Bertrand DuperrinBUSINESSHRTECHLes ExpertsMARTECHTECH

De la transformation digitale à la dé-bureaucratisation

On met un grand nombre de choses derrière la transformation digitale. Beaucoup se concentreront sur la notion d’expérience client mais, avec le recul et la distance nécessaire, il s’agit surtout pour une entreprise de se donner les moyens d’opérer à grande vitesse et grande échelle sur des marchés en constante transformation. Expérience client et expérience employé en sont les moyens au même titre de d’autres choses mais pas des fins en soi.

«Il ne faut pas s’attendre à ce qu’une application fonctionne dans un contexte où les hypothèses sur lesquelles reposent son fonctionnement ne sont pas valides». Dit autrement, dans le cas qui nous concerne, se doter des dernières technologies permettant d’interagir avec le client, d’améliorer le go-to-market, d’échanger, collaborer et décider vite ne sera d’aucune utilité si la structure même de votre entreprise est conçue de manière à tout centraliser, à multiplier les goulots d’étranglement et, in fine, à ralentir son fonctionnement.

Ce type de structure à un nom: la bureaucratie. Et c’était justement le thème de la keynote d’ouverture de HRTechWorld 2016, à Paris, avec Gary Hamel.

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La start-up: là où les talents s’épanouissent

Le constat de Hamel est simple: aujourd’hui les talents ont une préférence pour les start-up. Non parce que c’est fun, drôle ou quoi que ce soit d’autre mais parce que c’est là qu’ils s’épanouissent le plus et arrivent à donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est peut être une affaire de culture mais surtout de structure (l’un ayant quand même un impact sur l’autre).

Les start-up sont courageuses, ouvertes, plates, «lean», simples et favorisent la liberté. A l’inverse la plupart des grandes entreprises mettent leurs collaborateurs dans des dispositifs diamétralement opposés.

Combien d’entre vous peuvent se reconnaître dans les propositions suivantes?

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A l’inverse je pense que la réalité pour 95% d’entre nous est plus ou moins celle-ci.

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Avant de poursuivre il importe de préciser deux choses:

  • Mon propos n’est pas de dire que les entreprises «traditionnelles» sont mauvaises et à l’inverse que les start-up ont tout compris. La réalité est plus complexe: toutes les grosses structures ont été petites, agiles, lean, innovantes. Avec le temps elles ont grossi, ont du se structurer, devenir «pilotables» malgré leur tailles, satisfaire aux exigences de gouvernance qu’imposent les investisseurs et le marché. Au final elles ont construit du «gras» de manière naturelle, sans même s’en rendre compte même si aujourd’hui tout le monde (et elles en premier) constatent les dégâts. Je fais cette précision car j’ai la conviction que l’essentiel des start-up devant lesquelles on s’extasie aujourd’hui finiront, avec le temps par reprendre les mauvaises habitudes de leurs ainées.
     
  • Comme le précise Gary Hamel, les «licornes» actuelles qui sont un exemple pour beaucoup ne représentent aux Etats-Unis, avec leurs 400 milliards de dollars de capitalisation cumulée que 2% de la capitalisation des grandes entreprises. Une goutte d’eau dans l’océan.

D’où la conclusion logique de Hamel: la question n’est pas de créer des enclaves entrepreneuriales mais de diffuser cette culture dans l’ensemble des grandes organisations.

La bureaucratie tue l’engagement et l’efficacité

Le coupable est donc la bureaucratie qui est vue comme une sorte de maladie qui défend l’entreprise contre les «gênes transformateurs» et l’handicape dans son fonctionnement quotidien.

Avec un impact non nul sur l’engagement des collaborateurs, on le sait.

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Pour autant d’autres modèles sont possible et Hamel nous cite quelques exemples désormais bien connus:

  • HCL et son PDG Vineet Nayar.
  • Haier qui opère 4 000 business units avec seulement 3 niveaux hiérarchiques, des logiques de plateformes, d’autonomie et de «venture capitalism» pour co-financer l’innovation et de partage des bénéfices avec les co-investisseurs.

 

Ces exemples n’ont rien de nouveau. Sur ce point Hamel continue de surfer sur son dernier livre sorti il y a déjà quelques années et qu’il nous ressort sous un angle différent chaque année. Hamel c’est comme un grand chef: il a ses plats «signature», les sert et les ressert à l’envi, mais c’est toujours aussi bien servi et présenté.

Plus intéressant, Hamel a lancé deux initiatives concrètes pour bouter la bureacratie hors de nos entreprises:

 

A ce stade ses recherches montrent que la Bureaucratie coûterait chaque année 3 milliards de dollars à l’économie américaine et 9 à l’échelle de l’OCDE.

