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Comment l’État promeut les entreprises à l’étranger?

Nous voici arrivés au terme de ce voyage exploratoire dans les diverses facettes du rôle de l’Etat en matière de stratégie industrielle. Nous avons surtout fait le tour de son rôle transversal, indépendamment de chaque industrie. Dans cette partie, intéressons-nous au dernier étage de la fusée avec la manière dont l’Etat peut aider les entreprises à exporter, avec notamment l’Etat diplomate et l’Etat espion.

Je bouclerai alors cette longue série en dressant une sorte de cahier des charges de ce que devrait être un plan industriel digne de ce nom permettant de réellement faire la différence. Nous verrons comment il n’est actuellement pas appliqué dans les plans existants. Puis nous terminerons avec les plans des politiques à l’orée de la présidentielle 2017.

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L’État promoteur des entreprises à l’étranger

Les aspects les plus connus des entrepreneurs intéressés par l’export sont les activités de Business France et de la Coface. Business France accompagne les entreprises industrielles depuis longtemps. C’est plus récemment, vers 2013 qu’il a commencé à s’intéresser aux startups et donc, au numérique.

Business France aide les entreprises à prendre pieds dans les principaux pays du monde en les aidant à rencontrer les bonnes personnes chez les clients et partenaires pressentis. C’est une étape parmi d’autres qui peut être réalisée avec d’autres apports, comme ceux de consultants spécialisés. La démarche de Business France est intéressante car elle est homogène d’un pays à l’autre côté méthodologie. C’est un service payant. Business France est maintenant bien coordonnée avec la French Tech, notamment dans le cadre de la présence française dans les grands événements internationaux du numérique. Tout n’est évidemment pas rose chez Business France. Business France s’appuie aussi sur des réseaux d’experts indépendants de l’Etat. Rien que pour le CES de Las Vegas, l’organisme fait appel à eux pour les former au pitch, à la distribution, à la présence sur un salon, aux relations publiques à l’étranger.

La Coface joue de son côté un rôle de cofinanceur de l’export. Elle couvre notamment une partie des frais d’installation de filiales à l’étranger. L’ensemble est complété par l’INPI qui gère le dépôts des brevets, modèles et marques en France, mais les dépôts internationaux (PCT) passent par son homologue internationale, le WIPO.

Mais quelle est au juste l’image de la France en matière industrielle? Dans son intervention à TEDx Paris en novembre 2015, le communicant Philippe Lentschener s’essayait à définir la marque France après avoir décrit comment d’autres grands pays se positionnaient (Royaume-Uni, Etats-Unis, Allemagne, Suisse, Inde, Nouvelle-Zélande). Il a même été mandaté en 2013 par le gouvernement Ayrault pour présider la mission pour la marque France. Le résultat est formulé en trois caractéristiques: l’amour des gestes (promu par l’expertise, les maitres et une codification), la vision (mettre du sens dans tout ce que le pays fait) et l’art de la surprise. La France est un multiplicateur de valeur (plus étonnante, plus sensible, plus productive, …). Il souligne que le pays est a-économique, qui a rayé l’économie de son roman national et qu’il faut réintégrer l’histoire économique dans la grande histoire française. Bref, il constate l’existant sans formuler de but à atteindre.

L’État diplomate

L’influence de l’Etat dans les exportations industrielles est critique pour les grands projets et les grands contrats, notamment ceux qui touchent aux industries de défense, à l’aérospatial ainsi que dans le nucléaire. Les négociations ont lieu à plusieurs niveaux, avec des clients qui sont des états étrangers ou des entreprises dépendant de ces états.

Rentrent en jeu de difficiles arbitrages et choix cornéliens sur les transferts de technologie vers les pays émergents. Est-ce que les choix passés étaient les bons? Comme lorsque la Chine où sont assemblés les Airbus qui leurs sont vendus ou l’Inde qui demande la même chose pour des hélicoptères et les Rafale? Chaque cas est particulier. Les industriels et l’Etat français s’assurent dans la mesure du possible que la part la plus critique de la valeur ajoutée de ces grands projets reste réalisée et assemblée en France. Cela concerne surtout l’électronique embarquée et, dans certains cas, la motorisation. Elle est franco-américaine pour les A320 (JV entre General Electric et Safran, ex SNECMA) et entièrement américaine pour les A380 (GE).

Autre point clé de la diplomatie au sens étendu du terme: attirer les investisseurs et entreprises étrangers. Certes, cela fait de nous une colonie industrielle, mais cela fait partie du jeu pour préserver l’emploi industriel. En 2013, 1,8 million de salariés du secteur marchand étaient dans des entreprises détenues par des étrangers (source) sachant que dans le même temps, les groupes français emploient 4,6 millions de personnes à l’étranger. Nous avons fort à faire du côté de l’image du pays qui «souffre notamment d’une perception négative des investisseurs étrangers sur un certain nombre de facteurs: le coût du travail, la complexité administrative et fiscale, la conflictualité du dialogue social, la rigidité du temps du travail» (source : France Stratégie).

Emplois dans industrie France 2013

La diplomatie, c’est également le moyen de se faire des amis et de créer des alliances. C’est le moyen d’avancer dans la construction d’une Europe industrielle moins fragmentée qu’aujourd’hui. Moins fragmentée côté grands projets, dans la recherche, côté marché et pour le financement des entreprises.

