Comment l’État joue son rôle sur le long terme
Après un dégrossissage du rôle d’un État moderne dans l’élaboration de stratégies industrielles, nous allons nous intéresser au détail de ses rôles transversaux, applicables à tout plan industriel.
Je les ai organisés en trois catégories explicitées dans le précédent article : le rôle de mutualisation, celui de la création de conditions favorables à l’entrepreneuriat et enfin, un point spécifique sur l’aide aux exportations.
Ces trois parties sont d’une certaine manière trois étages d’une même fusée :
- la fonction de mutualisation de l’État, tour à tour formateur, chercheur, actionnaire et acheteur, qui lui confèrent une capacité à agir sur le long terme
- la création de conditions favorables à l’entrepreneuriat et à la compétitivité avec l’État législateur et régulateur, l’État fiscal, l’État numérique complété par un état des élites et leur état d’esprit
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la promotion des entreprises à l’étranger avec diverses aides aux exportations, un État diplomate et négociateur de traités internationaux et, dans une moindre mesure, un État espion utilisant des ressources ouvertes et fermées pour le développement de l’intelligence économique.
Nous terminerons ensuite avec quelques études de cas d’actualité dans quelques secteurs émergents illustrant comment ces différents rôle peuvent être mise en musique : Internet des objets, robotique, intelligence artificielle, génomique, voiture automatique, énergies renouvelables et industrie 4.0.
Ce post est consacré au premier étage de la fusée, le rôle de mutualisation de l’État, très centré sur l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche.
L’État formateur et chercheur
L’amélioration du système d’enseignement supérieur et de la recherche en France reste un bien vaste programme dans l’absolu. C’est aussi le cas pour optimiser ses effets de dynamisation de l’industrie.
Le système reproduit fidèlement ses élites, notamment par le biais des grandes écoles, aussi bien d’ingénieurs que de commerce. Les grandes écoles d’ingénieur françaises ont à leur crédit la création des principaux cadres de l’industrie depuis près de deux siècles. Une bonne part des grands noms de l’industrie française en sont sortis, surtout au moment des premières révolutions industrielles.
Au début des années 2000, une forme de modernisation a été déclenchée par la mauvaise position de la France dans les classements de Shanghai. Classements qui favorisent la production en recherche (publications, brevets, prix Nobel) et la masse critique. La politique des gouvernements depuis une grosse décennie a donc été de «clusteriser» l’enseignement supérieur pour tenter de le défragmenter. Cela a notamment aboutit au plan du grand Saclay ou à la fusion des Ecole Centrale Paris et Supelec, d’abord statutaire, puis géographique. Cette concentration a du sens mais a été menée de manière inconsidérée, notamment du point de vue de l’aménagement du territoire et de l’interdisciplinarité des campus, trop limitée.
Dans le même temps, les grandes écoles ont progressivement intégré l’entrepreneuriat dans leurs cursus de fin d’étude ainsi que des incubateurs et accélérateurs. C’est même le cas à l’École Polytechnique qui a récemment ouvert son incubateur – financé par Patrick Drahi – et dont le directeur encourage maintenant les élèves à devenir entrepreneurs bien avant le choix de voies plus traditionnelles. Les grandes universités s’y mettent aussi, un peu plus lentement.
La réforme de l’Éducation nationale est un puits sans fond tellement il y a de choses à faire. Voici quelques éléments d’amélioration, en général connus de longue date, qui sont liés spécifiquement aux besoins des filières industrielles.
La première priorité pourrait être de commencer par ré-enchanter les jeunes aux sciences et les technologies et, au passage, féminiser ces métiers. Ces filières n’attirent plus autant les jeunes qu’avant. Certaines grandes écoles ont même du mal à recruter leurs élèves et à remplir leurs promotions. Ce n’est pas assez connu des familles qui sont impliquées dans les choix de cursus supérieur pour leurs adolescents à l’orée du Bac : entrer dans une école d’ingénieur est relativement facile quelle qu’en soit la voie choisie – via les classes préparatoires ou les voies latérales, via des formations supérieures courtes.
Dans mes pérégrinations dans le monde, je visite souvent les musées des sciences et des techniques pour me faire une idée de la manière dont elles sont vulgarisées pour les jeunes. Dans la plupart des cas observés (à Tokyo au Miraikan, à Vienne, à Berlin, à Lisbonne, à Grenade en Espagne, …), les sciences et technologies semblent mieux valorisées que dans notre Cité des Sciences de la Villette et au Palais de la Découverte de Paris. En Allemagne et en Autriche, les machines de production sont valorisées ce qui n’est quasiment pas le cas en France, sauf peut-être au Musée des Arts et Métiers. La pédagogie française semble se focaliser sur les extrêmes : avec d’un côté les sciences exactes (cf. la salle du nombre Pi au Palais de la Découverte) et de l’autre les produits finis (surtout les moyens de transports) et un trou entre les deux.
