Laurence FaguerLes Experts

Comment la data aide à désiloter une entreprise?

Par Laurence Faguer, experte retail et BeautyTech

Ne jamais minimiser les valeurs que recouvre un #hashtag. Derrière #ActForData se trouve Ysance, qui depuis plus de 15 ans permet à ses clients retailers, tous secteurs d’activités confondus, de se réinventer grâce à la data et à l’IA, tout en préservant pleinement le facteur humain.

Derrière #TechforPeople, le groupe Devoteam, une ESN familiale, classée en 2019 dans le Top 20 des Employés dans le classement Glassdoor.

Ces deux-là devaient se rencontrer. C’est chose faite depuis le 14 janvier, date de l’annonce du rapprochement entre Devoteam et Ysance.

Benoit Fremaux, VP Retail & CPG chez Devoteam, et Laurent Letourmy, le CEO d’Ysance part of Devoteam, nous ont réservé cette interview croisée.

Benoit, Laurent, nous sommes nombreux dans la profession à vouloir connaître, de vous-même, les bases de ce changement structurant dans l’écosystème de la tech française, ainsi que vos ambitions. Let’s go!

Interview

 

Laurent, quand ont eu lieu les premiers échanges avec Devoteam ?

Laurent Letourmy : Nous avons commencé à échanger en 2020. Le rapprochement nous a semblé assez naturel, avec d’une part, Ysance et son histoire – très data, retail, cloud et innovant – et d’autre part, la position du groupe Devoteam en tant qu’acteur leader du cloud, et son ambition forte de se renforcer sur la data, et de se rapprocher du monde du Retail, au fur et à mesure que les entreprises déportent leurs données sur le Cloud.

Benoit Fremaux : Devoteam, c’est tout d’abord un groupe familial indépendant de 25 ans d’histoire, co-fondé et co-présidé par deux frères, Stanislas et Godefroy de Bentzmann qui détiennent la quasi-totalité du capital. Nous sommes une Entreprise de Services du Numérique (ESN) et un leader du conseil en technologies innovantes, avec 8 000 collaborateurs dans 18 pays en Europe et au Moyen-Orient. Notre métier est d’accompagner l’adoption des usages digitaux en aidant nos clients -grandes et moyennes entreprises- à choisir puis déployer les solutions et infrastructures à la pointe de la technologie.

Où vous situez-vous dans le panorama des ESN en France ?

Benoit Fremaux : Nous aimons nous décrire comme « le plus grand des petits » ou « le plus petit des grands », avec une taille qui nous permet de travailler notamment avec les deux tiers des entreprises du CAC 40. Elles apprécient notre capacité à allier force et agilité. Nous aidons nos clients à gagner cette bataille du digital mais nous n’avons pas vocation à rester chez eux. C’est une de nos grandes caractéristiques. Nous formons les équipes pour que les entreprises reprennent leur autonomie.

Donnez-nous un exemple.

Benoit Fremaux : Nous avons récemment réalisé une mission de consulting de très haut niveau pour un grand retailer non-alimentaire, à la demande du Directeur des Opérations, membre du Comex. Il s’agissait d’accompagner le groupe dans l’écriture de son ambition, de devenir une data-driven company. Nous avons parlé d’enjeux d’entreprise et d’ambitions business, en travaillant avec des C-Level, en posant et en écrivant ensemble cette vision. Un vrai travail de co-création. Et au final, pour cette mission, nous avons peu abordé les aspects technologiques.

Et vous-même Benoît, vous êtes entré récemment dans le Groupe Devoteam.

Benoit Fremaux : J’ai rejoint le groupe il y a 18 mois en qualité de Vice President Retail et CPG. Je suis en charge de l’accompagnement des entreprises de ces secteurs, pour imaginer et mettre en œuvre leur transformation digitale. Le retail et le CPG représentent 8% du chiffre d’affaires du groupe Devoteam en Europe, un peu plus de 10% en France, avec des clients dans la distribution alimentaire, la distribution non-alimentaire et dans les CPG.

L’objectif est de monter en valeur, en travaillant avec toutes les directions chez nos clients -la DSI bien sûr… mais aussi le marketing, la direction des ventes, la supply chain- et de construire des offres adaptées aux enjeux du retail et alignées sur la stratégie de Devoteam. Ysance va nous apporter son expertise sur le périmètre de la data.