La diplomatie a aussi son rôle à jouer dans la négociation de divers traités de libre échange. Les difficiles négociations du Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP ou «TAFTA») montrent la difficulté de bien appréhender les avantages et inconvénients de ces accords. Les parties américaines et européennes achoppent sur les normes sanitaires, l’agriculture et les tribunaux d’arbitrages. Mais l’équilibre pourrait surtout être défavorable du côté de l’industrie européenne manufacturière tandis que les industries de services pourraient plus facilement s’établir en théorie aux Etats-Unis. Et l’ensemble est bloqué quelque peu artificiellement par des politiques de tour bord qui cèdent un peu trop facilement aux sirènes du populisme dans leurs pays respectifs.

L’atmosphère politique aussi bien aux Etats-Unis qu’en France n’est en effet pas du tout favorable aux traités de libre échange, présentés par leur détracteurs comme des portes ouvertes à tout ce que la mondialisation a de mauvais. Selon Douglas A. Irwin dans The Truth About Trade What Critics Get Wrong About the  Global Economy paru dans Foreign Affairs en juilet/août 2016, 85% de la perte des 5,6 millions d’emplois industriels perdus entre 2000 et 2010 aux Etats-Unis s’explique par l’augmentation de la productivité générée par les nouvelles technologies. Elle a supprimé de nombreux emplois intermédiaire de cols bleus. Seuls deux secteurs y sont sur-représentés avec seulement 40% dans l’habillement et les meubles. Et les importations chinoises  représentent que 2,6% du PIB américain. Le tout dans une situation où seulement un tiers de la population a une formation de niveau college (BAC+2). De surcroît, le BTP s’est écroulé après la crise de 2008. Il pourrait être relancé par le programme de reconstruction que prévoit Hillary Clinton, de 275 milliards de dollars. Bref, les traités de libre échange ont beau dos pour expliquer la désindustrialisation!

La diplomatie est aussi clé dans l’établissement de standards. Elle n’est habituellement pas gérée par le Quai d’Orsay mais par l’AFNOR et par les représentants de grandes entreprises et laboratoires de recherche qui participent activement à la création de standards internationaux. Ces standards peuvent aussi bien sortir d’organismes de standardisation «de jure» (ISO, ETSI, IETF, …) que de consortiums industriels (3GPP, Open Connectivity Foundation dans les objets connectés). Notre influence de ces organismes pourrait grandement s’améliorer si on y était plus assidus, plus déterminés et aussi, si nos représentants étaient mieux formés aux techniques d’influence. Et au passage, en améliorant leur maîtrise de l’anglais, sujet que nous avons déjà abordé.

Enfin, les voyages présidentiels à l’étranger permettent d’avancer aux plus hauts niveaux dans des négociations qui durent parfois des années. L’implication politique dans ces négociations a parfois des effets pervers quand elles mettent en jeu des commissions et rétro-commissions, comme dans le fameux contrat de sous-marins signé en 1994 avec le Pakistan qui auraient abouti aux attentats de Karachi alors que l’arrivée de Jacques Chirac à l’Elysée en 1995 avait bloqué les versements de commissions. Ces voyages intègrent de plus en plus souvent des PME et des start-up. Leurs dirigeants peuvent ainsi rencontrer des dirigeants français et étrangers de haut niveau. Cela accélère la mise en relation avec les bons décideurs et les prises de décision. J’ai croisé récemment plusieurs jeunes entrepreneurs ayant participé à ces voyages et qui en étaient tout à fait satisfaits. Il faut continuer!

Les projets industriels internationaux

L’Etat peut avoir un rôle à jouer dans la constitution de grands projets industriels  internationaux comme ce fut le cas avec Airbus et Ariane. Soit qu’ils émanent de sociétés où l’Etat est partie prenante, soit qu’ils soient éventuellement lancés avec la contribution de laboratoires de recherche publique.

Il serait souhaitable de reproduire le succès d’Airbus, un des rares projets industriels européens ayant généré un leader de marché, Airbus partageant ce rôle avec Boeing dans l’aviation civile. Le projet a malgré tout connu des hauts et des bas, notamment en matière de gouvernance et dans les tiraillements entre les centres de décision français et allemands, surtout sur le lieu d’assemblage des avions.

Un adage veut qu’un projet idéal associe la créativité française, l’organisation allemande, la vente hollandaise ou anglaise, le design Italien entre autres compétences. En tout cas, un projet international doit s’appuyer sur des compétences clés et deux pays copilotes.

La démarche a été tentée dans de nombreux domaines. Le système de géopositionnement satellitaire Galileo est un peu l’équivalent de Cloudwatt/Numergy car c’est une sorte de «GPS» souverain européen permettant de s’affranchir du GPS américain. Le projet a couté plus cher que prévu et est très en retard. C’est un hybride Ariane – Airbus – Qwant: chercher à concurrencer une solution américaine déployée à l’échelle mondiale (Qwant) avec une approche européenne (Airbus, Ariane), le tout avec un fort apport technologique français. Une fois les satellites déployés, il faudra faire adopter ce système de géopositionnement par les constructeurs de matériels grand public, à commencer par ceux des smartphones. Ironiquement, il passera par des sociétés américaines de composants: Qualcomm, Broadcom et l’incontournable Apple, sans compter les asiatiques Mediatek et Samsung. Ce support vient tout juste d’être annoncé par Qualcomm pour ses chipsets Snapdragon. Il faudra donc attendre au mieux les modèles de smartphones 2017 pour en voir la couleur, sur sur Android en tout cas.

