Coup d’envoi du vaste chantier des Etats généraux de l’information
Par Paul RICARD / AFP
Fausses infos, mainmise des milliardaires, révolutions technologiques, secret des sources: les Etats généraux de l’information sont lancés mardi matin, pour tenter de fixer des « règles du jeu » dans un univers médiatique en plein bouleversement.
L’organisation de ce vaste chantier sera précisée par le comité de pilotage indépendant des Etats généraux, lors d’une conférence de presse à 11h30 à Paris.
Ces Etats généraux étaient une promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2022. Longtemps attendue, leur tenue a été annoncée par l’Elysée mi-juillet.
« Le but, c’est d’aboutir à un plan d’action » pour « garantir le droit à l’information à l’heure numérique », explique à l’AFP Christophe Deloire, délégué général de ce comité présidé par Bruno Lasserre (de la Cada, Commission d’accès aux documents administratifs).
Cela pourra passer par des mesures « législatives, fiscales, budgétaires », avec peut-être une modification de la loi de 1986 qui régit l’audiovisuel, ainsi que par des « recommandations » au secteur des médias.
Au niveau européen, les eurodéputés se prononcent mardi sur une loi destinée à défendre le pluralisme et l’indépendance des médias ainsi que le secret des sources. Le vote doit ouvrir la voie à des négociations avec les Etats membres, avant une adoption finale.
– Réseaux sociaux –
Organisés par groupes de travail, les Etats généraux débuteront par « une phase de diagnostic jusqu’à la fin de l’année », avant « les propositions », selon Christophe Deloire, par ailleurs secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF). Ils s’achèveront « en mai-juin » 2024.
« Le périmètre est très large: de la qualité de l’information au financement du journalisme jusqu’aux réseaux sociaux et à l’intelligence artificielle, en passant par beaucoup d’autres choses », note M. Deloire.
« Les Etats généraux sont lancés pour avoir une vue globale » et « fixer des règles du jeu communes, parce que cet espace informationnel est un bien commun », fait-il valoir.
Parmi les thèmes abordés, la qualité de l’information tiendra une place centrale, à l’heure où les réseaux sociaux rebattent les cartes chez les jeunes.
Selon le baromètre Kantar-La Croix publié en janvier, ces plateformes sont la deuxième source d’information des Français de 18 à 24 ans, derrière les journaux télévisés. Avec les risques de désinformation qui vont de pair.
D’ailleurs, d’après un sondage Harris Interactive réalisé auprès de 2.000 personnes et dévoilé mardi matin par le comité de pilotage des Etats généraux, 43% des Français disent avoir des difficultés à trouver une information fiable.
En outre, 55% estiment que l’information s’est dégradée ces dernières années.
Autre sujet d’ampleur, la concentration de nombreux médias français entre les mains de grands groupes privés et de quelques milliardaires (Vincent Bolloré, Daniel Kretinsky, Xavier Niel, Rodolphe Saadé…). Cela a fait l’objet d’une commission d’enquête sénatoriale en 2022.
– Indépendance –
Au-delà des implications économiques, cette concentration pose la question brûlante de l’indépendance: comment garantir que les propriétaires de médias n’influent pas sur leur ligne éditoriale?
La question a resurgi cet été avec la grève au JDD (Journal du dimanche), dont la rédaction s’est opposée en vain à l’arrivée comme directeur du journaliste Geoffroy Lejeune, marqué à l’extrême droite.
Beaucoup y ont vu la main du milliardaire ultra-conservateur Vincent Bolloré, dont le groupe Vivendi est en passe d’avaler Lagardère, propriétaire du JDD. Lagardère s’en est défendu.
« Ce serait une erreur de penser que les Etats généraux sont une réponse à Bolloré, c’est beaucoup plus large », assure M. Deloire.
Après la crise au JDD, plusieurs parlementaires ont proposé de conditionner les aides publiques des médias à des mécanismes d’indépendance éditoriale.
Partis en masse, les anciens journalistes du JDD lanceront le 9 octobre une association destinée à « promouvoir la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias », lors d’une soirée de spectacle au Théâtre du Châtelet à Paris.
Egalement au menu des Etats généraux, la protection des sources des journalistes. Ce thème a été propulsé sur le devant de la scène par la récente garde à vue de la journaliste Ariane Lavrilleux, après une enquête sur une mission de l’armée française en Egypte.
Cela a indigné la profession et des rassemblements sont prévus mardi à 18h30 à Marseille ou Strasbourg.
L’une des difficultés des Etats généraux est d’éviter d’en faire un événement corporatiste, qui n’intéresserait que les journalistes.
« On veut partir des citoyens, en allant leur parler là où ils sont », espère M. Deloire.
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