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Ce que révèlent les acquisitions d’Amazon sur sa stratégie

Depuis sa création, Amazon a investi 20 milliards de dollars en acquisitions, avec une forte accélération depuis 2012

  • Depuis sa création, Amazon a acquis 86 sociétés à travers le monde.
  • En sept ans, l’entreprise de Jeff Bezos a dépensé au moins 19 milliards de dollars pour effectuer plus de 50 rachats.
  • Sa plus importante acquisition est le distributeur de produits alimentaire WholeFoods, pour 13,7 milliards de dollars.
  • Les processus d’acquisition d’Amazon reposent sur quatre points clés: rapidité, confidentialité, internalisation et continuité.
  • Morgan Stanley prévoit qu’Amazon va continuer de croitre de 16% chaque année jusqu’en 2025, principalement grâce à sa stratégie d’acquisition.
  • Les secteurs visés en 2019 par Amazon sont le cloud, la logistique, la domotique…
  • En 2020/2021, Amazon devrait renforcer son positionnement sur le marché publicitaire, dont la ligne de revenus croit de manière significative depuis trois ans.

Librairie en ligne, place de marché, fournisseur de cloud, service de vidéo à la demande, spécialiste de la maison connectée, géant de la publicité, distributeur alimentaire, opérateur de drones en tous genres… En un quart de siècle d’existence, Amazon s’est ouvert à une variété d’activités. L’entreprise de Seattle a élargi — et devrait continuer à élargir dans les prochaines années — ses secteurs d’activité au-delà du retail et des marchés consommateur pour découvrir de nouvelles opportunités de croissance rapide. Le groupe, qui affichait en 2018 un chiffre d’affaires de 233 milliards de dollars (+31%) et 10,1 milliards de dollars de bénéfice net (plus du triple du bénéfice net 2017), recherche typiquement des segments de marché sous-estimés avec de grands volumes de transaction capables de faire croître ses marges. Tout comme Google, elle a dû dépenser plusieurs milliards de dollars en acquisitions pour atteindre de tels chiffres. Des opérations, dont le nombre atteint aujourd’hui au moins 86 (dont au moins 56 depuis 2012), qui ont naturellement traduit les différentes ambitions d’Amazon au fil du temps.

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En 2009, Amazon effectuait son premier rachat à plus d’un milliard de dollars

Avec le rachat du géant américain de la chaussure en ligne Zappos en 2009 pour un total de 1,2 milliard de dollars, par exemple, l’entreprise de Jeff Bezos effectuait non seulement son premier rachat à plus d’un milliard de dollars, mais signalait surtout son intention de se positionner sur le segment de la vente en ligne de vêtements. Et ainsi d’aller bien au-delà de la vente en ligne de livres et de produits de tiers, et davantage vers l’e-commerce de manière beaucoup plus globale. Amazon possédait déjà Endless.com, une enseigne dédiée à la vente en ligne de chaussures et sacs à main, mais celle-ci n’avait pas réussi à s’imposer face à Zappos. Un an plus tard, cette même ambition se confirmait avec l’acquisition pour 545 millions de dollars de Quidsi, spécialiste de l’e-commerce qui opérait alors les sites Diapers.com, Soap.com, BeautyBar.com. Si l’opération s’est révélée être un échec (l’activité de Quidsi a cessé en 2017), elle a mis encore plus de lumière sur la stratégie de développement d’Amazon.

Kiva Systems et Whole Foods, des acquisitions fondamentales

Parmi les autres acquisitions qui ont forgé Amazon tel qu’on le connait aujourd’hui, celle de Kiva Systems en 2012 pour 775 millions de dollars a été primordiale. Cette entreprise créée en 2003 et spécialisée en robotique est devenue Amazon Robotics en 2015. Elle se trouve aujourd’hui à l’origine de toutes les activités robotiques d’Amazon, notamment pour ses propres besoins. Les équipes dirigeantes d’Amazon « voyaient clairement l’automatisation comme une partie intégrante de leur avenir », nous a assuré plus tôt cette année Raffaello D’Andrea, cofondateur de Kiva Systems. « Pour d’autres entreprises, [ce rachat] a également démontré qu’elles devaient adopter l’automatisation et la robotique pour rester compétitives », a-t-il ajouté, soulignant l’étendue de l’impact de l’opération.