Hormis dans le numérique, il y-a-t-il encore de la place pour créer des groupes internationaux? Les vieilles industries de la vieille Europe n‘ont pas beaucoup bougé en 40 ans. Elles ont été moins affectées par les chamboulements du numérique qui scale mieux et qui donne une prime aux grandes géographies (USA, Chine) et à ceux qui savent s’y développer rapidement.

Ainsi, dans le TOP 5 du CAC 40, LVMH est le résultat de fusions-acquisitions démarrées en 1987, Total a fusionné avec Elf en 2000 et il est dans le TOP 6 mondial du secteur pétrolier, L’Oréal est leader dans son secteur, Sanofi a été créé en 1973 puis nous avons ensuite la BNP. Le paysage est voisin au Royaume Uni avec comme cinq plus grosses capitalisations : un groupe pharmaceutique (GSK), un pétrolier (Shell), du consumer goods (Unilever, British American Tobacco) et une banque (HSBC).

Le TOP 5 Allemand est plus industriel mais tout aussi stable avec de l’automobile (Volkswagen, Daimler), de la chimie (Bayer, BASF) et de l’industrie (Siemens). SAP est 6eme mais créé en 1972. Il ne semble y avoir aucune entreprise créée il y a moins de 40 ans dans leur top 20. L’Allemagne est connue pour ses produits finis haut de gamme comme dans l’automobile et dans les machines outils. La France n’a jamais été bonne dans les machines outils, bien avant le phénomène des délocalisations. On importait des machines à tisser du Royaume-Uni au début du 19e siècle pour s’adapter lors de la première révolution industrielle.

L’histoire nous montre que dans le numérique, la voie européenne est très difficile à mettre en œuvre et surtout, trop lente. Il existe une autre voie, plus directe et pragmatique: la voie franco-américaine. C’est dans la pratique le chemin suivi par Business Objects, Talend et même Blablacar, au moins au niveau du financement pour ce dernier. Dans d’autres industries, nous avons le cas de CFM-International, la JV entre General Electric et Saffran qui est aujourd’hui le premier constructeur mondial de réacteurs d’avions civils.

On pourrait donc comparer les approches européenne et franco-américaine, puis le croisement des deux.

L’approche franco-américaine présente l’avantage d’avoir de meilleures sources de financement pour créer des leaders mondiaux. Le marché américain est le plus homogène et le plus dense pour décoller et il influence le reste du monde. Cela donne une bonne complémentarité entre le sens business US et la créativité française. Par contre, c’est un marché très compétitif, il est difficile d’y créer de bonnes équipes et on  risque de voir les Etats-Unis tout gober à la fin, ne serait-ce que via la mécanique de financement.

L’approche européenne présente l’avantage de la proximité géographique, de la zone Euro, de la possibilité de commencer petit puis de grandir après (France-Allemagne, France-Royaume-Uni, etc). Les obstacles sont par contre nombreux, selon les secteurs d’activité : la barrière linguistique reste élevée pour le développement commercial local à chaque pays, la fragmentation réglementaire subsiste malgré l’Union Européenne, les acteurs industriels sont très locaux (dans les télécoms, la distribution, les médias, l’énergie). Cette fragmentation conduit à celle du capital. Aujourd’hui, le financement en capital risque européen représente au total le cinquième de son équivalent nord-américain. Dans la pratique, les entreprises européennes collaborent difficilement entre elles. L’échec du rachat d’Alstom Energie par Siemens vient en partie de là. Les américains s’y sont mieux pris avec les français. Nous n’avons pas de bon «track record» dans les industries traditionnelles à part Airbus et Ariane. Le franco-italien STMicroelectronics est le dernier véritable acteur européen des semi-conducteurs et sa situation n’est pas des plus brillantes malgré son leadership dans les capteurs, juste derrière Bosch!

L’approche France-Europe-Etats-Unis présente l’avantage théorique d’un meilleur équilibre des rôles de part et d’autre de l’Atlantique, d’un accès au capital américain et aux marchés américains et européens. Mais c’est compliqué et lent! C’est plutôt une évolution naturelle des deux autres scénarios. Nous avons un rare cas d’école en France avec Dassault Système, qui est d’abord français, une spin-off du groupe Dassault Aviation, qui devient dans la pratique franco-américain (son premier grand client étant Boeing et son premier partenaire étant IBM). Après de nombreuses acquisitions partout dans le monde, la société est devenue récemment une société de droit européenne, ce qui représente une belle symbolique.

Les trois approches se valent et sont à adopter au cas par cas. En tout cas, quand l’ambition est là et que le projet a de l’envergure, une approche partenariale internationale vaut probablement mieux qu’un jeu en solo. Surtout dans la mesure où tous les pays ou presque ambitionnent d’être des acteurs clés dans les secteurs d’avenir. Les plans stratégiques industriels comme de nombreuses stratégies négligent souvent la capacité des concurrents à se bouger et à être opportunistes. Le meilleur moyen d’éviter ces concurrents potentiels est d’en faire des alliés!

L’État espion

La face cachée de la diplomatie est le renseignement. En matière industrielle, il prend des formes variées avec l’exploitation de sources ouvertes, notamment via les Missions Economiques et Scientifiques des ambassades qui labourent les écosystèmes d’innovation et les laboratoires de recherche du monde, à l’affût des grandes avancées scientifiques et technologiques.