Le pays gagnerait au passage à avoir des élites dirigeants s’intéressant plus aux sciences et aux technologies, comme s’y est accoutumé Barack Obama, qui n’a pourtant qu’une formation de juriste en droit constitutionnel, et aussi d’intégrer plus facilement des entrepreneurs. Quelques exemples symboliques suffisent pour changer la donne ! Ainsi, les efforts de Barack Obama pour promouvoir les sciences auprès des jeunes, notamment en les invitant à la Maison Blanche, auraient contribué à attirer plus de jeunes vers les filières scientifiques (cf. l’interview de John Holdren dans Nature, le conseiller scientifique de la Maison-Blanche pendant les deux mandats d’Obama).
Comment l’État peut-il valoriser ces filières scientifiques ? En définissant quelques priorités clés bien visibles et surtout, ambitieuses à même de faire rêver les jeunes. Cela touche notamment à tout ce qui concerne les innovations dans la santé et dans l’environnement. Pour ce qui est de la féminisation des métiers, les initiatives abondent qui se positionnent sur le terrain des parents et des jeunes dont Jeunes Femmes et Numérique, lancé par Social Builder et l’association Quelques Femmes du Numérique ! qui vient de se créer dans la continuité de l’initiative que j’avais lancée en 2012 avec Marie-Anne Magnac. La proportion des femmes dans les écoles d’ingénieurs augmente lentement. Elle est passée de 19,9% en 1990 à 28,4% en 2015 (source). Elle stagne voire régresse dans les écoles d’informatique, à environ 5% des effectifs.
L’enseignement supérieur scientifique et technique a une particularité : il est dominé en France par le secteur public et l’enseignement y est quasiment gratuit. C’est une situation très contrastée avec ce qui se passe aux USA où les étudiants qui démarrent dans l’enseignement supérieur («college») s’endettent lourdement pour financer leurs études. Jusqu’à 150 000 dollars plus des intérêts à taux variable. Le poids de cette dette est énorme : environ 1 000 milliards de dollars. Il s’est alourdi alors que les Etats des USA baissaient leur contribution au fonctionnement des colleges. Les grandes universités ont pour leur part des fonds d’investissement (endowments) dont les intérêts permettent de financer des bourses pour les étudiants issus des classes moyennes et défavorisées. Mais cela ne couvre que les frais d’études, pas la vie étudiante (logement, alimentation).
La partie de la classe moyenne correctement éduquée est surendettée avant même de pouvoir s’acheter un logement. Cela pèse sur sa consommation. Cette dette étudiante est l’une des grandes causes, avec la démographie de l’emploi, de la paupérisation des classes moyennes. Cela explique pourquoi Hillary Clinton a intégré un nouveau plan de financement de ces études dans son programme. Pourquoi les frais de santé sont ils si élevés aux États-Unis ? Entre autre chose, parce que les docteurs doivent rembourser les frais de leurs 10 ans d’études ! La situation américaine, que l’on retrouve dans son système de santé, montre que le passage par le privé pour ces rôles fondamentaux de l’État n’est pas du tout la panacée. C’est un énorme jeu de bonneteau.
L’enseignement privé a aussi son rôle à jouer dans l’enseignement secondaire comme supérieur. Les écoles d’ingénieur privées sont cependant bien plus nombreuses et connues dans le domaine du numérique (EPITA, ESIEA, …) que dans les sciences de l’ingénieur en général (SUDRIA, …). Au passage, dans le privé comme dans le public, on gagnerait peut-être à créer des filières «numérique et industrie X» (énergie, santé, transports, etc.) pour s’adapter aux grandes évolutions de ces métiers.
A l’image de la manière dont les grands campus des universités américaines sont organisés, il reste aussi à rapprocher les filières complémentaires dans les campus universitaires et les grandes écoles. C’est l’une des grandes forces d’universités américaines comme le MIT ou Stanford. Le contraire est lancé à Saclay, qui est en train de devenir un énorme ghetto de scientifiques. Quelques bons exemples sont à suivre : le rapprochement de Centrale Lyon et EM Lyon à Ecully près de Lyon et le campus de Telecom SudParis qui rassemble à Evry une école d’ingénieur et de commerce depuis longtemps. A contrario, Polytechnique et HEC sont partenaires mais distants de 12 kilomètres, ou Centrale et l’ESSEC, deux partenaires distants de 48 kilomètres, qui passeront à 53 kilomètres après le déménagement de Centrale près de Supelec à Gif-sur-Yvette.
Il faudrait idéalement aménager les campus universitaires pour les rendre à la fois polyvalents et sectorisés. Comment ? En mélangeant une polyvalence horizontale (droit, marketing, design, numérique) et une spécialisation verticale (santé, transports, environnement, énergie). Les grandes universités – surtout dans les métropoles régionales – sont bien plus diverses dans leurs cursus mais la démarche entrepreneuriale y est pour l’instant moins développée que dans les grandes écoles. Certes, on commence à apprendre à travailler en équipes projets dans l’enseignement supérieur mais pas assez avec des équipes pluridisciplinaires.
Autre grand chantier, celui du rajeunissement du corps enseignant et son rapprochement du terrain. C’est évidemment plus facile à énoncer qu’à mettre en pratique, ne serait-ce que parce qu’une pyramide des âges ne se rééquilibre que dans la durée. Cela passe notamment par une discipline pédagogique consistant à bien équilibrer les interventions d’enseignants à temps plein et de praticiens de l’industrie, en particulier les plus jeunes et dynamiques, tels que les entrepreneurs de start-up et de PME de forte croissance.