Impossible de ne pas citer également le rachat de la chaîne de supermarchés bio Whole Foods, en 2017, pour 13,7 milliards de dollars, la plus grosse opération de ce type pour Amazon (plus de dix fois celle de Zappos). Après l’e-commerce, l’entreprise poursuivait alors son offensive dans le commerce physique. Elle avait déjà lancé des boutiques Amazon Books à Seattle en 2015. Le rachat de Whole Foods confirmait aussi les ambitions de la firme américaine sur le marché de l’épicerie: elle avait annoncé une incursion dans le monde physique fin 2016 avec le lancement en Amérique du Nord d’Amazon Go, concept d’épicerie high-tech où le client n’a plus besoin de passer à la caisse pour payer.

Une multiplication du nombre de rachats ces trois dernières années

Les dix rachats les plus importants d’Amazon depuis 1994 (Whole Foods, Ring, Zappos, PillPack, Twitch Interactive, Kiva Systems, Souq.com, Quidsi, Annapurna Labs, Lovefilm International) totalisent plus de 20 milliards de dollars d’investissement. Mais ces trois dernières années (2017, 2018 et 2019) ont vu une multiplication du nombre d’acquisitions et des montants investis par Amazon, en parallèle à un nombre croissant de fusions et acquisitions technologiques dans le monde de manière générale (aux Etats-Unis, cette tendance a notamment suivi la réforme fiscale votée en décembre 2017). L’entreprise a battu son record de nombre d’acquisitions en 2017, avec 12 opérations (dont Whole Foods et la plateforme d’e-commerce Souq.com), pour un total de 1,45 milliard de dollars. Puis, l’année suivante, elle a dépensé 1,67 milliard de dollars en acquisitions, soit sa deuxième année la plus importante en termes de rachats. Dans son filet en 2018 arrivaient notamment Ring (869 millions de dollars), startup spécialiste des sonnettes connectées et des caméras de surveillance, et PillPack (753 millions de dollars), pharmacie en ligne. Ces deux prises traduisaient les ambitions d’Amazon dans la maison connectée et dans la santé.

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Historique des plus grosses acquisitions d’Amazon. Crédit: CB Insights.

Une stratégie d’acquisition en quatre axes

Amazon achète des entreprises déjà abouties et dépense donc généralement de plus grandes sommes pour un nombre d’acquisitions moins élevé. La stratégie d’acquisition d’Amazon reposerait aujourd’hui sur quatre axes principaux, selon des sources citées par le Wall Street Journal. D’abord, l’entreprise privilégie la rapidité: elle agit rapidement après avoir étudié un marché donné pendant plusieurs années. Les discussions avec Whole Foods, par exemple, auraient duré moins de deux mois, tandis que le rachat de PillPack aurait été bouclé en quelques semaines.

PillPack symbolise aussi parfaitement la tendance d’Amazon à investir dans des entreprises qu’elle estime capables de croître rapidement. Lors de l’opération, le CFO Brian T. Olsavsky avait notamment fourni un aperçu des axes d’investissement actuels du groupe: « nous recherchons des entrepris bien gérées avec une expérience client très différenciée et une obsession client qui rejoint la notre ». Parmi les autres exemples significatifs d’entreprises « bien gérées » acquises par Amazon:

  • Zappos était connu pour son service clientèle de haute qualité (bonne accessibilité des coordonnées, appels avec le service clientèle sans limite de durée, disponibilité 24/7, politique de retour de 365 jours, livraison gratuite…). Un employé serait même jusqu’à aller acheter une paire de chaussures chez un concurrent pour un client, les stocks de Zappos pour le modèle demandé étant épuisés.
  • Twitch comptait lors de son rachat (970 millions de dollars), en 2014, seulement trois ans après son lancement, 60 millions de visiteurs uniques par mois.
  • Ring a vu, en l’espace de cinq ans, ses effectifs atteindre 1 300 employés en ne vendant que dix produits uniques dans 1 600 magasins.

La confidentialité représente également un axe-clé des processus d’acquisition: en cas de fuites avant la confirmation des rachats de Whole Foods et PillPack, Amazon aurait par exemple tout annulé. Ensuite, Amazon ne passerait pas toujours par des banques d’investissement, favorisant plutôt des équipes internes pour mener les négociations.

Enfin, les fondateurs et CEO des entreprises rachetées restent souvent à leur poste, tout comme les sièges sociaux d’origine ne changent généralement pas. Amazon a jusqu’ici réalisé dix acquisitions en 2019. Qui sont ces entreprises et que disent-elles sur la stratégie actuelle de la firme de Seattle?

