Laurence FaguerLes Experts

Comment la Française Elsa Jungman réinvente la dermo-cosmétique à San Francisco

Interview réalisée par Laurence Faguer, expert retail FrenchWeb

En synthèse 

  • Docteur Elsa Jungman, Ph.D. et fondatrice de ELSI Beauty, est certaine que l’avenir des soins de la peau repose sur la science et a observé qu’une grande partie du marché de la beauté –en l’occurrence, les personnes à la peau sensible– ont encore d’importants besoins non satisfaits
  • En tant que femme, entrepreneure solo, et fondant sa première startup, le docteur Elsa Jungman n’avait aucun des codes de la Valley pour lever des fonds. Et pourtant…
  • Son premier million de dollars levé auprès de Sekhmet Ventures, Founders Future, The Refiners, ainsi qu’auprès d’investisseurs privés, va l’aider à créer le « Stitch Fix de la beauté »: une plateforme personnalisée qui, grâce aux recherches sur le microbiome, va aider des millions de personnes qui luttent contre les peaux sensibles et réactives à bénéficier de soins de la peau « clean » et super doux, optimisés pour leur type de peau.

Dans le détail

C’est sur les hauteurs de San Francisco, à l’initiative de sa « mentor » Odile Roujol, fondatrice de la communauté mondiale BeautyTech et de FAB co-creation Studio, que j’ai fait la connaissance d’Elsa Jungman, CEO de ELSI Beauty. A peine la conversation s’amorce, et tout vous surprend chez Elsa. On la prend pour une jeune étudiante alors qu’elle est Ph.D. Docteur en pharmacologie cutanée, qu’elle contribue depuis dix ans à différents projets de recherche sur l’interaction des produits avec la peau, et qu’elle a notamment travaillé chez L’Oréal en Recherche Avancée. Elle évoque un choc toxique dans sa jeunesse qui aurait pu lui coûter la vie, et elle arbore un teint resplendissant.

Enfin, il y a l’utilisation de mots issus de la science. Certes on nous avait parlé de « clean beauty », un mot un peu galvaudé, mais on perçoit derrière la description par la jeune entrepreneuse de ses produits une décennie de recherche appliquée en biologie. Un atout qui n’est pas donné à toutes.

Découvrez les raisons pour lesquelles Elsa Jungman a créé ELSI Beauty, les défis qu’elle a dû relever en tant que fondatrice solo dans la Silicon Valley, et la manière unique qu’elle a de faire connaître sa marque direct-to-consumer, online, mais aussi offline.

:: Comment est né ELSI? 

Elsa Jungman: ELSI est né du constat qu’il y a de nombreuses innovations qui permettent aujourd’hui d’utiliser des ingrédients plus « clean », meilleurs pour l’environnement et plus respectueux du microbiome cutané, ces bonnes bactéries que nous avons sur la peau. Plutôt que de rajouter toujours plus d’ingrédients, nous avons pris le parti d’enlever tous les ingrédients superflus et de ne garder que les ingrédients essentiels afin d’optimiser aux maximum nos formules. Notre premier produit lancé à 3 ingrédients seulement, et d’origine naturelle, avec le même pouvoir qu’une crème hydratante. Nous avons totalement supprimé parfum et conservateur –et donc l’eau. C’est ce qui nous différencie des grandes marques.

ELSI Beauty
Crédit : ELSI Beauty.

 

:: Et vous y ajoutez la personnalisation

Aujourd’hui, il est très difficile pour une personne ayant une peau sensible de trouver le produit qui lui convient. Nous allons créer une plateforme personnalisée qui associe les données sur votre profil de peau, les changements hormonaux et l’environnement à nos travaux de recherche sur le microbiome pour créer un service d’abonnement pour des produits que les personnes utilisent le plus, comme des crèmes hydratantes et des nettoyants, livrés à domicile et qui sont continuellement adaptés en fonction de leurs commentaires.

ELSI beauty.
Credit : ELSI beauty.

Beauté, biologie, data

:: Vous expliquez sur votre site que la moitié de la population a la peau sensible. N’est-ce pas un peu exagéré? 

