Concurrence: comment l’UE veut dompter les Gafam
Par Daniel ARONSSOHN / Bruxelles / AFP
Le Règlement sur les marchés numériques (« Digital Markets Act », DMA) de l’Union européenne, que doivent respecter à partir de jeudi une poignée de géants des technologies dont Apple, Google et Meta, entend mettre un terme à leurs abus de position dominante.
– Objectif: préserver la concurrence –
La Commission européenne a constaté que ses règles traditionnelles, trop lentes et insuffisamment dissuasives, avaient échoué à empêcher certains acteurs dominants, essentiellement les « Gafam » américains (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), d’imposer des conditions déloyales à leurs rivaux.
Au fil des années, ils ont bridé voire évincé la concurrence sur plusieurs marchés-clés.
Avec le DMA, l’UE se dote d’un arsenal législatif adapté aux réalités de l’économie numérique, pour protéger l’émergence et la croissance de start-ups en Europe et améliorer le choix offert aux utilisateurs.
– Les Gafam dans le viseur –
Les nouvelles règles concernent des groupes actifs dans au moins 3 pays européens, dépassant 75 milliards d’euros de capitalisation boursière ou 7,5 milliards de ventes en Europe, et enregistrant au moins 45 millions d’utilisateurs finaux actifs et 10.000 entreprises utilisatrices en Europe.
Il s’agit pour l’instant des américains Alphabet (Google), Amazon, Apple, Meta (Facebook), Microsoft et du chinois ByteDance, propriétaire de TikTok.
Ils sont dénommés « contrôleurs d’accès », car jugés incontournables pour leurs utilisateurs et soumis à des contraintes spécifiques.
La Commission a désigné au total 22 plateformes-clés appartenant à ces six groupes: quatre réseaux sociaux (TikTok, Instagram, Facebook, LinkedIn), deux messageries instantanées (WhatsApp et Messenger), trois systèmes d’exploitation (Android, iOS, Windows), un moteur de recherche (Google), deux navigateurs (Chrome, Safari), six services d’intermédiation (Google Maps, Google Play, Google Shopping, Amazon Marketplace, App Store et Meta Marketplace), le site de partage de vidéos Youtube, ainsi que les services publicitaires de Google, Amazon et Meta.
Booking, le champion néerlandais des réservations hôtelières, et le réseau social X (anciennement Twitter) ont informé la Commission qu’ils avaient franchi les seuils réglementaires et pourraient rejoindre cette liste prochainement, tout comme le service publicitaire TikTok Ads.
– Contrôle des fusions –
Les « contrôleurs d’accès » doivent informer Bruxelles de tout projet d’acquisition d’entreprise du numérique en Europe, quelle que soit la taille de la cible. Objectif: freiner l’accaparement de l’innovation et les rachats ayant pour seul but d’éliminer un concurrent.
– Conditions non discriminatoires –
Le moteur de recherche Google a interdiction d’accorder un classement plus favorable aux produits et service du même groupe. Il est accusé depuis longtemps de favoriser notamment son comparateur de prix Google Shopping.
– Diversité des fournisseurs –
Les grandes plateformes ont tendance à « enfermer » les utilisateurs en les poussant à utiliser leurs services pré-installés: navigateur internet, cartographie, météo… Le DMA garantit la possibilité de désinstaller ces services intégrés par défaut et facilite le choix d’alternatives.
Les utilisateurs doivent pouvoir choisir les boutiques d’applications logicielles de leur choix et télécharger directement leurs applications sur les sites des fournisseurs, sans passer par les acteurs dominants: l’App Store d’Apple ou Google Play.
Apple n’a plus le droit d’imposer l’utilisation de son service de paiement Apple Pay aux développeurs qui souhaitent référencer leurs applications dans l’App Store.
– Interopérabilité –
Les messageries instantanées WhatsApp et Messenger doivent être rendues interopérables avec les services de concurrents qui le demandent.
Les « contrôleurs d’accès » doivent accorder à tous les fournisseurs d’accessoires, comme des montres ou lunettes connectées, le même accès à leurs systèmes d’exploitation ou logiciels afin de ne pénaliser aucun concurrent.
– Utilisation des données –
Les « contrôleurs d’accès » ont interdiction de croiser des données collectées à travers différentes plateformes pour le ciblage publicitaire de leurs utilisateurs sans leur consentement — une pratique au coeur des modèles économiques de Google et Meta.
Ils n’ont plus le droit de se servir des données générées par leurs entreprises clientes pour les concurrencer, comme Amazon est accusé de l’avoir fait pendant des années. Ils doivent fournir à leurs clients un accès à ces données.
La législation introduit la portabilité des données pour permettre aux utilisateurs d’un service en ligne de changer plus facilement de fournisseur.
Les annonceurs et éditeurs obtiennent un accès accru aux données publicitaires pour savoir notamment qui voit les bandeaux en ligne et, ainsi, mieux évaluer leur efficacité.
– Gouvernance et sanctions –
Pour éviter toute fragmentation du marché intérieur, le pouvoir de contrôle et de sanctions est confié à la Commission européenne, qui a constitué une équipe d’experts comptant actuellement une centaine de personnes.
Le règlement prévoit des amendes pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise, et même 20% en cas de récidive.
En dernier recours, la Commission pourra imposer un démantèlement du contrevenant en le contraignant à céder une activité.
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