La nécessité d’Amazon d’agir vite et de manière confidentielle découle notamment des contraintes règlementaires. A titre d’exemple, alors qu’Amazon voulait entrer au capital de Deliveroo en mai dernier en menant une levée de 575 millions de dollars, l’autorité britannique de la concurrence, la Competition and Markets Authority (CMA), a suspendu l’opération peu après. Le montant exact investi par le géant américain n’a pas été révélé, mais Amazon a acquis la part la plus importante de cette augmentation de capital. Ce faisant, Amazon espérait réussir cette fois son entrée dans le marché britannique de la livraison des plats préparés, un secteur en plein boom dont Deliveroo constitue l’un des moteurs. L’autorité britannique avait émis « un ordre d’exécution initial», la première étape d’une démarche qui pourrait aboutir, ou non, à l’ouverture d’une enquête formelle, ce qui est devenu le cas au mois d’octobre. La CMA s’inquiète d’une éventuelle acquisition de Deliveroo par Amazon, réduisant de fait fortement la concurrence dans ce secteur et le choix du consommateur. L’organisme antitrust doit décider en décembre s’il choisit ou non d’enquêter plus loin sur l’opération, ce qui maintiendrait le gel de la montée au capital ou contraindrait Amazon à revendre ses parts.

Autre exemple: Amazon a dû renoncer à acheter 100% du Français Colis Privé en 2016, ambition que le groupe, qui détenait déjà 25% du spécialiste de la livraison de colis à domicile, avait annoncée en octobre 2015. L’échec de l’opération était lié à l’instruction du dossier par l’Autorité de la concurrence, qui avait identifié des points de blocage liés aux modalités de mise en oeuvre des engagements. Amazon aurait mal vu le suivi par un mandataire des engagements pris, ainsi que sur le fait qu’Amazon US devait s’engager, et pas seulement Amazon France. Si l’échec du rachat du reste des parts de l’entreprise rassurait La Poste, qui aurait alors vu le départ de l’un de ses plus gros clients pour former un concurrent direct, il rappelait surtout l’importance pour Amazon de maîtriser sa stratégie d’acquisition.

Amazon renforce AWS avec CloudEndure…

Amazon a commencé l’année en s’offrant la startup israélienne CloudEndure, qui développe un service de restauration de données à la suite d’un sinistre, destiné aux clients qui utilisent des cloud hybrides. Le montant de la transaction avoisinait les 200 millions de dollars. CloudEndure avait levé un peu plus de 18 millions de dollars depuis sa création avec un dernier tour de table réalisé en 2016 auprès d’investisseurs comme Magma Venture Partners ou Infosys. A noter que Google était aussi sur le coup.

Fondée en 2012, l’entreprise fournit des solutions de continuité d’activité qui empêchent la perte de données et les temps d’arrêt dus aux erreurs humaines, aux pannes de réseau, aux menaces externes ou à toute autre perturbation. La solution développée par CloudEndure pour le cloud hybride fonctionnait avec Amazon Web Services (AWS), Google Cloud Platform ou encore Microsoft Azure.

Avec ce rachat, Amazon a pu renforcer sa lucrative branche cloud. Au-delà de l’e-commerce, Amazon a été dopé par AWS en 2018. Sa division cloud a enregistré un chiffre d’affaires au quatrième trimestre 2018 à 7,4 milliards de dollars, soit une croissance de 45 %. Le bénéfice opérationnel a bondi à 2,17 milliards de dollars (+60 %). AWS confirmait ainsi son efficacité au sein du groupe et lui permettait de rester loin devant Google et Microsoft dans le domaine (AWS détient toujours un tiers du marché du cloud). Mais cette année, Amazon doit faire face, en plus de la perte du méga-contrat cloud du Pentagone au profit de Microsoft et une alliance entre Microsoft et Oracle sur le cloud, à un Google qui renforce clairement sa propre offre cloud avec les rachats de Looker (2,6 milliards de dollars, quatrième plus grosse acquisition de l’histoire de la filiale d’Alphabet), d’Elastifile (200 millions de dollars), et d’Alooma (environ 100 millions de dollars).

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Le marché global du cloud hybride devrait générer 68,8 milliards de dollars de revenus d’ici 2021, avec une progression annuelle de 20%. Dans ce contexte, Amazon compte bien profiter de la croissance du secteur pour doper les revenus d’AWS. L’entité pourrait être valorisée 350 milliards de dollars dans trois ans.