Les conflits planétaires et le terrorisme ont tendance à mettre au second plan le renseignement économique via des sources non ouvertes. Aux Etats-Unis, différentes affaires ont en tout cas montré que la CIA et la NSA jouaient un rôle certain dans la guerre économique entre les USA et l’étranger, y compris avec les pays «amis». C’est surtout valable pour les grands contrats industriels d’état à état, et pas seulement dans l’armement.

Ce sujet a mobilité l’Etat il y a une quinzaine d’années avec la création de équipe en charge de l’intelligence économique au sein du SGDN (Secrétariat Général de la Défense Nationale), sous la responsabilité d’Alain Juillet, qui venait de la DGSE. Cette agence suit une dizaine d’industries dans la défense, les transports, l’énergie, la santé, l’agriculture, le numérique, la finance et le BTP. L’ANSSI qui fait aussi partie du SGDN s’intéresse de son côté à la sécurité des systèmes d’information. Avec l’équipe de l’intelligence économique, elle sensibilise les responsables d’entreprises au manières d’éviter de se faire voler des secrets industriels qui relèvent souvent des négociations de deals en cours.

Aucun plan industriel ne fera explicitement allusion à ces différents rôles de l’Etat, mais ils seront parfois mis en œuvre en fonction des besoins et sur les projets présentant les plus grands enjeux économiques.

Le plan industriel idéal?

Nous avons fait un grand tour du rôle d’un Etat moderne dans la construction de stratégies industrielles.

La réponse à la question du titre est résolument positive, mais de manière circonstanciée: l’Etat ne peut plus intervenir dans chaque industrie et la micro-manager. Il doit surtout créer les conditions de succès des industries en renouveau par le biais d’actions indirectes qui portent sur l’enseignement, les infrastructures, le financement et la fiscalité de l’innovation, la diplomatie et l’ouverture au monde. Il doit sortir du cycle infernal «innovation = R&D» qui contamine tous les raisonnements en France et bien faire la part des choses entre cette R&D dont il mutualise le financement et l’organisation en amont, et le l’aide des entreprises par d’autres moyens car leur rôle est de créer des produits et de les vendre.

L’Etat doit aussi appréhender les particularités économiques de nombreuses industries qui les différencient de l’économie du numérique. Il faut les numériser pour les moderniser mais elles n’auront probablement jamais les mêmes rendements croissants que l’on trouve dans les startups du numérique qui réussissent à décoller. Si leurs rendement sont impressionnants, la loi de Pareto les contingente à un nombre limité de sociétés, y compris aux Eats-Unis.

La gestion des risques est aussi différente dans l’industrie. Les projets demandent souvent un plus fort investissement «pour voir» que dans le numérique et cela augmente ensuite. Il faut certes faire des paris et prendre des risques mais en jouant moins avec l’approche probabiliste qui a souvent lieu dans les startups du numérique, avec son lot de me-too et de projets faiblement différentiés. Cette différence économique justifie à elle seule un surcroît de planification, de gestion des priorités et de concertation que dans le numérique.

L’Etat a aussi un rôle à jouer comme acheteur et comme régulateur pour que l’approche du marché intérieur ne soit pas un ralentisseur pour les entreprises françaises mais au contraire un accélérateur de leur développement.

L’Etat joue influence aussi l’esprit et le fonctionnement des élites: dans leur promotion et leur sélection, dans la manière dont elles sont sollicitées, dans les méthodes de travail et de management, dans l’équilibre entre les élites administratives (surtout les énarques) et les élites techniques (souvent des polytechniciens). C’est en apportant une cohérence à un dispositif qui est somme toute très riche que l’Etat peut avoir une véritable stratégie industrielle.

A quoi ressemblerait un plan industriel à la page tenant compte de tout cela? Nous pourrions le structurer en une dizaine de points clés suivant une logique partant d’un objectif ambitieux, d’un timing, d’une bonne répartition des rôles et d’une logique de moyens appropriée:

Le quoi:

  • Il définit une forte ambition avec un leadership affiché, aligné sur un objectif difficile à atteindre et … qui n’est pas déjà atteint par d’autres pays.
  • L’objectif part d’un problème complexe à résoudre qui a un impact sur la société à l’échelle mondiale. Il peut-être scientifique ou dans ses applications. Il s’appuie sur une évaluation objective de l’état des forces dans le monde. Ce n’est pas un plan pour toucher un marché générique existant (objets connectés, big data, transports) mais un enjeu plus précis (un véhicule avec un moyen de propulsion spécifique, un objet connecté dans la santé, …). Ce n’est pas non plus une compilation des actions déjà lancées par les entreprises du secteur. Et les technologies mises en œuvre comprennent un peu de «magie» difficilement imitable et bien protégée.
  • Le plan élabore un logique de plate-forme et d’écosystème liés au secteur visé. Il identifie les éléments de commodité et les nœuds technologiques et de services à même de concentrer la valeur. Il ne le documente pas forcément explicitement, mais cette logique doit sous-tendre les choix stratégiques de positionnement du produit industriel à créer de la chaîne de valeur associée.

 

Le quand:

  • Il prend en compte la notion de timing dans un monde qui bouge très vite et est loin de nous attendre. Il permet au projet d’être en avance sur l’état de l’art mondial, donc d’avancer rapidement. C’est certainement ambitieux mais tout aussi indispensable. Ce n’est pas un plan «de rattrapage». Ces plans sont généralement dédiés aux usages internes au pays, comme dans l’équipement numérique des PME.

