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De nouveaux rapprochements Retail & Tech sont à prévoir en 2018 !

Par Michel de Guilhermier, président et fondateur de Day One Entrepreneurs & Partners

L’année 2017 fut incroyablement riche et passionnante pour le «big retail», et marque probablement l’an 1 d’un nouveau mouvement de transformation et de consolidation du secteur, de grande ampleur.

Amazon, la pieuvre de Seattle, est l’année dernière devenue un vrai retailer physique de poids, le 6ieme des Etats-Unis, en rachetant pour 13,7 milliards de dollars Whole Foods et ses près de 500 magasins. Ce au delà des 13 librairies (Amazon Book Stores) et des 53 corners high tech dans les centres commerciaux (Amazon Pop Up) qui ont été ouverts aux US depuis 3 ans.

A l’arrivée de 2017, l’autre pieuvre, de Chine cette fois, Alibaba, qui représente pas moins de 75% de l’e-commerce chinois et même plus de 10% de tout le commerce local, était déjà indirectement un important retailer physique avec ses investissements dans Suning Commerce Group en 2015 (le Darty chinois) et dans la chaine de supermarchés Sanjiang en 2016. Mais le groupe de Hangzhou s’est cette année considérablement renforcé dans le domaine en acquérant l’intégralité du capital de l’opérateur de centres commerciaux Intime Retail Group, en prenant 20% de la chaine de supermarchés Linhua, et enfin en investissant 2,9 milliards de dollars pour prendre 36% de Sun Art et ses 450 hypermarchés en Chine en partenariat avec Auchan. Ce sans compter l’expansion de sa propre chaine ultra connectée créée il y a 3 ans, Hema Fresh, forte aujourd’hui d’une vingtaine d’unités. En annonçant au passage vouloir franchiser le concept et licencier sa technologie à 10 000 magasins en Chine…

Enfin, le premier retailer mondial, Walmart, 12 000 magasins et 2,3 millions de collaborateurs, après avoir cassé sa tirelire en août 2016 afin de s’offrir pour 3,3 milliards de dollars Jet.com, avec dans la corbeille son emblématique et visionnaire patron Marc Lore qui a du coup pris la responsabilité du digital et de l’e-commerce du Groupe, s’est quant à lui un peu plus digitalisé en rachetant coup sur coup en 2017 plusieurs actifs e-commerce et digitaux: Shoebuy en janvier, Mousejaw en février, Modcloth en mars, Bonobos en juin et enfin Parcel en octobre (petite société spécialisée dans la livraison rapide de produits frais). Tout en lançant également son incubateur retail tech, baptisé «Store n°8» (du nom du magasin expérimental qu’avait dans le passé créé Sam Walton), localisé dans la Silicon Valley et non pas au fin fond de l’Arkansas, et dirigé par une entrepreneuse talentueuse, Jennifer Fleiss, co-fondatrice de Rent-the-Runway (une belle start-up qui a levé au total 180 millions de dollars). Avec une croissance annoncée de +50% au 3ieme trimestre 2017, très supérieure à celle de l’industrie et même d’Amazon, l’e-commerce de Walmart est devenue une vraie force sur laquelle il faut aujourd’hui compter.

Les initiatives stratégiques prises en 2017 par ces 3 géants de commerce illustrent parfaitement le fait que le retail de demain sera composé de magasins physiques, absolument incontournables car ancrés dans la vie locale des consommateurs, apportant des services que le online ne peut pas apporter, et pouvant aussi servir de hub de livraison (le concept Hema Fresh, notamment), de services logistiques aux consommateurs, le tout agrémenté d’énormément de technologie.

Celle-ci entraine en effet une sacrée disruption du secteur en ouvrant un incroyable champ de nouvelles possibilités. Elle sera présente à tous les niveaux, afin d’une part de réinventer le parcours et l’expérience client de A à Z, mais aussi d’autre part d’optimiser tous les process: places de marché online proposant une offre quasi illimitée ; big data, intelligence artificielle et machine learning afin, notamment, de mieux cibler les consommateurs, de permettre une communication et un relationnel plus personnalisés avec les clients, de leur apporter des recommandations pertinentes, d’optimiser le merchandising en magasin, d’anticiper la demande et d’ainsi gérer les stocks plus finement ; capteurs divers, computer vision et reconnaissance faciale, paiement mobile, réalité augmentée, drones, etc.

Ainsi, très logiquement, Amazon et Alibaba, qui sont à la base des sociétés de technologie, employant des dizaines de milliers d’ingénieurs, et qui disposent aussi de l’infrastructure logistique one-to-one (Alibaba a depuis septembre 2017 une participation majoritaire dans Cainiao Logistics, et a prévu d’y investir 15 milliards de dollars supplémentaires dans les 5 ans), acquièrent ou rentrent maintenant au capital d’acteurs physiques. Et de son côté, le premier retailer physique au monde, Walmart, qui jouit lui des emplacements physiques, se mue en une powerhouse technologique avec également des actifs e-commerce et de fulfilment («we’re building an Internet & technology company inside the world’s largest retailer», Walmart CEO).