… et TSO Logic

Pour une entreprise, anticiper ses dépenses cloud peut s’avérer difficile sur le long terme et à mesure que ses workloads augmentent. Peu après avoir mis la main sur CloudEndure, AWS a décidé de s’attaquer à ce problème en s’emparant de TSO Logic, pour un montant inconnu. Cette startup basée à Vancouver propose une solution d’analyse qui aide les entreprises à utiliser leurs ressources cloud le plus efficacement possible. Plus précisément, elle récolte des données sur les workloads et les applications de ses clients pour leur permettre de les exécuter dans le cloud avec le meilleur rapport possible entre ressources et coûts. Elle leur permet aussi de mieux équilibrer leurs workloads entre cloud public et privé, ce qui en fait un bon complément à Outposts, solution lancée par Amazon en novembre 2018 et qui permet aux entreprises de répartir les workloads entre hébergement sur-site et dans le cloud.

Amazon se devait d’intégrer une technologie comme celle de TSO Logic: mi-2017, Microsoft avait racheté Cloudyn, startup israélienne qui propose un service similaire d’optimisation des investissements dans le cloud. En intégrant le service de Cloudyn à son offre, la société dirigée par Satya Nadella prenait une longueur d’avance sur AWS et Google Cloud. La société israélienne comptait déjà à l’époque plusieurs milliers de clients, parmi lesquels des entreprises telles que HP, Ticketmaster, ou encore Photobox.

Amazon met la main sur Dispatch pour assurer le « dernier kilomètre »

L’acquisition de Dispatch, startup américaine spécialiste de la livraison par robot, a en réalité eu lieu en 2017. Mais elle a été révélée en février dernier quand Amazon a commencé à tester dans les environs de Seattle la livraison de colis par un petit robot nommé « Scout », conçu notamment par des équipes de Dispatch qui ont rejoint Amazon.

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Crédit: Amazon

Il s’agissait de tester un système qui permet de limiter les coûts de livraison. Une part croissante des 2,3 milliards de livraisons aux Etats-Unis l’année dernière a par exemple été effectuée par un réseau de contractuels, et le reste (la majeure partie) a été livré par UPS ou le United States Postal Service. Cette expérimentation intervenait également au début d’une année où la livraison par drone a vraiment décollé. Et pas seulement chez Amazon, qui a annoncé pendant l’été qu’il allait commencer à livrer par drone des colis de moins de 2,3 kilogrammes, toujours dans l’optique de trouver des solutions moins coûteuses pour le « dernier kilomètre », celui qui sépare l’entrepôt du client final.

Car dans les faits, Wing, filiale d’Alphabet, est devenu en octobre la première entreprise à livrer par drones aux Etats-Unis, dans la ville de Christianburg. Plus tôt cette année, Wing avait pris une petite longueur d’avance sur Amazon en obtenant la première licence de l’agence fédérale de l’aviation (FAA) américaine autorisant les pilotes de l’entreprise à contrôler de multiples drones en même temps. Uber aussi a commencé à tester en juin la livraison de repas par drones dans la région de San Diego, tout comme Air Canada a annoncé son entrée sur le marché le même mois, et UPS un mois après. De l’autre côté du Pacifique, des acteurs tels que JD.com, Rakuten ou SF Express se sont également positionnés sur la livraison par drone. Une concurrence qui devrait motiver Amazon à accélérer encore davantage dans le domaine.

Avec Eero, Amazon se renforce dans la domotique

En février, Amazon a annoncé l’acquisition pour 97 millions de dollars d’Eero, spécialiste californien des routeurs Wi-Fi maillés et concurrent de Netgear et Linksys. L’entreprise fondée en 2015 avait jusque-là levé près de 90 millions de dollars auprès de First Round Capital, Homebrew, Initialized Capital, Grishin Robotics, Menlo Ventures, ou encore Index Ventures.

Avec ce rachat, Amazon poursuivait sa stratégie d’acquisition en hardware et services, et plus précisément en domotique. Fin 2017, le groupe avait notamment racheté Blink, spécialiste des caméras de sécurité connectées au WiFi. Début 2018, c’est le spécialiste des sonnettes connectées et des caméras de surveillance Ring qui entrait dans le giron d’Amazon pour 1 milliard de dollars. Comme Ring, Eero génère ses revenus non seulement avec la vente de hardware, mais aussi grâce à des abonnements mensuels optionnels qui renforcent l’utilité des appareils.