Plus généralement, l’enseignement secondaire et supérieur devrait instiller plus de curiosité, de «hacking» des idées, et de fonctionnement en mode projet. Il devrait aussi intégrer encore plus de sciences sociales pour apprendre à se vendre et communiquer. Cela commence dès le secondaire, voir même avant.
Ces efforts dans l’enseignement ne concernent pas que le supérieur. La qualité de l’enseignement et sa performance du primaire au secondaire est à améliorer. La note de France Stratégie déjà citée sur la compétitivité met en évidence le grave déficit français dans les compétences basiques en calcul et en lecture par rapport à la moyenne OCDE ! On retrouve cela dans les enquêtes PISA sur le niveau en mathématique au sortir de l’enseignement secondaire.
La question de la formation continue et de la formation professionnelle reste entière. Le MEDEF rappelle régulièrement son importance et revendique un effort plus important de l’État dans le domaine. La réforme de début 2015 a permis d’exaucer une partie de ses vœux. Reste à identifier avec le plus de clairvoyance possible celles de ces formations qui sont adaptées aux évolutions de la demande dans l’industrie. Très souvent, cette formation est plus adaptée aux métiers de services techniques associés à l’industrie comme dans l’installation, la maintenance, le dépannage et la logistique. Elle peut prendre en compte les évolutions en cours dans les processus de fabrication, dans l’impression 3D, dans le suivi de production ainsi que dans la gestion de la sous-traitance.
Comme l’indique si bien Adam Davidson dans l’excellent Blaming Trade Deficit and Voting Trump in the Rust Belt (juillet 2016), réindustrialiser un territoire demande à former autant les jeunes qui arrivent sur le marché du travail que les moins jeunes qui sont dépassés par les bouleversements technologiques qui impactent aussi bien les métiers de cols blancs de l’industrie que les cols bleus. Cela ne peut fonctionner qu’en étant mis en œuvre en amont et dans la durée.
Enfin, évoquons ce serpent de mer qu’est la maîtrise de l’anglais et persiste à être l’un de nos grands talons d’Achille malgré tout ce qui est fait pour exposer les étudiants à l’étranger, notamment via des stages ou des formations complémentaires (source du schéma ci-dessous). En pratique, cela ne concerne qu’une minorité d’élèves de grandes écoles. Le comble est que nous sommes maintenant moins bons que les autres pays latins ! A cause de l’exception culturelle, appliquée dans le domaine des contenus ? Les explications abondent sur les insuffisances de l’enseignement des langues. Comme on compare plus les résultats que les moyens, il est difficile de rationaliser le sujet ! Combien d’heures de cours ont les élèves dans les autres pays ? Quelle est l’origine des enseignants de l’anglais ? Répondons bien à ces questions et agissons ensuite !
D’ailleurs, est-ce que les films et séries TV sont diffusés en VO à la télévision ? Le niveau de maîtrise de l’anglais est meilleur dans les petits pays, comme les pays scandinaves. Ils ont l’avantage de leur faible population : il n’est économiquement pas intéressant de doubler les films par rapport au sous-titrage. Il suffirait donc de diffuser les films et séries en VOST par défaut, à commencer par les chaines publiques. Et pousser ceux qui le souhaitent à changer la configuration de leur TV ou de leur box pour avoir la VF. Au lieu d’imposer le contraire. Les personnes âgées râleraient surement mais c’est le prix à payer pour éduquer les oreilles des enfants à comprendre l’anglais. Je l’ai appliqué à mes enfants et c’est plutôt efficace !
On pourrait aussi augmenter la part des cours délivrés en anglais, ce qui est maintenant possible dans les Universités et les grandes écoles et par le recrutement des meilleurs étudiants et chercheurs venant du monde entier, et pas seulement dans les pays francophones. C’est un choix difficile à faire compte-tenu des impératifs de la défense de l’exception culturelle : plus l’on parlera l’anglais dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche publique, plus on attirera les meilleurs et on s’ouvrira sur le monde.
L’État chercheur
La Loi Pécresse de 2007 ainsi que les initiatives consécutives au lancement des Programmes d’investissement pour l’avenir à partir de 2009 ont resserré les liens entre les laboratoires de recherche publics et les entreprises de toutes tailles. Mais ce n’est pas suffisant et pas forcément bien ciblé. La recherche fondamentale ne fonctionne généralement pas «sur commande». Seule la recherche appliquée et le développement de produits sont adaptés. Or, la part des laboratoires publics qui fait de la recherche appliquée semble faible, sauf peut-être à l’INSERM et à l’INRA.