 

Le qui:

  • Le plan mobilise le secteur privé de manière précise et documentée sachant que cela peut et doit évidemment évoluer dans la durée. Il s’appuie sur des sociétés leaders capables d’entraîner d’autres acteurs avec elles, pas des sociétés en déclin.
  • Il est de préférence piloté par une forte tête non conformiste, qui n’est si possible pas juge et partie et qui a déjà une certaine légitimité dans le secteur industriel concernés.
  • Il propose des stratégies d’alliance si c’est nécessaire pour atteindre rapidement la masse critique, si possible à l’échelle internationale et au minimum, européenne.

 

Le comment:

  • Il traite de la question du financement, lui aussi probablement international s’il s’agit de créer des leaders internationaux.
  • Il propose éventuellement la mise en place d’une grande infrastructure publique, qui peut couvrir la recherche scientifique ou un instrument industriel fortement mutualisé.
  • Il évoque les compétences à créer et fédérer et des moyens associés.
  • Il met en branle tout l’appareil d’Etat transversal que nous avons vu.
  • Il propose éventuellement des aménagements réglementaires pour favoriser l’adoption d’innovations.

 

Étude de cas

Nous allons examiner comment un plan existant appliquerait cette grille de lecture. Je ne vais pas être très original puisque nous allons aborder le domaine des objets connectés. Une initiative associée a été lancée en mars 2014 dans le cadre des plans de la France Industrielle d’Arnaud Montebourg et un plan présenté par Eric Carreel en juin 2014 (plan et feuille de route).  Au-delà du grand classique de la stimulation et de la promotion d’une offre française, le plan proposait la création d’une première cité des objets connectés, qui a ouvert ses portes un an plus tard à Angers. Le plan enfonçait une porte ouverte en ajoutant le déploiement d’un réseau européen d’objets connectés par Sigfox, qui s’y était déjà lancé. Enfin, il y a la création d’un label d’objets connectés maîtrisant l’impact sur la vie privée des utilisateurs et le déploiement d’objets connectés dans les filières industrielles.

Le plan évoque sans grandes précisions les impératifs transversaux à remplir: développer les compétences, le financement et la communication. L’ambition économique? Croître plus vite que le marché mondial et dans la mesure du possible, rapatrier les usines de production en France.

On regrettera l’absence de réflexion sur les besoins du marché, les notions de chaîne de valeur, d’écosystèmes et de plateformes de consolidation de la valeur et sur les bonnes pratiques de création de leaders internationaux. Les américains GoPro (2 milliards de dollars de chiffre d'affaire), FitBit (1,6 milliard de dollars de VA) et Nest (400 millions de dollars) peuvent trembler face aux français Withings, Netatmo (chaque faisant moins de 40 millions d'euros, le premier venant d’être intégré dans Nokia Communications), tout comme la Silicon Valley face à la Cité des Objets Connectés d’Angers.

Plan Objets Connectés

Les lacunes de ce plan portent sur l’analyse de la situation et sur la formulation de son ambition. Dans la feuille de route des objets intelligents publiée en 2016, deux des trois objectifs concernent les moyens de paiement. Est-ce une coïncidence si le PDG de Gemalto fait partie du comité de coordination de ce plan? Le troisième objectif revient sur cette ambition de relocalisation en France de la fabrication de 20% des objets connectés commercialisés. C’est prendre le problème par le mauvais bout. Rapatrier cette production doit avoir un sens économique. Il faut que, tout d’abord, la demande soit importante en volume. Ensuite, la production en France doit être moins chère qu’ailleurs pour les productions en grande série. Seule solution réaliste: la robotisation de la production. Et l’on retrouve un lien avec les plans diffus d’industrie 4.0 qui consistent à fortement numériser la chaîne de valeur qui va de la conception à la production.

Reprenons le framework présenté juste avant pour voir s’il était appliqué dans ce plan objets connectés.

Le quoi:

  • Forte ambition: croitre plus vite que le marché (petit joueur) et rapatrier la production en France (qui est une logique de moyen dépendant des résultats). Il n’y pas pas d’objectif produit ambitieux. 
  • Problème complexe: il n’est pas formulé.
  • Logique de plate-forme et d’écosystème: ce sujet n’est pas abordé dans le plan.

 

Le quand:

  • Notion de timing: la notion n’est pas abordée.

 

Le qui:

  • Mobilise le secteur privé: c’est le cas, mais sans qu’il y ait de nouveautés en la matière en termes de synergies.
  • Piloté par une forte tête: Eric Carreel pilotait le projet. Le même qui vient de vendre Withings à Nokia.
  • Stratégies d’alliance: elles n’étaient pas évoquées, mais l’acquisition de Withings par Nokia pourrait en être une. Sigfox est évoqué comme acteur majeur des réseaux M2M en Europe. Mais Orange et Bouygues Telecom en ont déjà décidé autrement.

 

Le comment:

  • Question du financement: le sujet est abordé dans le plan sans qu’un besoin soit évoqué. 
  • Grande infrastructure publique: il s’agit de maisons des objets connectés, la première étant à Angers. C’est bien mais est-ce véritablement du “game changing” dans ce marché ? 
  • Compétences: le sujet est plutôt bien traité dans le plan.
  • Appareil d’Etat transversal: le sujet n’est pas évoqué.
  • Aménagement réglementaires: le sujet n’est pas évoqué.

