Comment rebondissent les entrepreneurs après un échec?
Retrouvez le premier volet de l'analyse d'Olivier Ezratty :
Après un échec, que deviennent les entrepreneurs et les salariés des start-up? (partie 1/2)
Ils enseignent
C’est une activité de passage avant de reprendre pied, le plus simple étant de le faire dans son ancienne école d’ingénieur ou de commerce. Elles en sont friandes. Surtout dans la mesure où elles ont toutes des filières entrepreneuriales.
L’entrepreneur qui s’est planté a une autre caractéristique : il est souvent multi-casquettes avant de se relancer où que ce soit ! Cette activité d’enseignement sera souvent cumulée avec une autre comme l’accompagnement d’autres startups.
Ils étudient
Comme le CTO qui fait un MBA pour acquérir des notions qu’il lui manquait comme co-fondateur et à son tour porter un nouveau projet !
Ils décompressent
S’il est jeune et sans trop d’obligations familiales financières, l’entrepreneur peut plus facilement décompresser, se ressourcer, habiter chez ses parents, des amis ou voyager à l’étranger. Avant de rebondir ailleurs et sur un autre projet. Une pause est souvent nécessaire car l’aventure de la création et de la fermeture d’une startup est généralement assez éprouvante.
Ils témoignent
Parfois, les entrepreneurs qui ont dû fermer leur startup publient un post-mortem de leur aventure entrepreneuriale. C’est un exercice de partage utile pour la communauté entrepreneuriale et aussi pour faire le point sur soi-même et mieux rebondir ! Montrer ce que l’on a appris d’un échec entrepreneurial est la meilleure manière de ne pas en faire un… échec !
C’est par exemple le cas de Thibauld Favre, ancien CEO de Allmyapps, créé en 2009 et fermé fin 2014. Sa présentation de plus de 100 slides est très détaillée et instructive sur l’histoire de la startup, ses hauts et ses bas et la manière dont elle a dû fermer. Au pic de son activité, la société occupait 18 personnes. Son avant : cofondateur d’autres startups et salarié. Son après : président de Democratech, une ONG.
Un peu avant, Emilie Gobin, créatrice de “l’Usine à Design” créée en 2009 et fermée en 2013 avait témoigné avec son principal investisseur, Olivier Mathiot (actuel PDG de PriceMinister et Co-Président de France Digitale). Son avant : salariée. Son après : entrepreneuse en résidence au NUMA à Paris.
Et plus récemment, Guilhem Bertholet avait fait de même en témoignant sur son aventure dans le cloud. Son avant : responsable de l’incubateur d’HEC. Son après : CEO de Invox, une agence de contenus marketing, donc une orientation services. Il co-anime aussi la conférence BlendMix à Lyon, un des plus beaux événements du digital en région avec le Web2day de Nantes. C’est un phénomène courant : des entrepreneurs qui s’investissent pour faire grandir l’écosystème entrepreneurial ! Tout comme ceux qui, ayant réussi financièrement, deviennent business angels.
Ils se lancent dans la politique
En fait, je n’ai pas d’exemple en tête pour des entrepreneurs ayant dû fermer leur entreprise. Mais ça fait bien dans cette énumération de cas de figure ! En cherchant, on va bien trouver quelques cas. Il y a par contre quelques entrepreneurs qui se sont lancés en politique, comme Denis Payre et Isabelle Bordry avec “Nous citoyens”.
Que deviennent les équipes ?
Qu’en est-il des équipes des startups qui ferment mais qui ne font pas partie des fondateurs ?
Il faut commencer par remarquer que l’on rencontre beaucoup de stagiaires dans les startups qui se lancent ! Souvent, leur stage s’est déroulé à la fin de leurs études. S’ils sont ingénieurs et surtout développeurs, ils retrouvent du travail ailleurs sans difficulté, tellement les entreprises se les arrachent. Dans les autres fonctions comme les métiers marcom, c’est un peu plus délicat car il n’y a pas vraiment de pénurie de compétences sur le sujet. Sauf peut-être pour les très bons profils dans le marketing digital. Comme les premiers du marcom dans les startups sont souvent des généralistes, ils ont des profils qui leur ouvrent pas mal de portes.
Quand les startups arrivent à se financer en amorçage puis en capital-risque, l’emploi change et passe en dominante de CDI (91% dans 116 startups de 5 ans d’ancienneté en moyenne étudiée par France Digitale). Et là, la circulation des talents se poursuit par le jeu habituel de l’offre et de la demande, de la rareté des postes, et des avantages comparés des startups devenues des PME. Aux USA, c’est la foire d’empoigne pour attirer et retenir les talents avec une foultitude d’avantages en nature (restauration gratuite, services divers, etc) sans compter les salaires qui peuvent être très élevés pour les développeurs. Ces sociétés américaines ont importé ces pratiques dans leurs filiales locales (Google, Facebook, etc) et les grandes startups françaises comme Criteo ont suivi le pas.
Quelles sont les volumes et proportions ?
