Comment une entreprise réécrit les règles du jeu de son marché?
Par Bertrand Duperrin, expert FrenchWeb
C’est un lieu commun que de dire que l’avenir n’appartient pas aux entreprises qui excellent dans la maitrise des règles du jeu de leur secteur mais à celles qui les réécrivent. Plus simple à dire qu’à faire me direz-vous. Quelques éléments de réponse dans le livre dans lequel Hiroshi Mikitani, le fondateur de Rakuten, explique, comment avec son entreprise, il a réinventé les règles d’un marché.
Quoi?
Marketplace 3.0: Rewriting the Rules of Borderless Business
Qui?
Hiroshi Mikitani, fondateur et CEO de Rakuten.
L’idée générale
Suivre les règles d’un marché, obéir aux conventions locales et le faire avec talent permet peut être de dominer son marché à un moment M mais nullement de s’inscrire dans la durée dans un monde qui change rapidement. De plus, la marche peut être trop haute et la courbe d’apprentissage trop longue pour un nouvel acteur désireux de concurrencer des entreprises établies, dont il a tout intérêt à changer les règles. Il lui faut donc réécrire les règles soi-même, emporter l’adhésion du client et alors déplacer le marché sur un terrain où ce sera désormais aux concurrents devenus suiveurs de s’adapter.
A retenir
Le livre comporte 9 chapitres, chacun dédié à un domaine où Mikitani a changé les règles, que ce soit les règles de fonctionnement d’une entreprise, les règles culturelles d’un pays (le Japon) très traditionnaliste ou les règles de son marché.
Je ne vais revenir que sur les points qui ont le plus attiré mon attention.
• Les règles du langage
Au Japon on fait des affaire en japonais et quiconque connait le pays sait à quel point une excellente maitrise de l’anglais n’est nullement une garantie de se faire comprendre dans la vie de tous les jours. Et pourtant, Mikitani a un jour décidé d’imposer l’anglais comme langue de travail. Dès le jour de l’annonce tous les panneaux dans les bureaux ont été remplacés par des panneaux en anglais en moins de 24h et le CEO a tenu dans la foulée son premier board en anglais.
Si l’exécution est assez bluffante dans un pays peu ouvert en termes de tradition comme de langue, c’est le pourquoi de la chose qui est le plus intéressant.
Même si l’entreprise croissait beaucoup à l’étranger, l’anglais était la langue native d’une faible minorité des collaborateurs. Par contre, c’est la langue du business internationnal et le seul dénominateur commun à l’échelle du groupe. Mais il y a une autre raison, beaucoup plus intéressante.
La langue japonaise est très hiérarchique, pleine de marqueurs sociaux et véhicule un certain nombre de non-dits afin de ne froisser personne dans une discussion. Dit autrement, face au caractère très direct de la langue anglaise elle n’est pas une langue efficace dans la conduite des affaires. Car derrière la langue c’est bien le modèle de pensée que Mikitani voulait changer.
• Les règles du pouvoir
Quand on parle d’empowerment dans l’entreprise c’est souvent pour le collaborateur, rarement pour le client. Chez Rakuten le succès vient du fait que l’entreprise travaille les deux axes.
Le collaborateur d’abord, avec une vision très simple. Le collaborateur doit avoir les moyens qu’il estime nécessaire pour satisfaire le client. Quitte à traverser le pays pour une réunion improbable avec un marchand de riz perdu dans la montagne même si une approche rationnelle aurait fait prévaloir que le bénéfice attendu ne méritait pas un tel investissement.
Le client ensuite. Donner le pouvoir au client en lui permettant de personnaliser son site à l’extrême et par lui-même est contre intuitif pour deux raisons. La première c’est que cela à un coût sur le développement d’un produit qu’on aimerait le plus standard possible. «Disponible dans toutes les couleurs pourvu que ce soit noir» comme dirait H. Ford. La seconde est que donner le pouvoir au client lui permet de s’affranchir de services qu’on aurait pu lui vendre de manière payante, ce qui était le modèle des concurrents de Rakuten. C’est en investissant dans le produit et se privant d’une ligne de revenu potentiel que Rakuten s’est imposé.
• Réinventer Internet
Qu’est-ce qu’Internet pour vous? De la technologie? Une machine à vendre? Un réseau? Pour Mikitani c’est un outil de collaboration. Et construire son produit en partant de ce principe là encore aux antipodes des convictions du secteur a permis à Rakuten de révolutionner son secteur.
Collaboration entre Rakuten, ses clients et les clients de ses clients. Collaboration entre le vendeur et l’acheteur sur la marketplace. L’activité de vente est passée de verticale à circulaire et la collaboration enrichit l’expérience de toutes les parties prenantes.
Qu’on parle d’opérationnel ou d’éléments qui tiennent davantage de la vision et de la culture, Mikitani détaille tout ce qui fait qu’il a conçu pour développer Rakuten aux antipodes des codes qui prévalaient quand il a créé son entreprise.
Mon avis
Les exemples ne valent que ce qu’ils valent, Rakuten est une entreprise japonaise, certains points sembleront évidents à certains (bien sûr… vu que le modèle à fonctionné), d’autres moins.
L’intérêt majeur de ce livre est qu’il montre de manière illustrée qu’on a toujours tendance à se conformer aux codes de son secteur, aux best practices alors que finalement tout est challengeable. Et jouer avec ses propres règles est souvent le meilleur moyen de ravir le client et créer une barrière à l’entrée pour les concurrents car si la technologie se copie, une vision et une culture qui sortent des sentiers battus sont infiniment plus compliquées à transposer d’une entreprise à une autre.
L’expert:
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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