Peut-on digitaliser une organisation bureaucratique?

Voici pour ce qui est du Hamel show. Maintenant au delà des «buzzwords» savamment markétés il nous faut bien essayer de faire «atterrir» les choses. L’inspiration sans action ne génère en effet que déception et frustration.

Si Hamel vend parfaitement son idée le sujet n’est ni nouveau ni difficile à vendre: tout le monde en a conscience depuis des décennies. Peter Drucker a tiré le premier il y plus de 40 ans et pourtant rien n’a bougé. Ou si peu.

La «digitalisation» des organisations peut-elle aider? Je n’y crois guère plus. La débureaucratisation est une condition nécessaire à la digitalisation, pas sa conséquence. Bien sûr, on peut miser sur un effet d’entraînement, un peu de digital entraîne un peu moins de bureaucratie et ainsi de suite. Mais de là à penser à arriver à une transformation dans un délais raisonnable il y a un pas que je ne franchirai pas. D’ailleurs selon ma propre définition de la transformation digitale, c’est avant tout un process de simplification. Ce qui nous renvoie aux mêmes problèmes que pose Hamel. L’histoire de la poule et de l’œuf.

Une autre approche est à trouver chez Yves Morieux qui nous parle finalement du même sujet avec une approche différente. C’est par la collaboration que l’on répond à la complication selon Morieux mais, là encore, quiconque s’est attaché au sujet de la collaboration en entreprise sait qu’elle nécessite des réformes structurelles en amont, réformes impopulaires et douloureuses qui imposent de tailler «dans le dur».

Construire hors de l’entreprise traditionnelle la start-up qui portera le modèle de demain et finira par avaler sa maison mère ou la vider de son business? C’est une voie que je vois de plus en plus de grandes entreprises emprunter.

Alors oui la bureaucratie fait consensus contre elle. Pour autant s’il est difficile de l’éviter en grandissant, il est encore plus difficile de s’en débarrasser une fois l’entreprise atteinte de bureausclérose (selon les termes de Hamel).

Alors oui le sujet est facile. Il y a consensus sur le problème et la solution. Seul manque le courage et l’acceptation du corps social, et ça personne ne peut le vendre.

Pour autant aucune entreprise ne pourra durablement se permettre de subir la complication organisationnelle que décrit Morieux (voir lien plus haut) ni ne vivre ce que j’appelle «le syndrome de l’assistante Polonaise». Lors de sa prise de fonction en 2008 comme CEO d’Alcatel Lucent, Ben Verwayyen avait vu arriver dans sa boîte mail, une demande pour valider le recrutement d’une assistante en Pologne. Le système bureaucratique avait fait merveille puisque pour lui parvenir le mail avait été «forwardé» par 16 personnes, chacune désirant se couvrir, Vervayyen étant le 17e niveau hiérarchique il n’y avait plus personne à qui poser la question au dessus.

Et vous? Comment qualifieriez vous l’entreprise dans laquelle vous travaillez? Des choses sont elles faites pour diminuer l’empreinte bureaucratique? Avez-vous testé le cours en ligne de Hamel sur «Busting Bureaucracy»?. Vos commentaires sont les bienvenus.

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bertrand-duperrinBertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.

Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.

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Un commentaire

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    Très bon article soulignant un aspect négligé de la transformation digitale, traité ici de manière approfondie. Je travaille au sein d’une start-up aujourd’hui, mais j’ai aussi travaillé dans une grosse structure et j’ai vu de près sa force d’inertie. Pour autant, lorsqu’un employé prend une initiative, il a bien souvent la surprise de recevoir un regard bienveillant de ses supérieurs. C’est donc souvent le courage qui manque, en effet.
    Mais au-delà de ça, le mal est peut-être plus profond, car cette culture de la bureaucratie est enseignée et subie dès l’école. En interrogeant un professeur d’Allemand d’origine germanique et qui avait fait toute sa scolarité outre-Rhein, j’ai découvert que chez nos voisins, on sollicite très tôt l’esprit d’initiative, l’organisation et l’autonomie en leur faisant faire plus d’exposés en classe. le système scolaire français repose sur le fait d’obtenir l’aval du maître ou de la maîtresse en répondant bien (c’est-à-dire de la manière attendue par la hiérarchie) à la question. Des nouvelles approches comme la classe inversée, ou ancienne comme la pédagogie Montessorie ou encore « les lois naturelles de l’enfant » de Celine Alvarez montrent clairement l’efficacité de systèmes éducatifs alternatifs.

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