 

Cela nous donne une simple traduction visuelle de l’impression que la lecture d’un tel plan peut donner: l’impression qu’un tel plan ne peut pas avoir d’impact significatif sur la position industrielle de la France dans le secteur considéré.

On en retire une impression équivalente avec le plan sur les batteries des mêmes initiatives de la France Industrielle de 2014. Il n’affiche pas d’ambition scientifique ou commerciale. Cela parle de stockage des énergies intermittentes, du déploiement de capacités de stockage, de progrès dans les performances, de la consolidation du tissu industriel en France, de l’émergence d’un chimiste français pour l’approvisionnement des industriels de la batterie. Tout cela pour créer une filière de batteries Li-ion (assez standards) pour des applications spécifiques! Bref, fabriquer des batteries en France mais sans qu’elles soient bien originales.

Le même scénario est malheureusement applicable pour la voiture automatique qui est citée dans différents plans mais n’est pas du tout une priorité, aux plans sur la robotique tout comme à l’industrie 4.0 ou aux énergies renouvelables.

Il manque juste un projet sur la fusion froide!

Les plans industriels des politiques

Nous entrons dans le cycle quinquennal d’une élection présidentielle. C’est évidemment l’occasion de comparer les programmes des uns et des autres. Surtout, ceux des candidats les moins fantaisistes, à même de formuler quelques idées structurées sur l’économie et l’industrie.

Pour ceux qui s’adonnent à l’exercice, les efforts intellectuels fournis sont manifestement limités par des parcours personnels qui les ont peu amenés à connaître les entreprises de l’intérieur. Ils sont cependant nourris par les réseaux tissés entre les politiques et les entrepreneurs et syndicats professionnels qui prennent du temps pour expliquer leurs positions.

Ces plans se focalisent surtout sur la création des conditions favorables à l’entrepreneuriat et à l’emploi évoquées dans l’article précédent de cette série. Le premier étage (mutualisation, long terme) et le second (aide aux exportations) de la fusée de la stratégie industrielle générique de l’Etat sont rarement traités.

Les diagnostics proposés par les politiques sont très traditionnels. Ils s’appuient soit sur une lecture très libérale de l’économie, qu’il faut débarrasser de ses carcans étatiques (droit du travail, coût du travail, fiscalité), soit sur une lecture gauchisante (nationaliser les banques, protéger encore plus les salariés, …). Aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni ou en France a fleuri une troisième voie construite sur un protectionnisme exacerbé: augmentation des droits de douane, sortie des accords de libre échange internationaux (ALENA, traités européens, …), pénalisation des entreprises qui fabriquent à l’étranger (dans le programme de Donald Trump comme dans celui d’Hillary Clinton), sortie de l’Euro (pour Le Front National en France) ou de l’Union Européenne (le Brexit anglais).

Deux candidats se sont récemment manifestés pour présenter leur plan pour 2017: Nicolas Sarkozy et Arnaud Montebourg.

flow

Arnaud Montebourg intervenant à LeWeb en décembre 2013 en tant que Ministre du Redressement Productif. Son point d'orgue: proposer de ralentir l'innovation pour protéger les activités existantes. Au lieu de se demander comment faire évoluer ces activités existantes pour intégrer les innovations! On a les modernes que l'on mérite…

Dans son discours de Frangy en Bresse du dimanche 21 août 2016, celui-ci a égrené une litanie de mesures assez extrêmes dans leur présentation chiffrée: obligation d’investir entre 10 et 20% des montants de l’épargne des Français de l’assurance vie dans les PME françaises (nous avons vu qu’une initiative dans ce sens a déjà été lancée par Emmanuel Macron), allouer 80% des marchés publics de l’Etat à ces mêmes entreprises pendant huit ans (quelle est sa définition des PME? en évacuant les grandes entreprises françaises? Pourquoi se plaindre qu’il n’y ait pas assez d’ETI et ensuite, leur fermer les marchés intérieurs?), le temps que la France «se réindustrialise», créer une «banque d’encouragement au risque qui cautionnerait 90% des emprunts (et Bpifrance et sa garantie? Et si on garantit tous les risques, il n’y a plus de risques ni de discernement, c’est la voie ouverte à des dizaines de Heulliez…) , des crédits aux petites entreprises (qui existent déjà), et la création d’un “crédit national chargé de financer la reconstruction de notre économie de sortie de crise en utilisant le réseau de la Banque Postale” (pourquoi? où ça?). Le candidat propose aussi de nationaliser temporairement ou partiellement une des cinq grandes banques françaises (la Banque Postale est donc insuffisante?). C’est presque le plan de François Mitterrand de 1981! Ce plan a été plutôt bien démonté par Le Monde. Le candidat s’est au passage ridiculisé en faisant héberger son site web chez Microsoft au lieu de choisir un hébergeur français. Les affres d’une sous-traitance non contrôlée politiquement!

Arnaud Montebourg a aussi tout faux quand il utilise une méthode de startup débutante en prétendant que l’on peut résorber le chômage en faisant en sorte que chaque TPE embauche un salarié. Un équivalent du grand classique «il n’y a qu’à prendre que 2% du marché pour exploser exponentiellement». Cette approche est totalement anti-industrielle. Une stratégie industrielle fait en sorte que les entreprises innovantes grandissent aussi vite que possible pour générer des économies d’échelle et se lancent à la conquête de marchés internationaux. C’est l’une des raisons pour lesquelles la France doit combler son trou démographique d’Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI). Même si par miracle, les TPE embauchaient chacune un salarié, cela ne générerait en majorité ni économie d’échelle ni exportation. Et le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises étant ce qu’il est, ces TPE ne trouveraient pas plus de clients à satisfaire.