Dans le domaine du numérique, l’Etat est plutôt un bon financeur. Le budget de l’INRIA avait augmenté il y a quelques années, une rare exception dans un domaine où les vaches maigres sont le régime par défaut. Le rendu de cette recherche fondamentale est toujours sujet à caution. L’INRIA s’est dotée d’instruments de valorisation de sa recherche depuis une quinzaine d’année, avec INRIA Transfert devenu IT Translation, et avec son implication dans le fonds d’investissement I-Source Gestion. A part ILOG, acquis par IBM en 2008, les startups issues de ces laboratoires n’ont malheureusement généralement pas abouti à la création de leaders mondiaux.
La transformation de projets de recherche en produit est complexe. Parfois, un miracle opère, comme ce fut le cas pour Business Object et Kelkoo qui se sont tous les deux (en 1990 et en 2000) appuyés sur des travaux de recherche pour se lancer. Des initiatives de mise en valeur des travaux de recherche à destination des industriels existent comme les Innovation Days du CEA-LETI à Grenoble ou leurs équivalents nombreux dans les sciences de la vie.
Attention cependant à ne pas tout ramener au numérique, qui est très réducteur. Ce n’est pas avec du pivot et des applications mobiles que l’on peut inventer des batteries à haute densité énergétique fabriquées en grande série. Ni que l’on créé des thérapies géniques ou que l’on construit un avion de ligne.
Du côté de la valorisation des travaux de la recherche, tous les dispositifs sont déjà en place avec les SATT et les IRT ainsi que les pôles de compétitivité. Il faut surtout enfin comprendre que R&D n’égale pas innovation. Au centre des cursus devrait se trouver la capacité à identifier, prioriser et traiter les problèmes de clients et dans une logique de «factorisation de besoins». Elle relève à la fois d’une approche projet expérimentale, de l’exploitation d’un vécu aussi riche que possible des parties prenantes (chercheurs, étudiants, entreprises, ONG, Etat) et d’une formation sur la création et la vente de produits.
Le product management est une discipline à introduire dans les cursus universitaires ainsi que dans les grandes écoles tant d’ingénieur que de commerce. Et aussi les cursus de formation au design. Quand l’Etat définit des priorités industrielles comme dans les plans «Nouvelle France industrielle», cela devrait aussi se traduire par une orientation des crédits de recherche et dans l’aménagement du territoire dans l’enseignement supérieur et la formation professionnelle.
Il faudrait mieux rémunérer et motiver les chercheurs, quitte à en réduire le nombre en proportion. Cela peut nécessiter de faire des choix difficiles, notamment vis à vis des recherches en sciences humaines qui sont parfois surdimensionnées par rapport aux besoins comme aux résultats. Au passage, il faudrait continuer d’injecter de la recherche dans le cursus des Grandes écoles scientifiques. Il vaut mieux en élever le niveau de ce point de vue-là que de les paupériser au niveau des universités.
Aux États-Unis, un post-doc gagne couramment 42 000 dollars par an, à comparer aux 24 000 euros bruts d’un post-doc en France. On doit cependant déduire du salaire américain les charges d’assurance maladie et les remboursements d’emprunt des exorbitantes études supérieures pour comparer des choses comparables. Mais ce n’est pas qu’une question de salaire. Les moyens techniques des laboratoires comptent tout autant et ils sont bien plus importants aux États-Unis. La création ou le cofinancement de grands outils de recherche scientifique reste une action majeure des États que ne remplissent pas les entreprises du secteur privé.
L’État actionnaire
L’État a été longtemps un grand interventionniste de l’industrie française avec ses participations dans nombre de grandes entreprises, qu’elles soient dans le giron des services publics (EDF, La Poste, France Telecom, SNCF, Air France) ou pas. L’État français a été et reste l’un des plus interventionnistes au monde dans la politique industrielle. Il n’est dépassé dans ce registre que par les anciens pays communistes ou la Corée du Nord.
Une bonne partie du Meccano industriel des dernières décennies a été piloté par l’État et en particulier les équipes du ministère de l’Économie et/ou de l’Industrie. Des sociétés comme Total, Thalès, Airbus, Alstom, Technicolor ou Areva sont le résultat d’un incroyable jeu de bonneteau témoignant d’une instabilité chronique. Il s’est agit presque à chaque fois de sauver des entreprises qui allaient mal. Dans de nombreuses circonstances comme sur le nucléaire, l’aviation, l’énergie ou l’électronique militaire, l’Etat a joué un rôle positif, regroupant des entités disparates d’un même marché pour tenter de créer des ensembles cohérents et plus compétitifs. Il avait d’ailleurs favorisé ces regroupements dès la seconde moitié du 19ème siècle.
L’État est devenu temporairement beaucoup plus interventionniste pendant les années 1980 après les nationalisations de 1982 et même après les privatisations qui ont suivi, qui étaient souvent partielles, comme celles de France Télécom ou d’EDF, déclenchées par les directives sur la concurrence de l’Union européenne. Même dans le cas où il n’est pas actionnaire, l’État peut être interventionniste en haut lieu – l’Elysée – comme on l’a vu dans le cas du dépeçage récent d’Alstom. Il peut aussi provoquer des acquisitions pour éviter des licenciements à la veille d’une élection comme pour l’acquisition de Photowatt par EDF EN juste avant la présidentielle de 2012.