L’arrivée d’Eero dans l’activité domotique d’Amazon lui a permis de rajouter une couche à son offre: elle incluait déjà les enceintes connectées, les sonnettes intelligentes et les caméras de sécurité, elle comprend désormais un réseau renforcé (chaque appareil de l’offre domotique d’Amazon peut par ailleurs être connecté aux autres via le WiFi). Amazon s’achetait ainsi un différentiateur de taille par rapport à ses rivaux Apple, Google ou Samsung dans le domaine de la smart home. Le rachat d’Eero lui a en outre permis d’ancrer plus profondément son assistant personnel Alexa dans les maisons de ses clients (un an pus tôt, l’assistant avait été ajouté à des auteurs Huawei et Netgear).

Lors de son Amazon Devices Event en septembre, le groupe de Jeff Bezos a annoncé une nouvelle génération de routeurs Eero qui fonctionneront avec Alexa. Ils permettront de mettre en pause ou de désactiver le WiFi via la commande vocale. Des fonctionnalités qui seront par ailleurs intégrées aux routeurs TP-Link, Asus, Linsky, ou Arris via l’API d’Amazon. Mieux encore, les routeurs devenaient disponibles pour la première fois en Europe, un marché où le taux de pénétration de la domotique a progressé lentement mais qui pourrait connaître une progression annuelle d’environ 12% entre 2018 et 2024.

Amazon veut optimiser sa robotique d’entrepôt avec Canvas Technology

La domination d’Amazon en robotique d’entrepôt s’est vue renforcée au deuxième trimestre 2019 avec l’acquisition de Canvas Technology, startup du Colorado spécialiste des robots autonomes de transport de marchandises. Fondé en 2015, Canvas Technology a notamment développé un chariot autonome capable de détecter les obstacles et personnes environnantes grâce à un système d’imagerie 3D. L’entreprise, qui rivalise dans ce cadre avec le Californien Fetch, avait bouclé une série A de 15 millions de dollars en décembre 2017.

« Nous (…) partageons une vision commune d’un avenir où les humains travailleront côte à côte avec les robots pour améliorer encore la sécurité et l’expérience sur le lieu de travail », avait alors déclaré un porte-parole d’Amazon.

Canvas Technology a aussi développé une solution logicielle de détection des objets qui peut être appliquée à d’autres appareils. Une solution qui ne manquera pas de profiter à la division robotique d’Amazon développée après le rachat de Kiva Systems. A travers ce rachat, Amazon, qui travaille aussi avec des prestataires tels que le Japonais Fanuc, cherche à améliorer et optimiser ses livraisons à travers l’automatisation des tâches via des systèmes propriétaires. Avec ses robots, Amazon répond à trois objectifs d’optimisation: livrer ses clients de plus en plus vite, proposer de plus en plus de produits en optimisant l’espace, et réduire les coûts. Toujours dans cette optique d’optimisation de son processus de livraison, surtout sur le fameux dernier kilomètre, Amazon avait pris en 2017 une participation « significative » dans Aurora lors d’un tour de table de 530 millions de dollars.

L’automatisation industrielle est le moteur d’un marché mondial de la robotique en forte croissance: il pourrait peser entre 70 et 93 milliards de dollars en 2023, et même approcher des 150 milliards en 2025 (contre entre 35 et 37 milliards en 2016). Il profite particulièrement d’une forte demande du côté du secteur militaire, de la construction, du médical, de l’agriculture, mais aussi de la distribution et l’e-commerce.

Avec le rachat des activités adserver et DCO de Sizmek, Amazon renforce son offre publicitaire face à Google et Facebook

Malgré une surenchère de l’AdTech française Ycor, maison-mère de Weborama, Amazon a racheté — pour probablement plus de 30 millions de dollars, l’offre initiale — en juin les activités adserver et dynamic creative optimization (DCO) de la plateforme d’achat média programmatique Sizmek. L’entreprise américaine fondée en 1999 recherchait depuis avril un acquéreur pour ces activités après une mise en redressement judiciaire volontaire aux Etats-Unis. A l’issue de l’opération, Amazon a précisé que les produits Sizmek seront « pour le moment » exploités séparément d’Amazon Advertising.