Chez Nicolas Sarkozy, l’approche est plus classique. Il s’attaque à l’épineuse question de la transmission des entreprises, proposant une exonération fiscale élevée (85%) voire totale si l’activité de l’entreprise est maintenue au moins cinq ans. Il propose une exonération totale des charges pour les salaires inférieurs à 1,6 SMIC avec à la clé un doublement du CICE (dont il indique à juste titre que c’est une usine à gaz mais qu’il ne propose pas de simplifier pour autant). Comme les charges sociales couvrent des prestations sociales bien existantes comme la protection santé ou la retraite, cela voudrait dire que se généraliserait un principe de redistribution très poussé, la moitié des français finançant la protection sociale de l’autre moitié.

Elle part du principe, contestable, que la compétitivité des entreprises françaises exportatrices ne porte que sur les bas salaires. Or, rien ne prouve que les entreprises qui exportent le plus sont celles qui ont les salaires les plus bas. Ceux-ci se retrouvent plutôt dans la distribution, dans les services, dans le BTP et chez les enseignants, qui sont des activités faiblement exportatrices car dans les activités internationales de la distribution et du BTP, la majorité des salaires d’exécutants sont payés dans les pays cibles et pas en France.

Cette méthode d’allègement des charges sociales des bas salaires est utilisée sans grand succès depuis plus de 30 ans! Dans l’industrie, la compétitivité vient de la qualité des ingénieurs, des techniciens, d’ouvriers spécialisés et de la vente et du marketing. Cela correspond plutôt à des salaires supérieurs à la médiane en France.

Sarkozy propose aussi d’alléger le droit du travail, de supprimer le seuil social des 11 salariés, de sortir du système des 35 heures, de rendre plus dégressives les indemnités chômage et, enfin, comme la plupart des candidats à la candidature de son parti, de supprimer l’ISF. Pour ce dernier, il utilise curieusement l’argument de l’alignement avec l’Europe et l’Allemagne, ce qui n’est pas très malin au vu de l’image actuelle de l’Europe dans l’opinion. Au lieu d’expliquer avec pédagogie que c’est pour éviter d’appauvrir le pays. Le candidat revenant propose aussi de consolider les aides sociales, créant ainsi une sorte de revenu minimum, plafonné à 75% du SMIC. Sarkozy propose aussi de revenir sur le coup d’arrêt porté sur le nucléaire par le quinquennat Hollande.

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François Fillon intervenant comme candidat à la (primaire RL de la) présidentielle aux Universités d'Eté du MEDEF 2016. Son programme entreprises et industrie est le plus abouti de tous les candidats, et l'un des rares à s'intéresser au numérique.

Quand ils seront sollicités, les candidats évoqueront sans-doutes le numérique, sous une forme où une autre. Celui qui développe le plus cet aspect est François Fillon, qui, parmi les candidats RL est le plus technophile, et de longue date, depuis au moins 1995 alors qu’il était le premier ministre en charge des «Nouvelles Technologies» sous le premier gouvernement Juppé. Le numérique est souvent mis en avant pour moderniser la société, éventuellement l’Etat et les entreprises. Plus rares seront ceux qui auront la moindre idée des secteurs industriels à développer, à l’exception peut-être de ceux qui feront la promotion des énergies renouvelables, les verts en premier, mais aussi Jean-Luc Mélenchon.

Sarkozy veut parler «vérité» mais comme les autres candidats, il aura bien du mal à proposer une évaluation honnête de la situation. La prise de recul en politique est une matière bien rare, et permet difficilement de se faire élire. D’autres sont un peu lents à la détente. Ainsi le plan du Front National publié sur son site date de l’élection présidentielle de 2012 et si la dimension industrielle occupe 5 pages des 106 pages du plan, elles sont  bien maigres à part la mise en avant de mesures protectionnistes, une mise en avant un peu bourrine des PME  et quelques mesures fiscales et de financement de ces dernières.

Comment piloter un Etat dans le monde de stagnation dans lequel nous sommes? Il n’y a plus d’inflation, les taux d’intérêts sont bas, la capacité d’emprunt est élevée pour des LBO à la Altice et surtout pour celles des grandes entreprises qui ont de la trésorerie comme Apple et Microsoft qui empruntent plutôt qu’utiliser leur cash.

Dans «The age of secular stagnation» publié au printemps 2016, l’ancien secrétaire au trésor américain Larry Summers explique ce concept de stagflation. Avec une épargne sans investissement, de faibles taux d’intérêt car il y a trop de capital disponible et pas assez de demande d’investissement, et une faible confiance dans le futur. Cela explique notamment la bulle de la valorisation des unicorns. Les grands acteurs du numérique, les GAFA étendus, conservent leur cash et ne le réinjectent pas dans l’économie ou tout du moins dans l’innovation. Ce cash est investi en bourse et en bons du trésor ou rachats d’actions. Ils distribuent peu de dividendes, à l’exception de Microsoft. Quand ils existent, ces dividendes alimentent la consommation des seniors via les fonds de pension. L’économie numérique devient de plus en plus déflationniste pour les industries traditionnelles: Airbnb réduire la demande en construction d’hôtels, Uber, celle de la construction automobile, et Amazon, celle de centres commerciaux.