Depuis 2013, Bpifrance gère la quasi-totalité des outils d’investissement dans les entreprises de l’Etat. Elle a récupéré la gestion du FSI, des PIA, ainsi que des fonds de fonds qui alimentent les fonds d’investissements français. C’en est au point que lorsque l’on cumule tous ces dispositifs plus la fiscalité (ISF et CIR), on se rend compte que l’État finance largement plus des deux tiers de l’innovation en France, tout du moins dans les startups !
Bpifrance gère les aides, les avances remboursables, les prêts ainsi que l’investissement en capital autant dans les start-up que dans les PME. En relation avec la DGE de Bercy, la banque applique directement ou indirectement les stratégies industrielles de l’État. En 2015, elle lançait une initiative de valorisation des innovations de services. Dans l’ensemble, le dispositif fonctionne mieux aujourd'hui que du temps d’Oséo. Bpifrance a investi maintenant des tickets significatifs dépassant les 10 millions d'euros dans des start-up telles que Withings ou Voluntis. Elle arrive même à le faire conjointement avec des investisseurs étrangers. En 2015, elle prenait même 5% du capital de Parrot pour 33 millions d'euros. On est encore loin du niveau de financement des unicorns américaines, à quelques très rares exceptions près comme Blablacar et Sigfox, ou plus récemment Parrot et OVH, deux belles PME qui ont levé respectivement 300 millions d'euros et 250 millions d'euros pour financer leur croissance, une situation plutôt inédite. Bpifrance a été impliqué dans la levée de Parrot mais pas dans celle d’OVH. Cette dernière fait écho aux quelques 150 millions d'euros engloutis dans les vains projets de cloud souverain Cloudwatt et Numergy, absorbés après leur échec par leurs principaux instigateurs, respectivement Orange et SFR.
Via des initiatives telles que le French Tech Pass, l’ensemble des organismes publics tels que Bpifrance savent maintenant se mobiliser pour accompagner dans leur croissance les start-up les plus prometteuses, qui ont dépassé le million d’euros de CA. Cette mobilisation est évidemment différenciée et toutes les start-up passant par ce processus n’arrivent pas forcément à faire des levées de fonds de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Bpifrance et l’État se verraient bien revenir au vieux jeu du Meccano industriel pour recomposer le paysage industriel et en particulier accélérer la consolidation de certains acteurs du numérique pour leur permettre d’atteindre plus rapidement la taille critique. Cette approche est intéressante dans certains cas d’industries qui suivent un mouvement d’intégration verticale, dans le numérique comme dans les autres industries.
Chaque entreprise et chaque marché est particulier et l’État est capable du meilleur comme du pire ! Examinons quelques cas récents d’intervention de l’État comme actionnaire ou influenceur.
La branche énergie d’Alstom a été cédée en novembre 2015 à General Electric, préféré à l’allemand Siemens par le gouvernement français, qui n’en était plus actionnaire depuis 2006. 70% des effectifs d’Alstom sont ainsi passés sous contrôle américain et la fabrication comme la maintenance des turbines de nos centrales nucléaires et de nos sous-marins nucléaires. Il subsiste 9 000 collaborateurs dans la branche transport qui reste française et dont le premier actionnaire est le groupe Bouygues. 6 500 suppressions d’emploi ont eu lieu ou sont prévues dans ce qui est devenu GE-Alstom.
Dans cette affaire, le patriotisme économique a été mis à bien rude épreuve et aucun acteur n’a résisté aux sirènes de la vente, du gouvernement à Bouygues SA en passant par les dirigeants d’Alstom comme Patrice Kron. L’affaire est tellement compliquée qu’il est bien difficile de définir ce que l’État aurait dû faire ou pu faire à part bloquer purement et simplement la vente. Le plus ironique dans l’histoire est que l’offre de Siemens n’a pas eu la faveur d’Alstom et du gouvernement français. Siemens a visiblement eu une approche moins «win-win» avec la France que les Américains. Ou ils ont été moins malins et manipulateurs que les Américains. C’est dommage car la création d’un leader européen de l’énergie aurait été préférable.
Dailymotion n’est pas à proprement parler d’une société industrielle au sens ancien du terme. Créée en 2005, elle a bénéficié en 2009 d’un investissement de 7,5 millions d'euros du FSI, ce dernier ayant été créé en 2005 sur recommandation du plan Beffa de 2004. Le champion national de la vidéo était alors déjà largement dépassée par YouTube, acquis par Google en septembre 2006. L’idée était d’en faire un investissement stratégique pour créer un champion au minimum européen de la vidéo en ligne. Le FSI a dans la pratique surenchéri contre des VC français prêts à investir dans la société ! Certes, ces derniers auraient été tentés de céder le groupe plus rapidement que l’État français.
La start-up est reprise par Orange entre 2011 et début 2013 pour près de 200 millions d'euros. S’ensuivent les négociations avec Yahoo! qui souhaitait rentrer au capital pour aider au développement aux États-Unis du service vidéo. Le deal est bloqué par Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, qui veut conserver en France ce joyau de l’Internet tricolore. Enfin, la société est reprise par Vivendi en 2015 à hauteur de 80%, pour un montant légèrement supérieur à ce qu’Orange avait déboursé. Comme quoi sa valeur n’avait pas beaucoup bougé. Depuis, la moitié des effectifs ont quitté Dailymotion. Fin juillet 2016, Yahoo! est de son côté acquis par l’opérateur télécom américain Verizon. Autant dire, la fin des fins.