Les investissements requis pour rester dans la course, posséder et maîtriser ces 3 actifs devenus indispensables, physiques/technologiques/logistiques, deviennent alors maintenant considérables. La barre a de facto été fortement rehaussée. Walmart a du investir pas loin de 20 milliards de dollars depuis 6 ans pour se digitaliser et devenir un e-commerçant de poids, en acquérant des technologies diverses (cloud, intelligence artificielle & machine learning, big data, etc), des digital brands comme Bonobos, et en ouvrant des fulfilment centers. Amazon a du dépenser la même chose au total pour acquérir des actifs physiques (dont les 13.7 milliards de dollars pour Whole Foods), et Alibaba ne doit pas en être très loin non plus. Ce, pour ces 2 derniers, au delà des milliards qu’ils investissent déjà annuellement en technologie (Alibaba a d’ailleurs annoncé il y a 2 mois un plan de 15 milliards de dollars supplémentaires en R&D sur 5 ans), et en expansion de leur infrastructure logistique.

Ces 3 mastodontes génèrent chacun entre 300 à 600 milliards de dollars de CA ou de volume d’affaires par an, pour servir 250 à 500 millions de clients, et dégagent entre 12 et 16 milliards de dollars d’EBITDA. Ils ont ainsi la surface commerciale et financière pour se permettre ces investissements considérables – on parle ici en dizaines de milliards – et construire progressivement ce qu’appelle Jack Ma le «new retail», regroupant de façon intime, fluide et transparente le offline, le online et les services logistiques.

Mais qu’en est-il des retailers généralistes de taille inférieure, y compris pour des acteurs importants, tel par exemple un Target aux US (70 milliards de dollars de CA) ou un Carrefour en France (80 milliards d’euros de CA). Ce dernier, bien que 3ieme retailer physique au monde, génère moins de 4 milliards de dollars d’EBITDA annuellement, soit le tiers ou le quart seulement des 3 géants ci-dessus, et est en stagnation voire en baisse depuis plusieurs années?

Le nouveau PDG, Alexandre Bompard, venu de l’extérieur et pouvant donc apporter un œil neuf et critique, annoncera en janvier son plan de relance; profonde remise en cause, dénonciation des dogmes et tabous, électrochoc, fermeture/revente de certain pays (ie la Chine), réorganisation humaine et remèdes de cheval devraient être au programme…

Cela est certainement nécessaire, car si le groupe possède de beaux atouts (son parc de magasins, ses filières d’approvisionnement et sa supply-chain notamment), il est aussi prisonnier de son histoire et de ses lourdeurs, et il est surtout contraint aujourd’hui de totalement réinventer son modèle d’affaires face à ses nouveaux concurrents.

Car, à la vérité, Amazon et Alibaba gagnent essentiellement de l’argent avec les commissions de la place de marché et les services (notamment IT et Cloud), pas avec la vente de produits. Et Walmart, qui propose maintenant plus de 70 millions de SKUs, leur emboite le pas en devenant lui aussi une plateforme.

Pour autant, est-ce que les transformations que va entreprendre A. Bompard seront suffisantes pour positionner Carrefour en vainqueur dans le monde de demain?

J’ai à vrai dire de sérieux doutes sur un scénario en «stand alone», même avec une restructuration en profondeur.

En effet, d’une part des acteurs comme Carrefour, et d’autres du même gabarit, n’ont pas forcément la taille critique pour se permettre seuls ces investissements colossaux, et d’autre part ils n’ont plus trop aujourd’hui le luxe du temps car l’histoire s’accélère et leur retard s’est accumulé.

Après avoir vu son action dévisser de 20% en 2017 (et de 60% sur ses plus hauts il y a 9 ans), contrairement à Walmart, Amazon et Alibaba qui ont vu leurs actions s’envoler de respectivement 40, 50 et 90%, Carrefour ne vaut plus aujourd’hui que 14 milliards d’euros, soit le 18ième de la capitalisation boursière de Walmart et le 35ième de celle d’Amazon. Sur le papier, ceux-ci ne pourraient n’en faire qu’une bouchée.

L’agenda d’Alexandre Bompard pourrait d’ailleurs être de restructurer à la serpe le groupe avant de l’adosser d’ici 18-24 mois. Scénario qui me paraît en fait le plus probable, avec celui d’une alliance de grande ampleur avec l’un des 2 commerçants «technologiques», Amazon ou Alibaba. Ce dernier étant fiancé à Auchan, la probabilité me paraît plus faible qu’avec le premier.

Quoi qu’il en soit, si 2017 fut le théâtre de très grandes opérations avec le rachat de Whole Foods par Amazon, la frénésie d’acquisitions de Walmart et l’alliance Auchan – Alibaba en Chine, on peut raisonnablement parier que 2018 verra se poursuivre, d’une façon ou d’une autre, la consolidation du secteur, avec probablement d’autres rapprochement entre les grands acteurs de la technologie et ceux du retail physique.

L’expert:

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Michel de Guilhermier est le président et fondateur de Day One Entrepreneurs & Partners.

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