Voulez-vous bien nous rappeler votre parcours ? Vous avez travaillé pour quelques grands « patrons » du retail; Philippe Houzé, Bernardo Sanchez-Incera, Alexandre Bompard, Enrique Martinez, Vianney Mulliez, Wilhelm Hubner…

Benoit Fremaux : Un parcours de 20 ans dans le retail, tour à tour Directeur Organisation et Systèmes d’Information et Directeur des Flux chez Monoprix, Directeur général de Laser-Symag, CIO – CDO de FNAC, puis DSI Corporate de Auchan Retail. Donc une expérience couvrant à la fois l’hypermarché alimentaire (Auchan), le supermarché non alimentaire et le e-commerce (FNAC) et le supermarché alimentaire (Monoprix).

La data n’est pas une technologie, mais la data a besoin de technologie.

Laurent Letourmy, CEO Ysance, Part of Devoteam.

Parlons data. Avec les 70 experts data d’Ysance – des Data Analysts & Data Scientists, des Data Engineers & Data Architects ainsi que des experts des solutions décisionnelles leaders du marché – comment le groupe Devoteam entend-il approcher le sujet data ?

Benoît Fremaux : La data est un sujet qui est très dépendant du secteur d’activité de l’entreprise. Déployer le cloud type IaaS/PaaS dans la banque, l’industrie, le retail ou le secteur public consiste peu ou prou à traiter les mêmes sujets. Mais parler de data à un retailer ou à un banquier sont deux choses très différentes. Ce ne sont pas les mêmes données, ce ne sont pas les mêmes Use Cases. Il faut des compétences métier. C’est cela que j’apprécie beaucoup avec l’arrivée de Ysance. Ysance n’est pas seulement un acteur de la technologie : Ysance apporte sa connaissance du secteur du retail – la data autour du client, autour du produit- une connaissance sectorielle.

Laurent Letourmy : Je dis souvent « La data n’est pas une technologie, mais la data a besoin de technologie ». D’ailleurs, il est loin d’être simple de définir ce qu’est vraiment la data. Par contre, je la considère comme un élément du patrimoine de l’entreprise. La data appartient à l’entreprise, elle doit être traitée tel quel par toutes les entités de l’entreprise. C’est toujours ce que j’ai défendu, et pas uniquement dans l’écosystème publicitaire.

La data est un secteur de l’IT qui nécessite vraiment une connaissance métier.

Benoit Fremaux – VP Retail & CPG chez Devoteam Group

Les demandes de vos clients liées à la data ont-elles changé avec la crise sanitaire ?

Benoit Fremaux : La demande n’a pas fondamentalement changé, mais elle s’est accélérée. Et nous l’avons vu avec la difficulté qu’ont rencontrée certaines entreprises, lors du premier confinement, pour ajuster les quantités, à positionner leurs stocks au bon endroit, à mettre en place le click & collect. Je n’ai pas un rendez-vous sans qu’on ne me parle de data.

Click & Collect – Ici chez Nike, sous le nom de Pickup Area – Credit: customer insight.

 

La data est probablement le levier le plus efficace pour désiloter l’entreprise.

Benoit Fremaux – VP Retail & CPG chez Devoteam Group

Aujourd’hui, les attentes des entreprises sont de trois ordres :

  • Détenir beaucoup plus de données. Historiquement, on a commencé à stocker les tickets de caisse, puis progressivement toutes les données de la supply chain, puis les données autour du client. La prochaine étape est d’intégrer les données externes, celles que l’entreprise ne produit pas. Les occasions d’acquérir plus de data se sont multipliées de façon exponentielle.
  • Des données en temps réel, en effet la technologie permet aujourd’hui de disposer d’information jusqu’au plus haut de niveau de synthèse en quasi temps réel dans la journée (ventes, stock, performance d’une campagne, trafic). Exit le « batch », bienvenue au temps réel !
  • Et le désilotage. Il y a encore trop de silos chez les retailers. La vente s’occupe de la vente, les achats des achats, et ainsi de suite. Or le besoin de croiser plus les données entre les canaux et les organisations est essentiel. Les personnes de la supply chain doivent pouvoir accéder aux données du client, et inversement. Il y a un besoin d’embarquer toutes les équipes dans la démarche data. Les entreprises qui demain vont gagner seront celles qui auront cassé les silos, et la data est probablement le levier le plus efficace pour désiloter l’entreprise.