La leçon d’histoire ? Nous avons eu ici un État qui arrive trop tard et a misé trop petit dans un jeu qui était déjà fait. Le numéro 2 occidental de la vidéo en ligne était et est toujours très mal armé pour lutter contre l’hégémonie de YouTube. Dans le numérique, être un tout petit numéro 2, c’est déjà être largement perdant ! Ce ne sont pas les synergies avec le bien mal en point Canal+ qui vont arranger les choses dans le groupe Vivendi. Canal+ n’a pas d’empreinte internationale suffisante pour changer la donne face à YouTube. Il faut savoir se battre dans les batailles où l’on a quelques chances de l’emporter et s’en donner les moyens ! Et passer à autre chose autrement.
Le spécialiste de la robotisation de salles d’opérations MedTech a été récemment cédé à l’américain Zimmer. C’est un joyau de plus qui s’en va après Withings et CaptainTrain. Le fondateur de la société, Bertin Nahum, se plaignait de la difficulté à financer sa société. Il a bien eu des investisseurs privés et régionaux, mais arrivés tard et avec une capacité d’investissement trop faible. Et d’évoquer la dure réalité : pour se financer de manière respectable, les startups prometteuses doivent faire appel à des fonds étrangers et petit à petit devenir étrangères.
Deux solutions sont évoquées : orienter plus d’investissement vers les startups comme via les assurances vies ou créer des fonds d’investissement européens. Quoi que l’on fasse en France, dans le public et dans le privé, notre capacité de financement sera au mieux proportionnelle à notre PIB. Et le PIB américain est environ 7 fois plus gros que le PIB français. Qui plus est, le PIB de l’Union européenne dépasse le PIB américain mais son capital risque cumulé y est 5 fois moins important qu’aux États-Unis en volume.
Diam Concept est une société issue d’un laboratoire du CNRS qui fabrique des diamants synthétiques de bonne qualité et de manière bien plus économique que les acteurs américains de ce marché. Les clients potentiels sont les grands joaillers. La société a besoin de plus de 10 millions d'euros pour se développer, notamment pour le financement des machines de production. A la clé, un marché adressable de centaines de millions de dollars. Bien financée et rapidement, cette société pourrait devenir leader de ce marché. Qui va faire un pari pour créer un leader mondial ? Les grands français du luxe comme LVMH ? L’État français ? Ce n’est pas un marché spécialement prioritaire mais un élément stratégique de la supply chain de l’industrie du luxe. LVMH avait un beau stand sur Viva Technology. C’est un bon litmus test des pratiques d’innovation ouverte du secteur qui se prépare ! Mais sauf à ce que Bpifrance y investisse, la part de l’État sera minime dans cette aventure industrielle potentiellement intéressante.
L’acquisition en juillet 2016 de l’anglais ARM par le Japonais Softbank pour 32 milliards de dollars est surtout une opération financière car ARM est une société profitable qui n’a pas besoin de nouveaux capitaux pour se développer, étant déjà un quasi-monopole sur son marché.
ARM est une spin-off d’Acorn Computers dans les années 1980, un constructeur de micro-ordinateurs disparu à la fin des années 1990, dépassé par la suprématie des PC. Mais Acorn était très intégré verticalement et avait conçu ses propres processeurs RISC. ARM signifie d’ailleurs dire Acorn RISC Machine. C’est un exemple assez ancien de pivot industriel réussi ! ARM a presque totalement horizontalisé le marché face aux constructeurs de microcontrôleurs et chipsets qui utilisaient leur jeu d’instruction propriétaire comme STMicroelectronics avec son ST40. Les noyaux M dominent le marché des microcontrôleurs et les noyaux A celui des chipsets mobiles. ARM ne fait que vendre de la propriété intellectuelle sous la forme de «blocs d’IP» qui servent à concevoir des chipsets. La société faisait 1,5 milliard de dollars de CA avec une croissance annuelle de 15% en 2015.
Le Royaume-Uni a ainsi perdu le contrôle d’une société stratégique dans la mobilité et les objets connectés. Le fondateur d’ARM, Hermann Hauser, a déploré cette vente. Elle fait d’ailleurs suite à l’acquisition d’un autre Anglais des semi-conducteurs, CSR (Cambridge Silicon Radio), spécialisé dans l’Internet des objets et dans l’automobile, par Qualcomm et pour 4,2 milliards de dollars en août 2015. La vente a cependant été favorablement accueillie par le nouveau gouvernement de Theresa May, positivant la chose en se félicitant que juste après le vote sur le Brexit, un investisseur étranger fasse ainsi confiance au Royaume-Uni. C’est une situation incompréhensible pour le dirigisme français. Aurait-on accepté une telle vente ?