La voiture automatique provoquera dans cette lignée un véritable tsunami de migration de valeur. L’intelligence artificielle va réduire les besoins de certains métiers de base et augmenter les besoins dans les métiers à plus forte compétence. La révolution industrielle à venir génère à un périmètre plutôt constant de grands mécanismes de migration de valeur entre industries. C’est cela qu’il faut comprendre, anticiper et préparer. Peu de politiques essayent de comprendre les enjeux complexes de ces transformations. Aucune théorie économique et politique n’a été construite pour s’adapter à ce futur en gestation.

Qui plus est, aucune stratégie – dans le civil comme à la guerre – n’est valable si elle ne tient pas compte des mouvements des autres pays. Quasiment tous les pays occidentaux cherchent à se réindustrialiser, les USA en premier. Eux-aussi prennent des initiatives génériques et sectorielles.

On peut aussi se poser la question de la focalisation sur l’industrie et sur les biens matériels. Pourquoi ne pas se focaliser sur l’immatériel et les services qui représentent au moins 60% de l’emploi salarié en France, sans compter les 23% qui sont dans le secteur public? Quand l’économie se renouvelle convenablement, les emplois perdus dans l’industrie se retrouvent dans les services.

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Luc Ferry aux Universités d'Eté du MEDEF 2016, intervenant seul (une exception) et sur la troisième révolution industrielle (NBIC). Il s'inquiète à juste titre de la totale incompréhension de ce qui se trame chez les politiques de droite comme de gauche.

Aux Universités d’Eté du MEDEF 2016, Luc Ferry faisait une intervention magistrale en solo, expliquant que les politiques n’appréhendaient pas du tout les enjeux de la troisième révolution industrielle, autour des NBIC (nano-bio-information-cognitif) qui regroupent les domaines de l’intelligence artificielle, des nanotechnologies, de la robotique et de la génomique. Il explique que les américains sont partis pour dominer ce nouveau secteur et que l’Europe en est absente, et la France en particulier du fait de sa culture d’origine catholique qui prodigue les vertus de la pauvreté. Ce qui expliquerait au passage pourquoi les GAFA ne sont pas français. Mais … pas pourquoi ils ne sont pas Européens du nord, eux qui sont protestants en majorité. Il oublie les notions de fragmentation linguistiques, politiques, sociales et économiques de l’Europe, qui sont un de nos talons d’Achille comparativement aux Etats-Unis et à la Chine.

[Au passage, petite page de publicité pour la conférence Hellow Tomorrow qui se positionne dans cette mouvance de l’innovation transversale basée sur les avancées dans les sciences du vivant, de l’ingénieur et du numérique. Le programme de l’édition 2016qui a lieu les 13 et 14 octobre 2016 au 104 à Paris est disponible! C’est un bon endroit pour sortir du cadre simplificateur du numérique et appréhender pour les décideurs les révolutions technologiques en cours. C’est international et en anglais!]

La faiblesse du discours des politiques sur l’industrie a une conséquence importante: la stratégie industrielle de l’Etat est dans les mains des hauts-fonctionnaires, dans les Corps administratifs et techniques de l’Etat et dans celles des grandes entreprises qui les influencent. Les politiques suivent ensuite les effets de mode et se font balader par ces différents groupes de pression.

Il n’y a pas vraiment de stratégie «top bottom». Juste de la compilation d’influences «bottom-up», ce qui explique le côté fouillis et dispersé des plans produits par l’Etat depuis une quinzaine d’années, que nous avions égrenés dans la seconde partie de cette série.

A moins d’avoir un exécutif plus «hands-on» dans la stratégie industrielle, celle-ci restera longtemps le fruit d’un travail collaboratif entre l’Etat, ses constituants et une myriade d’acteurs du secteur privé. Avec les luttes d’influences, les compromis et les saupoudrages associés.

Il n’y a pas de stratégies sans leaders et c’est de leaders éclairés dont la France a le plus besoin. Avec à la clé, des rêves et des ambitions mobilisateurs! Ces leaders ne se décrètent pas, comme en politique. Ils se construisent sur un terreau favorable. L’engouement pour l’entrepreneuriat qui se manifeste actuellement dans le numérique pourrait avoir des effets de bord positifs sur l’industrie.

Ces leaders ne seront probablement pas les politiques. Pas de sauveur à la Jeanne d’Arc ou de Gaulle à l’horizon. Ce seront plutôt des entrepreneurs, aussi jeunes que possibles. De grands entrepreneurs français comme Xavier Niel ou Jacques-Antoine Granjon ont déjà amorcé la pompe du recyclage de leur succès  vers les jeunes entrepreneurs par le financement et l’accompagnement des startups. Même si le chemin est semé d’embûches et d’improvisations, l’effet «Elon Musk» est inspirant, à savoir, l’émergence d’entrepreneurs industriels issus du numérique, financés par leurs premiers succès, ou le succès d’autres entrepreneurs qui recyclent leur fortune dans des industries au lieu de le faire dans des activités 100% numériques.

Olivier-EzrattyOlivier Ezratty est consultant en nouvelles technologies et auteur d’Opinions Libres, un blog sur les médias numériques (TV numérique, cinéma numérique, photo numérique) et sur l’entrepreneuriat (innovation, marketing, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb.

 

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