La crise sanitaire n’aurait donc pas fait avancer le sujet data ?

Benoit Fremaux : Si, la crise sanitaire a pour conséquence l’augmentation du nombre de clients identifiés par une entreprise. Et donc, par voie de conséquence, le taux de connaissance client s’est très fortement amélioré. Jusqu’alors, une entreprise de la distribution alimentaire – Monoprix, Auchan, Carrefour – connaissait environ 50 % des clients constituant son chiffre d’affaires, correspondant à la part de ses clients encartés. Mais du fait que davantage de clients ont utilisé les canaux digitaux, cette connaissance a beaucoup augmenté. Cela a beaucoup enrichi le patrimoine de l’entreprise. Et les entreprises du retail se demandent comment garder cette dynamique.

Car les pure player ont cette avancée.

Benoit Fremaux : Le graal, c’est ce qu’arrivent à faire un CDiscount ou un Amazon: connaître 100% de ses clients. Lorsque vous êtes sur un canal purement digital, vous êtes sur 100% de vos clients identifiés. Vous êtes capable de les analyser, de les adresser commercialement. Dans le cas de magasins physiques, vous êtes à 30%, 40%, 50% de clients identifiés, donc il y a tout une partie de vos clients que vous n’êtes pas capable d’adresser. Il y a clairement un enjeu d’amélioration du taux de clients adressables.

Source: Devoteam – Livre blanc : La toute puissance de l’IA au service du Retail (pdf) (auteur: Benoit Fremaux, et Aymen Chakhari (Group Global Head of AI & Big Data Director, Devoteam)

 

Pour calculer l’attribution magasin, la règle principale est la localisation géographique des achats.

Laurent Letourmy, CEO Ysance, Part of Devoteam

Laurent Letourmy : C’est la résultante de l’hyper digitalisation des échanges entre marques, retailers et leurs clients. C’est une opportunité extraordinaire d’avoir une meilleure connaissance client. Nous nous sommes rendus compte avec un de nos clients, leader dans le secteur de la lingerie, d’un véritable cercle vertueux : plus nous connaissons la cliente, plus elle est fidèle et plus elle est engagée. Lorsque nous arrivions à récupérer un email, l’impact est immédiat.

Je crois que vous êtes allés jusqu’à changer la mesure d’attribution cross canal ?

Laurent Letourmy : Pour calculer l’attribution magasin, la règle principale est la localisation géographique des achats. Un client peut habiter en province, mais si il achète prioritairement dans un magasin à Paris, son chiffre d’affaires, qu’il soit fait en ligne ou en magasin, sera attribué à ce magasin parisien.

Benoit Fremaux : Chez Tesco, le CA d’un achat client fait sur un canal 100% digital est attribué au magasin le plus proche. Ainsi, le magasin se sent responsable de ce client même s’ il ne le rencontre pas.

Après cette année 2020 si particulière, quels changements survenus durant la pandémie vont, selon vous, perdurer ?

Benoit Fremaux : Je pense que la part du e-commerce va continuer à monter et, même s’ il y aura un petit tassement par rapport à l’envolée observée durant les confinements, nous ne reviendrons jamais au niveau d’avant. Des verrous psychologiques ont sauté, le plus important étant sur l’alimentation, particulièrement en France.

Dans notre pays, nous sommes très attachés à la qualité des produits que nous achetons, nous avons l’habitude de nous rendre au marché, d’aller chez son petit commerçant du coin ou de visiter les beaux étals des hypers. Ce qu’a démontré la COVID-19 aux consommateurs, c’est que l’on peut acheter des produits sans les voir ni les ‘choisir’ et avoir néanmoins de bons produits.

L’une des rares marques qui avait réussi ceci avant, c’était Charal. Pour acheter un produit sans le voir, il faut une relation de confiance absolue avec la marque. Une fois que vous avez découvert que votre drive ou votre fleuriste en ligne vous livre des produits frais d’aussi bonne qualité que ceux que vous auriez vous-même choisi, vous avez acquis cette confiance et vous renouvelez l’acte d’achat.