Reste à savoir ce que Softbank pourrait faire d’ARM, s’il va plus loin qu’un acquisition purement financière. Avec quel impact sur l’intégration horizontale et verticale de ce marché ? Est-ce que cela pourrait revigorer l’un des concurrents d’ARM, l’Américain Imagination Technologies qui possède l’architecture MIPS, devenue marginale ?
Et la filière des semi-conducteurs française ? Elle est dominée par le franco-italien STMicroelectronics, lui aussi issu d’un bon gros Meccano industriel pluri-décennal. La société fait environ 7 milliards d'euros de CA annuel. Elle est le numéro 2 mondial des capteurs pour les objets connectés. Ses unités de production de Crolles – que j’avais visitées fin 2014 – sont les plus modernes d’Europe mais sont bien maigres face aux champions asiatiques (TSMC, UMC, Samsung) et américains (Intel), que ce soit en capacité de production ou d’intégration (28 nm chez ST, 10/14/16 nm chez les concurrents). STMicroelectronics a annoncé juste après le CES 2016 abandonner le marché des chipsets pour les set-top-box, supprimant 700 emplois au passage. La société a du mal à se positionner comme «platform vendor». Elle dépend d’ARM pour ses jeux d’instruction. Elle n’est pas présente sur le juteux marché des mobiles au niveau des chipsets et surtout dans celui des capteurs qui génèrent moins de valeur par mobile et ont tendance à devenir des commodités. La société est aussi présente dans l’industrie et notamment l’automobile, très vorace en capteurs et électronique embarquée.
Dans le même temps, le fabricant de semi-conducteurs Altis Semiconductor, s’est mis en redressement judiciaire en aout 2016. La société comprend surtout l’usine de Corbeil-Essonne, qui appartenait il y a longtemps à IBM, cherche un repreneur. La société avait été reprise par Yazid Sabeg, le président de la société de services informatique CS, avec un fonds Qatari et Bpifrance comme autres actionnaires. L’usine produit des composants CMOS en technologie 130 et 180 nm sur des wafers de 200 mm. Autant dire que ce n’est pas le top et que cela permet tout juste de produire des composants industriels pour des marchés spécifiques. Quelle position cette société pouvait-elle avoir dans la chaîne de valeur des semi-conducteurs ? Pas évident ! Son bureau d’études aurait pu en faire une fabless s’il s’était spécialisé sur un marché porteur. Quand à la capacité de production de l’usine, elle était probablement insuffisante pour générer les économies d’échelle indispensables pour tenir le choc dans ce secteur en pleine consolidation et dont les besoins financiers augmentent à chaque nouveau niveau d’intégration.
En 2012, Softbank avait aussi discrètement mis la main sur le Français Aldebaran Robotics alors que la startup avait besoin de financements pour son développement orienté sur le long terme. Pour environ 85 millions d'euros. Aldebaran est devenu Softbank Robotics avec une stratégie assez différente de son fondateur, Bruno Maisonnier, qui a quitté la barque en 2015. On a ici deux joyaux européens qui se font gober par un groupe japonais sans que cela fasse broncher les états des deux côtés de la Manche. Triste. Mais inéluctable ?
Prenons une étude de cas fictive, mais pas tant que cela. Supposons qu’un laboratoire de recherche publique français invente un procédé technologique révolutionnaire pour créer des batteries présentant les caractéristiques suivantes : une densité énergétique plusieurs fois plus grande que les batteries classiques au Lithium, un cycle de charge rapide, pas d’échauffement, un usage de matières premières abondantes et la capacité à supporter des milliers de cycles de charge et de décharge. Avec des applications dans les véhicules électriques et dans les logements. Le procédé est breveté en bonne et due forme. C’est un véritable «game-changer». Mais d’autres technologies de batteries concurrentes voient le jour ailleurs dans le monde, aux États-Unis, au Japon et en Allemagne. La technologie française a l’air plus performante et il reste à l’industrialiser à grande échelle pour que sa valeur économique soit très différentiée des technologies nouvelles issues d’autres pays.
Mais comment l’industrialiser ? Va-t-on créer des usines pour le fabriquer en France ? Va-t-on vendre la technologie sous licence sachant qu’Elon Musk a l’air d’être intéressé ? S’il fallait optimiser la rentabilité d’une PME innovante lancée sur ce procédé, la vente de licences serait la meilleure solution. Autre solution : que cela serve au développement du champion français du secteur : SAFT, dont l’usine américaine avait d’ailleurs été visitée par Barack Obama début 2016 !
Si l’on voulait maîtriser la chaîne de valeur et générer plus d’emplois, la solution de l’industrialisation serait préférable. Elle demanderait des moyens financiers importants, même au niveau de SAFT. Cette société faisait un CA de 759 millions d'euros en 2015, avec une EBITDA d’environ 15%, une dette de 85 millions d'euros, un résultat net d’environ 50 millions d'euros par an. Dans la pratique, la société appartient au groupe Total qui a de larges capacités d’autofinancement.
Supposons… 5 millions d'euros à 20 millions d'euros pour lancer une pré-industrialisation du procédé, 100 millions d'euros pour créer la première usine de production et 2 milliards d'euros pour monter en puissance à l’échelle mondiale. Qui joue ? Comment ? Quels investisseurs privés vont miser sur cette société ? Comment aider les chercheurs à créer une équipe entrepreneuriale correcte ? A part Total/SAFT, il n’y a pas beaucoup d’autre solution.
