco est un endroit de destination. L’accessibilité est très importante. Vous n’allez pas chez Costco parce que vous passez par hasard devant, vous y allez parce que c’est ce que vous avez décidé ce matin. Si je fais la comparaison en France, notre démographie est très proche de celle d’un magasin Ikea. Donc partout où il y a Ikea, il pourrait y avoir un Costco.
:: Le magazine de Costco U.S. – le Costco Connection Magazine – est envoyé à environ 85 millions de foyers aux Etats Unis.
La version française du magazine “ Mon Costco ” a-t-elle vocation, comme aux Etats-Unis, à être un magazine “lifestyle” avec des articles rédactionnels, qui fédèrent la «communauté» des membres?
Gary Swindells – Nous allons développer le magazine en France. C’est un magazine qui est réalisé en travaillant beaucoup avec nos fournisseurs. Il y a beaucoup de témoignages. Mais aucun prix.
On en profite aussi pour annoncer certains évènements à venir: les ouvertures de nouveaux magasins, ou de nouveaux services –comme par exemple une station d’essence que nous allons ouvrir à Villebon en 2020.
:: Costco est un des plus grands vendeurs de vêtements aux Etats-Unis. Les marques de vêtements françaises sont-elle ouvertes à être vendues chez Costco France?
Gary Swindells – Le textile est une part importante de nos produits. On a dans le club-entrepôt des blocs de 4 palettes et 3 racks de vêtements. Nous vendons excessivement bien le textile, nous travaillons avec beaucoup de marques. Cela donne l’occasion aux personnes de se procurer des produits de marques à des prix exceptionnels.
:: Après sept années en France et deux ans après l’ouverture du premier Costco France, qu’est-ce que vous appréciez dans le business en France? Et ce que vous appréciez moins?
Gary Swindells – Dans mes 7 ans en France, j’ai pu constater l’importance de la persévérance [rire].
:: De votre persévérance!
Gary Swindells – La nôtre, celle de la société, de nos collaborateurs. Mais nous sommes avant tout très fiers de l’acceptation de ce concept. Nous sommes très contents de la sélection de produits. En fait, c’est drôle, tous les produits dont on nous disait qu’on ne les vendrait pas en France, on les a très bien vendus. Si on prend l’exemple du département des produits de boulangerie –en France, le pays de la pâtisserie-boulangerie– et bien nos deux meilleurs produits sont le muffin américain et les cookies américains.
Lorsque l’on regarde la grande distribution en France, il y a beaucoup de personnes qui font très bien leur métier. La dernière chose dont les personnes avaient besoin en France, c’était un nouvel hypermarché venant offrir exactement ce qu’il y avait déjà sur le marché.
Je crois que les personnes apprécient de trouver une saveur internationale, d’avoir des produits qu’ils ne peuvent trouver dans tous les magasins, et avec cela de pouvoir aussi retrouver une saveur locale, qu’ils cherchent aussi à chacune de leur visite.
Donc vraiment ce qui nous a favorablement impressionné, c’est l’acceptation de ce concept.
Je vais être très honnête avec vous. Quelque chose qui nous a déplu? Je ne vois rien de particulier. Pour nous c’est un apprentissage. C’est être à l’écoute de ce que les personnes nous disent. Et c’est s’ajuster dans le pays où l’on s’installe.
“ Cela n’a pas été simple. Mais je crois que lorsque l’on choisit de vivre dans un pays, on choisit de vivre avec les règles de ce pays “.
:: Mais cela n’a pas été simple
Gary Swindells – Non cela n’a pas été simple. Mais je crois que lorsque l’on choisit de vivre dans un pays, on choisit de vivre avec les règles de ce pays. La façon d’obtenir les autorisations commerciales n’a pas été différente pour Costco que pour n’importe qui d’autre qui souhaite s’installer.
“ Certains de nos fournisseurs français sous la marque Kirkland Signature ont déjà commencé à fournir d’autres Costco dans le monde ”
:: Votre marque propre – Kirkland Signature ™- a-t-elle du succès en France?
Gary Swindells – Après l’acceptation de la carte de membre, Kirkland Signature™ était notre deuxième plus gros challenge. En France, la marque Kirkland ne parlait à personne. Pour nous, les produits Kirkland doivent être des produits égaux ou supérieurs à la marque nationale et doivent représenter un minimum de 15% d’économie pour le consommateur.
Nous avons organisé beaucoup de démonstrations de produits. Dans l’alimentaire, des dégustations de produits. Et on a très bien réussi. Aujourd’hui, les produits Kirkland Signature représentent 22 % de notre chiffre d’affaires.
Les articles Kirkland Signature sont produits un peu partout à travers le monde, dont certains en France. Et on espère qu’avec le développement de Costco en France, nous en créerons encore plus.
C’est une chance pour les producteurs.
La beauté de s’implanter en France, c’est une opportunité pour nous au niveau du commerce. Cela permet d’amener un nouvel acteur qui offre un nouveau concept dans un pays comme la France. Et cela nous permet d’avoir un sourcing de fournisseurs excessivement qualitatifs qui peuvent nous desservir partout à travers le monde. Certains fournisseurs ont déjà commencé à le faire.
Pour en savoir plus
- Gary Swindells, président Costco Wholesale France
- Costco France / Costco US
- Le magazine Mon Costco
- Comment Costco U.S est-il devenu un géant de l’habillement?
La correspondante :
Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse « go-between » France et USA, fondatrice de Customer Insight.
A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.
Laurence est expert US pour FrenchWeb qui reprend de temps à autres la publication des articles de son blog.
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