Et c’est vrai des grandes enseignes comme des petits commerçants. Mon maraîcher de quartier a mis en place la commande par téléphone de « paniers frais » en click & collect : on lui commande, on vient chercher son panier, déjà tout emballé. Je ne regarde pas à l’intérieur, je sais que ce sera bon.

Laurent Letourmy : Je confirme. Je commande depuis peu un « panier surprise » de poissons à mon poissonnier, un arrivage fraîchement pêché en Normandie. Je ne le faisais pas avant, je ne m’y étais jamais résolu.

Benoît Fremaux : Ce verrou levé en entraîne beaucoup d’autres, car commander à distance un produit frais est ce qu’il y a de plus difficile. Lorsque vous commandez en ligne un livre, vous recevrez le même livre quel que soit l’endroit où vous l’achetez. Lorsque vous commandez une salade, c’est une autre histoire. La livraison, le click & collect et les points relais se sont énormément professionnalisés. Et le télétravail a facilité les livraisons à domicile … tout simplement parce qu’il a quelqu’un à la maison pour recevoir les produits.

Laurent Letourmy : Un autre point à souligner sont les horaires de trafic en magasin. Il y a beaucoup moins d’affluence le samedi, l’affluence s’étale désormais sur tous les jours de la semaine. Ceci est important, en termes d’allocation des stocks en magasin, de fraîcheur des produits et de disponibilité du personnel dans les points de vente.

Photo by Eduardo Soares on Unsplash.

À titre personnel, mon job reste le même : vision et transmission, mais dans un écosystème tellement large !

Laurent Letourmy, CEO Ysance, Part of Devoteam.

Laurent, vous êtes un des entrepreneurs pionniers de la French Tech, vous appartenez au petit cercle de nos entrepreneurs Frenchy qui ont réussi et vous ne manquez jamais une occasion de féliciter le succès d’un de vos pairs. Si vous deviez donner un conseil à un entrepreneur dans le contexte actuel, lequel serait-il ?

Laurent Letourmy : Regarder devant. Faire des choix, les assumer, continuer à construire, toujours.

Avant d’intégrer un groupe, être attentif à la culture entrepreneuriale (ou pas) de la structure au sein de laquelle vous allez arriver, cela pourrait paraître bateau de dire cela, mais en termes de culture et d’entrepreneurs, je suis bien servi chez Devoteam ! Il y a “l’opération”, et il y a surtout le “après”. Se rappeler et rappeler le projet que nous sommes en train de construire. Gérer, accepter, traiter le changement, pour vous-même et pour toute l’équipe. Nous sommes dans un monde où le dogmatisme n’a plus beaucoup sa place. Les entreprises qui bougent sont celles qui résistent.

A titre personnel, mon job reste le même : vision et transmission, mais dans un écosystème tellement large !

Et la question que tout le monde se pose : comment deux dirigeants comme vous arrivent-ils à se tenir au courant de toutes les innovations tech et de tous les mouvements qui agitent l’écosystème ?

Benoit Fremaux : Avec beaucoup de lecture des médias, beaucoup de rencontres, également arpenter les grandes conférences comme la NRF, le CES, le salon BigData, … . Il faut également être curieux. D’ailleurs, j’ai un peu de mal à comprendre le rôle d’une Direction de l’Innovation qu’on rencontre dans certaines entreprises. L’innovation ne se décrète pas, ce n’est pas une organisation. L’innovation est un état d’esprit, un aspect de la culture de l’entreprise. Il faut que chaque collaborateur de l’entreprise travaille avec cette culture de la curiosité et de l’innovation.

Pour aller plus loin:

Devoteam

Ysance, Part of Devoteam

‎Benoit Fremaux, VP Retail & CPG · Groupe ‎Devoteam  Linkedin   Twitter

Laurent Letourmy, CEO Ysance, Part of Devoteam  Linkedin   Twitter

Le communiqué de presse

Le livre blanc Devoteam : La toute puissance de l’IA au service du Retail (pdf) (auteur: Benoit Fremaux, et Aymen Chakhari (Group Global Head of AI & Big Data Director, Devoteam)

L’experte:

Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse « go-between » France et USA, fondatrice de Customer Insight.

A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.

Laurence est l’une des expertes retail et beautytech de FrenchWeb, vous pouvez régulièrement retrouver ses analyses, et interview sur Decode Retail.

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