[DECODE] Condamnation de Google pour clauses abusives: ce que le TGI reproche au géant américain
Par Florence G’sell, agrégée de droit privé et professeur à l’Université de Lorraine
A la suite de la condamnation de la société Google par le tribunal de grande instance de Paris, le 12 février 2019, j’ai répondu aux questions du Club des Juristes.
Sur quels fondements la société Google a-t-elle été condamnée ?
La société Google a été condamnée le 12 février 2019 par le Tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 12 février 2019, n°14/07224), qui a jugé illicites un certain nombre de clauses figurant dans les « Conditions d’utilisation » et les « Règles de confidentialité » proposées aux utilisateurs dans le cadre de la souscription au réseau social « Google + ». La décision se fonde principalement sur le droit de la consommation et la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 dite « Informatique et Libertés ». Sur le terrain du droit de la consommation, était notamment invoqué l’article L 212-1 (anciennement art. L. 132-1) qui dispose que « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». En l’espèce, la société Google soutenait que le caractère gratuit du service proposé excluait tant l’application du droit de la consommation que la possibilité d’un déséquilibre significatif. Le tribunal a balayé l’argument en soulignant que, malgré l’absence de contrepartie monétaire, la fourniture par l’utilisateur d’un certain nombre d’informations exploitées et valorisées par Google dans le cadre d’opérations de publicité générale et ciblée constituait la contrepartie d’un service rendu à titre onéreux par un professionnel : le droit de la consommation est donc applicable.
Quelles sont les conséquences de cette décision ?
Très concrètement, la décision n’a pas de conséquences directes sur les utilisateurs dans la mesure où les clauses contestées ont été retirées depuis plusieurs années. En revanche, la décision présente un incontestable intérêt de principe car elle donne un grand nombre de précisions quant à ce qui est attendu des plateformes.
Il est avant tout intéressant de noter que le TGI a refusé de prononcer le caractère généralement abusif des « Règles de confidentialité » et des « Conditions d’utilisation » au motif que l’utilisateur se voit proposer au préalable la conclusion d’un contrat et fournir dans l’ensemble des « informations suffisamment claires et compréhensibles sur la teneur et la portée de son consentement ». Le tribunal a donc privilégié une analyse clause par clause. Il a alors réputé non écrites 38 clauses. Plusieurs types de motifs justifient la censure.
En premier lieu, un certain nombre de clauses ne comportent pas d’informations suffisamment claires et détaillées, notamment quant aux finalités de publicité ciblée poursuivies par Google. Certaines clauses sont ainsi insuffisamment précises quant aux conditions de collecte et de traitement des données ou leurs finalités, par exemple en cas de géolocalisation, de dépôt de cookies ou d’utilisation par Google de la photo de profil et des activités de l’utilisateur. La même absence de précision est reprochée à la clause conférant à Google un droit d’utilisation à titre gratuit sur tous les contenus générés par l’utilisateur, prévoyant la possibilité pour Google de modifier ou adapter les contenus comportant des données à caractère personnel, autorisant l’analyse automatique des contenus pour proposer des « fonctionnalités pertinentes », ou portant sur l’articulation des règles de confidentialité générales et particulières ou additionnelles.
En deuxième lieu, certaines clauses tendent à présumer ou forcer le consentement de l’utilisateur. Tel est le cas de la clause qui prévoit que l’utilisation du service (soit l’inscription suivie de la navigation sur le site) vaut acceptation des conditions générales d’utilisation, de celle qui présume acquis le consentement de l’utilisateur à l’indexation systématique de ses contenus ou au transfert de ses données personnelles à des tiers ou vers des pays tiers, de la clause prévoyant d’éventuelles modifications substantielles du contrat sans organiser la notification et la collecte du consentement de l’utilisateur, ou de la clause dissuadant les utilisateurs de s’opposer aux dépôts systématiques de cookies.
D’autres clauses, enfin, se révèlent illicites parce qu’écartant l’application de la loi française au profit de la loi américaine en cas d’éventuels litiges en matière de droits d’auteur, accordant à Google le droit discrétionnaire de cesser unilatéralement à tout moment de fournir tout ou partie de ses services, écartant la responsabilité de Google en cas de dysfonctionnement ou s’abstenant de mettre en œuvre le droit de l’utilisateur à faire rectifier ses données.
D’autres entreprises utilisent les mêmes procédés (notamment Facebook). Risquent-elles d’être remises en cause ?
La présente décision est à rapprocher du jugement rendu par la même juridiction en août dernier (TGI Paris, 7 août 2018, n°14/07300) à propos de Twitter, qui a censuré près de 266 clauses issues des « Conditions d’utilisation », de la « Politique de confidentialité » et des « Règles de Twitter ». Ont ainsi été réputées illicites les clauses présumant le consentement du consommateur -du fait de sa navigation sur Twitter- au contrat et au traitement de ses données, accordant à Twitter un droit d’utilisation à titre gratuit sur tous les contenus de l’utilisateur, autorisant le transfert des données vers un pays tiers ou permettant à Twitter de clôturer le compte d’un utilisateur tout en conservant son nom sans limitation de durée.
Il ressort clairement de cette jurisprudence que l’absence de contrepartie financière ne fait pas du service proposé par les plateformes, un service gratuit et que celles-ci sont bel et bien des professionnels soumis au droit de la consommation. De même, la loi du 6 janvier 1978 dite « Informatique et libertés » est pleinement applicable aux plateformes, réputées être responsables de traitement, quand bien même elles n’auraient pas d’établissement en France.
Il convient, enfin, de tenir compte de la récente décision de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) (CNIL, formation restreinte, délib. SAN-2019-001, 21 janv. 2019) qui a condamné Google à une amende de 50 millions d’euros pour manquement aux obligations imposées par le Règlement général de Protection des Données (Règl. [UE] 2016/679, 27 avr. 2016). La CNIL a notamment reproché à Google l’absence d’informations suffisamment claires pour permettre aux utilisateurs de comprendre les modalités et les conséquences des traitements de leurs données à caractère personnel à des fins d’analyse comportementale et de ciblage publicitaire, donc de donner un consentement éclairé à ces opérations.
Dans un tel contexte, l’obligation de donner aux utilisateurs une information fiable et précise et de leur permettre d’adhérer au réseau social en pleine connaissance de cause concerne l’ensemble des opérateurs. On peut donc s’attendre à ce que Facebook soit également condamné s’il s’avère que les conditions proposées sont de même nature que celles qui figuraient dans les contrats de Google et Twitter.
L’expert:
Florence G’sell (www.gsell.tech) est agrégée de droit privé et professeur à l’Université de Lorraine où elle enseigne principalement le droit des obligations, le droit des affaires et le droit comparé. Diplômée de Sciences Po Paris, où elle enseigne depuis plusieurs années, elle a commencé sa carrière dans la filiale américaine d’une banque française avant de rejoindre une compagnie d’assurance spécialisée dans la couverture des grands risques industriels, puis de choisir la voie universitaire. Ses recherches portent principalement sur le droit des affaires, le droit privé, les modes de règlement des litiges et les nouvelles technologies, qu’elle aborde de manière comparative, à la lumière des droits de Common Law, notamment le droit américain.
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