Aux Etats-Unis, les enquêtes des dermatologues ont montré que la moitié de la population s’identifie avec une peau sensible. Mais la bonne nouvelle, c’est que votre peau n’est pas sensible, elle est intelligente, elle sait ce dont elle a besoin et ce qui est nocif.

:: Face aux grandes marques cosmétiques disposant de colossaux budgets, quelle est votre stratégie de distribution et de communication?

C’est en parlant avec des groupes de la dermo-cosmétique française que j’ai réalisé que nous avions une stratégie opposée. Ils m’ont expliqué que leurs méthodes pour aborder le sujet des peaux sensibles passaient par le BtoB : ils s’adressent en priorité aux dermatologues et aux pharmaciens, afin de les éduquer, pour que ces professionnels aillent ensuite éduquer le consommateur.

Nous faisons les choses tout à faire différemment. Je ne suis pas dermatologue mais je comprend très bien la recherche cutanée, les produits. Nous nous adressons donc directement aux consommateurs, et nous ne leur parlons pas de problèmes médicaux, mais de peau sensible, qui n’est pas du même registre.

:: Vous êtes donc une marque 100% « direct-to-consumer »?

Oui, et je fais ma communication en direct avec le consommateur. J’ai commencé à le faire au travers de ma personal brand. L’Instagram de ELSI Beauty était au départ le mien. J’avais appelé mon compte Instagram My Minimalist Beauty.Et j’ai commencé à créer une communauté avant même qu’ELSI n’existe. Ainsi, j’ai pu communiquer sur toute la construction de la marque, sur les accélérateurs par lesquels je suis passée, les évènements auxquels je participais. Je faisais beaucoup de vidéos et de nombreuses personnes me contactaient en direct pour faire des partenariats.

Crédit : ELSI Beauty.

:: Il suffit donc, de nos jours, d’être sur Instagram pour lancer sa marque? 

Sans doute pas. Pour nous, l’autre stratégie, au delà de la communauté sur Instagram, c’est l’expérience racontée par une personne. Il y a une personne derrière la marque, le fondateur “est” la marque. C’est d’ailleurs de plus en plus fréquent en cosmétique: Rihanna a créé Fenty Beauty, Lady Gaga lance sa ligne de beauté Haus Laboratories.

Je suis très proche de plusieurs communautés soutenant les Women in STEM, comme Unboxd, qui s’est créé en même temps que ELSI. Est-ce parce que nous sommes à San Francisco? Nous essayons pour notre part de remplir ce rôle de marque mentor en aidant les femmes à construire un futur dans lequel elles se sentent bien, que ce soit dans les sciences ou dans une autre direction, et en leur amenant toutes les clés. C’est le message que nous voulons faire passer, au delà de la science et du savoir scientifique.

Cette dimension expérience fait que beaucoup de personnes nous découvrent de cette manière-là. C’est une manière différente de marketer le produit, sans se limiter à faire seulement de la publicité pour les produits.

:: Quand avez-vous lancé ELSI Beauty

Nous avons lancé le premier produit, un sérum hydratant, en mai 2019, alors que nous n’avions pas vraiment les moyens de le faire. Nous étions en pleine levée de fonds. Mais justement je crois que le fait de montrer que nous n’allions rien lâcher, que nous irions au bout coûte que coûte, nous a aidé à lever des fonds.

Crédit : ELSI Beauty.

« Nous n’avons pas suivi les codes de la Valley »

:: Et la suite vous a donné raison

A San Francisco, beaucoup de personnes vous conseillent de ne pas lancer avant d’avoir l’argent. Car lorsque l’on lance les produits, on regarde évidemment les metrics et la croissance. Mais nous étions arrivés à un point où quelque soit le pitch, les potentiels investisseurs trouvaient toujours quelque chose qui n’allait pas. Nous nous sommes dit que nous n’avions rien à perdre, et que ce serait trop frustrant si nous n’arrivions pas à lever, et si en plus nous n’avions rien lancé.

:: Donc vous n’avez pas écouté la Valley...

Non, nous ne l’avons pas écouté. De toute façon, dès le départ, nous n’avions pas les codes qui convenaient à la Valley.Je suis solo founder, je suis une femme et je n’avais jamais fondé une entreprise. Mon background est en science et non en marketing ce qui dérangeait beaucoup également.