Quid des proportions entre ces différents chemins ? Je n’en ai aucune idée et il n’existe pas vraiment d’études sur le sujet. Il n’existe même pas d’études sur le devenir des startups. La plupart s’intéressent à leur croissance et à leur “non-mortalité”. Mais la survie n’est pas un gage de succès. Elle peut traduire un pivot vers le service qui passera inaperçu dans les statistiques.
En fait, la volumétrie du nombre de startups et de personnes concernées est assez faible. Seules les toutes petites startups lâchent généralement. C’est la période où elles sont les plus fragiles. Elles ne représentent pas beaucoup de fondateurs et salariés, en moyenne 3 à 5 personnes. Environ un quart disparaît totalement après la création et au bout de quelques années (source: au nez). Cela fait entre 1000 et 1500 boites maximum par an, donc un total compris entre 3000 et 6000 personnes grand maximum (source : toujours au nez). Mais ils se recasent généralement bien.
Les études disponibles sur l’emploi dans les startups concernent généralement celles d’entre elles qui sont sorties de la zone de plus fort risque de plantage. Dans son baromètre publié en 2014 cité plus haut, l’association France Digitale avait ainsi consolidé l’emploi généré par 116 startups en France. Elles avaient créé 1376 emplois en 2013, représentant un beau total de 7566 emplois. Mais ces entreprises étudiées ont 5 ans d’âge et on y retrouve des Showroomprive et des Criteo ou Blablacar.
Quid des périodes de crise, style 2001 et 2009 ? La vie a été plus difficile pour les entrepreneurs qui se plantaient. Mais la majorité a su rebondir. L’origine socio-professionnelle des créateurs de startups est plutôt au-dessus de la moyenne française et une majorité d’entre eux est BAC+5 (ingénieurs, écoles de commerce, de design, chercheurs). Leur employabilité est bien meilleure que la cohorte de jeunes chômeurs faiblement qualifiés et qui n’ont même pas le BAC.
Donc même si nous vivons en ce moment une forme de bulle entrepreneuriale avec une foultitude de projets non viables (comme dans les objets connectés ou l’économie collaborative), leurs fondateurs retomberont sur leurs pieds bien plus facilement que les salariés de la base de l’économie traditionnelle. Quand bien même leurs filets de protection sociale ne sont pas aussi bons sachant qu’une fois financés, les dirigeants peuvent cependant souscrire à diverses assurances privées pour les couvrir en cas d’échec et bénéficier d’allocation de chômage en bonne et due forme (comme la GSC, si le dirigeant n’a pas droit aux allocations de Pôle Emploi, selon la forme juridique de l’entreprise et le statut salarié ou non des dirigeants).
Quand des bulles thématiques de startups apparaissent, le recyclage des talents se produit assez naturellement en général. La bulle des startups du “marketing analytics” a généré des sociétés de conseil en transformation et communication digitale. La bulle actuelle des objets connectés va probablement déboucher sur des activités de conseil aux entreprises traditionnelles qui vont se mettre avec un peu de décalage aux objets connectés, comme expliqué dans “La grande intox des objets connectés“.
Il y a aussi la bulle des programmes d’innovation ouverte des grandes entreprises. Mais peu de salariés sont engagés chez elles de ce côté-là. Quand et si elles réduiront la voilure de ce genre d’investissement, ce sont les capacités d’accueil de startups qui s’amoindriront mais on n’y est pas encore.
Dans le marché de l’emploi, les aléas qui interviennent chez les startups en phase d’amorçage ne sont rien par rapport aux mouvements sismiques qui affectent les entreprises et secteurs traditionnels. Quand des Alcatel-Lucent toussent, ils génèrent des plans de restructuration touchant des centaines de salariés d’un coup. De nombreux métiers vont disparaître ou leur productivité s’améliorer à un tel point que cela diminuera dans des proportions importantes les emplois associés. Souvent, à cause de startups françaises ou étrangères d’ailleurs !
Bref, tout ça pour dire qu’il n’y a pas trop de raisons de s’inquiéter pour ces entrepreneurs qui se plantent ou vont se planter. C’est le jeu normal de l’entrepreneuriat et de l’innovation. Ils se recasent plutôt bien dans l’ensemble même si c’est un peu plus dur après l’éclatement d’une bulle. Les bons s’en sortent bien. Les mauvais ont plus de mal. Entre les deux, ceux qui ont un bon réseau sont un peu avantagés. Comme partout ! Les entrepreneurs sont de toute manière animés par une fièvre créative qui survit très bien aux aléas de la vie. C’est dans leur ADN social !
S’il fallait comparer le recyclage des compétences entre les USA et la France, sans avoir de données quantitatives de référence, on pourrait qualifier le premier comme endogame à l’écosystème entrepreneurial “produit” tandis qu’en France, la perméabilité est plus forte avec les métiers de services. S’il est plus facile de rebondir aux USA, les entrepreneurs arrivent cependant à plutôt bien se relancer d’une manière ou d’une autre en France.
[initialement publié en septembre 2015]
Olivier Ezratty est consultant en nouvelles technologies et auteur d’Opinions Libres, un blog sur les médias numériques (TV numérique, cinéma numérique, photo numérique), et sur l’entrepreneuriat (innovation, marketing, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb.
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