Ici, Bpifrance peut coordonner l’investissement public dans la société, probablement jusqu’à un ticket de 20 millions d'euros. Après, des industriels français doivent s’impliquer : EDF EN, Bolloré, ou Total si SAFT se lance dans l’aventure ? Mais sous quelle forme ? Actionnaires minoritaires d’une start-up ? En acquérant une licence exclusive d’usage de la technologie et en l’industrialisant de leur côté ? Et quelles alliances européennes bâtir éventuellement sur un tel projet ?
Une stratégie, c’est bien, mais derrière, il y a la capacité d’exécution. Cela consiste à pouvoir répondre à toutes ces questions pratiques. Pas juste produire des rapports ou même des articles du genre de celui-ci !
L’État acheteur
Pendant des années 60 et 70 des grands projets Gaulliens, l’État était son propre client. Les grands projets industriels étaient réalisés par des entreprises publiques sous son contrôle. Ces entreprises tout comme l’État sont des clients naturels pour un tas d’industries et de sous-traitants : dans le BTP, dans l’équipement, dans l’informatique, les télécoms, dans l’énergie, les matières premières, les transports et la santé pour l’équipement des hôpitaux. Ces achats sont assez peu centralisés, les centres de décision étant répartis dans une myriade d’administrations, collectivités locales et établissements ou entreprises publiques.
Le patriotisme économique fonctionnait à plein jusqu’aux années 1990. Au point que l’État faisait appel à des entreprises publiques ou privées qui produisaient quasiment à perte. Depuis les difficultés budgétaires, l’État n’hésite plus à acheter à l’étranger : des véhicules pour la police (Ford) ou même des armes (le prochain remplacement du fusil d’assaut Famas). Il raisonne plus comme acheteur cherchant à optimiser ses investissements.
Quid des start-up ? Cela fait des années que l’on entend parler d’un «Small Business Act» à la française. Des groupes d’influence privés l’ont réclamé, des politiques comme François Bayrou ont relayé la revendication et une disposition sur l’achat public via les PME a même été introduite dans la loi par étapes en 2008. Le code des marchés publics a même été simplifié pour les PME depuis avril 2016 après été modifié plusieurs fois, notamment en 2006, 2011, 2014 et 2015 (source). Manuel Valls a annoncé en 2015 tout un tas de dispositions destinées à faciliter la vie des PME.
Le SBA américain est une loi de 1953 modifiée plusieurs fois par une bonne part des administrations démocrates comme républicaines. Elle alloue une part plus importante de la commande publique nationale aux PME, entre 25% et 40%. La Small Business Administration garantit aussi les prêts pour les PME, un dispositif voisin de la garantie Sofaris, intégrée dans Oséo puis dans Bpifrance à partir de 2013.
Un autre dispositif du SBA américain est moins connu. Créés en 1982 pendant le premier mandat de Ronald Reagan, les Small Business Innovation Research (SBIR) sont des allocations fédérales finançant des projets de PME sous forme d’aides ou de prêts. Les SBIR sont gérés par les diverses agences fédérales telles que la DARPA, la NASA, le DHS (sécurité intéreure), la NIH (équivalent de l’INSERM) et la NSF (National Science Foundation). Cela représente plus de 2 milliards de dollars par an. En appliquant un ratio basé sur le PIB, cela ferait 300 millions de dollars en France.
Dans la pratique, les principaux programmes de financement de l’innovation consolidés chez Bpifrance représentaient le triple en 2015, soit 1 milliard d'euros. L’ANR coordonne pour sa part le financement de projets de recherche. La différence réside dans le mode de fonctionnement. Le SBIR génère une relation client/fournisseur plus saine entre les agences fédérales et les PME innovantes, particulièrement pour la DARPA. Il faudrait aussi mettre cela en regard des 30 milliards de dollars de budget annuel de la seule NIH pour le financement de la recherche dans la santé ! Même en divisant cela par 10, nous sommes largement dépassés, le budget de l’INSERM étant pour 2016 de 904 millions d'euros !
L’autre évolution que l’État et les collectivités locales peuvent mettre en place est de faciliter l’expérimentation. C’est notamment ce que fait Paris&Co au travers de divers appels à projets comme dans l’urbanisation. D’autres grandes villes se sont lancée dans des démarches équivalentes. Le code des marchés public évolue doucement pour faciliter cela. Le point clé pour une start-up est cependant de passer rapidement de l’expérimentation – qui valide une réponse à un besoin – à un déploiement à grande échelle, seul moyen de générer un bénéfice économique. L’industrie, ce n’est pas de l’artisanat !
Article initialement publié sur le blog Opinions Libres.
Olivier Ezratty est consultant en nouvelles technologies et auteur d’Opinions Libres, un blog sur les médias numériques (TV numérique, cinéma numérique, photo numérique) et sur l’entrepreneuriat (innovation, marketing, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb.
Lire aussi :
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