ELSI Beauty a levé 1 million de dollars auprès de la société de capital-risque Sekhmet Ventures, de la société d’investissement française Founders Future et du programme de fonds d’amorçage The Refiners, ainsi que des investisseurs privés pour réaliser de la recherche et monter sa plate-forme personnalisée. 

:: Sur votre site est apparu en octobre la rubrique « Experience« . De quoi s’agit-il? 

C’est quelque chose que j’avais monté deux ans avant ELSI, et je n’aurai jamais imaginé que cela fasse un jour partie d’ELSI. En 2017 et 2018, avec Karin Karlsson, professeur de Yoga certifiée installée à San Francisco, nous avons organisé une dizaine de workshops dans la Bay Area, consistant en une  discussion autour du skin care après un cours de yoga. Nous avons eu tout de suite beaucoup de succès en organisant nos premiers événements pour ELSI a  Schoolab San Francisco, et avons monté au départ des partenariats avec par exemple des réseaux que The GUILD et Supergirls SF.

Nous nous sommes dit que nous tenions là quelque chose. Karin a alors développé avec moi une méthode de Facial Yoga, une approche holistique d’auto-soin, qui conjugue à la fois les pratiques de soins de la peau et de yoga facial. La première fois que nous avons fait ce workshop, il y avait un monde fou ! Ce facial yoga est alors devenu une vraie stratégie de communauté et nous l’avons officiellement intégré sur www.elsibeauty.com en octobre. (Ndlr : l’annonce dans Linkedin) C’est devenu The ELSI Method™ ,’un travail de 2 ans, aujourd’hui présent dans la rubrique ELSI Experience.

« The ELSI Method™ , un travail de 2 ans, aujourd’hui présent dans la rubrique ELSI Experience ». Crédit : ELSI beauty

 

::  Ce qui frappe dans cet exemple est l’alignement des planètes pour deux activités créées séparément

Je crois que c’est important lorsque l’on est entrepreneur d’expérimenter. Quand j’étais sur plusieurs projets différents à la fois, beaucoup de personnes me conseillaient de me focaliser sur un seul. Mais là encore, je n’ai pas suivi le conseil. Car on ne sait jamais ce à quoi va amener tel ou tel projet.

Je n’aurai jamais cru que The ELSI Method™ allait être créer, et allait intéresser tant de personnes. Je voyais la méthode comme quelque chose de tout à fait à part, plus pour les yogis. Mais en fait cela fait sens. Le bien être est un tout, et moi même en tant que scientifique, je suis passionnée par le Yoga. Le bien-être ne consiste pas uniquement à mettre des crèmes sur la peau. C’est apprendre à se sentir bien dans son corps et offrir des vrais moments de détente à nos clientes.

Karin est désormais notre spécialiste wellness et nous développons beaucoup de choses ensemble, qui seront bientôt lancé autour du bien être.

:: Souvent on parle de communautés dans le vague, vous montrez là un vrai exemple

Je dois l’intégration de The ELSI Method™ à Géraldine Le Meur, une de mes investisseurs et la co fondatrice du fonds d’amorçage The Refiners, qui m’a accompagné fin 2018. C’est Géraldine qui il y a un an m’a incité à l’intégrer dans ELSI. Je n’étais pas convaincue, pensant que cela n’allait pas avec ELSI, une marque scientique, de la pure science. Je voyais ce Facial Yoga comme du back office. Et puis quand j’ai lancé ELSI j’ai eu une illumination. Je me suis dite qu’il fallait que je l’intègre et depuis cela fait sens, notamment en marketing. Le online devient extrêmement cher. Plutôt qu’investir dans des ads Facebook et Google, je préfère dépenser un peu d’argent dans ces évènements.

Nous verrons où cela mène, mais je pense que c’est important de tester plusieurs choses quand on est une start up, et de rester soi-même. Cela fait parti de mon ADN, et c’est venu dans un second temps, quand j’avais ma bande passante pour voir un peu plus large.

« Le Facial Yoga, une approche holistique d’auto-soin, qui conjugue à la fois les pratiques de soins de la peau et de yoga facial ». Credit: Elsi beauty

 

:: En tant que marque « direct-to-consumer » de quels feedbacks disposez-vous de la part de vos clients?

Avant même le lancement, nous avions créé une Love Community. Nous avons recruté une vingtaine de volontaires américains sur Instagram, à travers tous les Etats-Unis, des personnes qui s’identifient avec la peau sensible. Ils nous ont donné énormément de feedbacks et cela nous a permis de comprendre qu’il n’y a pas un profil de peau sensible, mais une grande quantité de profils différents. Nous nous sommes aussi rendus compte de l’influence des hormones sur la peau sensible, notamment au moment de la ménopause. C’est quelque chose dont on parle peu.

 « Nous voulons créer le Stitch Fix de la beauté ». 

:: Et vous continuez à développer cette Love Community?

Toujours – et malgré que sa taille ait augmenté, nous le faisons manuellement ! Comme nous avons les emails de nos clients, nous leur envoyons des questionnaires feedback pour savoir si le produit leur a convenu, et comment nous pourrions l’améliorer en fonction leur type de peau. Par exemple pour des personnes qui ont la peau très sèche, un de nos produits n’est pas assez hydratant, alors qu’il est parfait pour des personnes à la peau grasse. Cela nous donne des pistes. Cela permet d’apprendre beaucoup. Car le projet de ELSI, c’est de créer le “ Stitch Fix de la beauté ”. C’est à dire de proposer, en exploitant les données collectées lors des feedback des clients et de la recherche sur le microbiome cutané, une offre personnalisée par abonnement, avec des produits spécialement optimisés pour la peau de l’abonné.

:: En juin, vous êtes partie vers New York pour recevoir un prestigieux Award franco-américain!

Oui, j’ai gagné le 2019 French American Entrepreneurship Award (FAEA) décerné par le Club 600, une communauté franco-américaine très importante à New York. Ce prix est décerné aux entrepreneurs franco-américains qui lancent leur entreprises aux Etats-Unis. Le jury de cette 11ème édition était constitué de Nathalie Kosciusko-Morizet, Executive Vice President Cloud & Cyber Security North America Capgemini, Jonathan Cherki, fondateur & CEO, Contentsquare, et Matt Turck, Partner FirstMark Capital.

Le 14 juin, Elsa Jungman était l’invitée de Sabrina Quagliozzi, managing editor US de BFM Business, à New York dans Tech & Co, présenté par Sébastien Couasnon, sur BFM Business.

:: Quelles sont vos sources d’inspiration? 

Aujourd’hui, je n’ai plus du tout le temps de lire… Mais avant je regardais des Instagram en science. Le compte Instagram de Michelle Wong qui a 100 000 followers. Elle m’a beaucoup inspiré pour sa manière de vulgariser la science.

Egalement, avant de démarrer ELSI, j’écoutais beaucoup le podcast How I built this? de Guy Raz. Je recommande à tout le monde de les écouter, notamment celui consacré au co-fondateur de AirbNb, Joe Gebbia. Cela montre que l’entrepreneuriat n’est pas si facile, et que pour eux tout n’est pas tombé du ciel du jour au lendemain. C’est très intéressant pour les entrepreneurs.

Et puis j’ai beaucoup suivi ce que me disaient les personnes dans mes accélérateurs. Et mes mentors comme Odile Roujol, qui a été une ressource énorme, pour tout ce qui est marketing, branding, DtoC, des domaines que je ne connaissais pas du tout. Et Odile m’a ouvert tout son réseau.

Je conseille aussi de parler à des entrepreneurs qui sont passés par les mêmes phases que vous, et de demander comment ils ont fait. Suveen Sahib, serial entrepreneur et le co-fondateur, avec sa femme Britta Cox de Aquis Hair, une marque de soin capillaire au carrefour de la science et de la technologie, m’a toujours donné de très bons conseils, comme par exemple d’attendre un ou deux ans avant de penser retail. Enfin la School Lab San Francisco  où nous avons nos bureaux a été pour nous une aide gigantesque.

:: Pour aller plus loin 

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Launch me!  

La correspondante:

Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse « go-between » France et USA, fondatrice de Customer Insight.

A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.

Laurence est expert US pour FrenchWeb qui reprend de temps à autres la publication des articles de son blog.

 

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