En 2020/2021, Amazon devrait renforcer sa position sur la publicité numérique face à Google et Facebook, et l’acquisition de Sizmek Ad Server et Sizmek DCO va dans ce sens. Le groupe de Jeff Bezos fait effectivement figure de rival de plus en plus crédible face aux deux géants du secteur, alors que la publicité devrait être un de ses prochains grands leviers de croissance.

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Crédit: eMarketer.

Les revenus publicitaires d’Amazon ont explosé en 2018: ils ont quasiment doublé à 3,4 milliards de dollars sur le dernier trimestre et grimpé à 10 milliards de dollars sur toute l’année. Les analystes prédisaient début 2018 que le groupe enregistrerait moins de 3 milliards de dollars en revenus publicitaires. Au cours du troisième trimestre 2019, le segment « Autre » (« Other ») des résultats financiers d’Amazon, qui « inclut principalement la vente de services publicitaires », affichait une croissance en progression de 45% à 3,6 milliards de dollar par rapport à la même période l’année dernière. Le chiffre d’affaires issu de la publicité avait progressé de 36% au premier trimestre, puis de 37% au deuxième trimestre. Sur les douze derniers mois, les recettes publicitaires ont atteint 12,5 milliards de dollars.

Si cette tendance évolue, l’activité publicitaire du groupe pourrait atteindre 30 milliards de dollars à la fin de 2020. Le taux de croissance pourrait même dépasser les 30% en 2020 et 2021, selon eMarketer. En somme, d’ici 2021 aux Etats-Unis, un dollar sur dix investis en publicité digitale sur dix pourrait aller à Amazon.

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Crédit: eMarketer.

Renforcement de Twitch avec Bebo

Juste avant l’été, Twitch, la plateforme de streaming de jeux vidéo d’Amazon, a fait l’acquisition, pour moins de 25 millions de dollars, du réseau social Bebo. Lancé en 2005 par Michael et Xochi Birch, Bebo a été un pionnier dans le partage de photos, vidéos et publications entre amis, et représentait à une époque un concurrent crédible à Facebook, particulièrement au Royaume-Uni et en Irlande. En 2008, l’entreprise avait été rachetée par AOL pour 850 millions de dollars, avant d’être revendue à Crierions Capital pour 25 millions de dollars en 2010, puis d’être rachetée en 2013 par Michael et Xochi Birch pour un million de dollars. Ces derniers ont, à terme, repositionné Bebo sur l’organisation et la gestion de tournois de e-sport en streaming (diffusés sur Twitch). Un service qui rejoint maintenant pleinement Twitch, qui pourra bénéficier de l’expérience de Bedo dans le domaine et, surtout, l’inclure dans le développement de Twitch Rivals, sa page dédiée aux tournois de e-sport.

En rachetant Bebo, Amazon espère asseoir sa présence dans l’e-sport, un marché en forte croissance (presque 20% de croissance à prévoir dans le monde entre 2018 et 2023, d’après Markets and Markets). Selon eMarketer, l’e-sport a généré 869 millions de dollars de revenus en 2018 en sponsoring, frais d’inscription des joueurs et publicité.

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La valeur et les tendances du secteur de l’e-sport. Crédit: Markets and Markets.

L’acquisition de Bebo prend encore encore plus de sens qu’Amazon prépare actuellement une plateforme de cloud gaming pour venir concurrencer Stadia de Google. La plateforme, qui serait mise en lien avec Twitch, pourrait voir le jour en 2020.

AWS de nouveau renforcé avec le rachat d’E8 Storage

Au troisième trimestre, AWS aurait dépensé entre 50 et 60 millions de dollars pour mettre la main sur la startup israélienne E8 Storage, selon Globes (d’après d’autres médias, la somme déboursée serait cependant inférieure). L’entreprise fondée en 2014 et forte de 25 employés a notamment développé des solutions de stockage flash pour les infrastructures cloud d’entreprise. A l’issue de l’acquisition, elle a rejoint les équipes du centre de R&D d’Amazon en Israël situé à Tel Aviv.

AWS est le leader incontesté des infrastructures cloud dans le monde, mais ce rachat montre qu’Amazon n’hésite pas à investir dans des entreprises qui ont le potentiel d’éloigner la concurrence (Microsoft, Oracle, IBM, Alibaba). L’acquisition d’E8 Storage lui permet d’enclencher la prochaine phase du cloud computing: améliorer la rapidité et les performances des applications cloud pour des coûts d’opération réduits grâces à de puissantes baies de stockage. Sa solution est notamment destinée aux charges de travail à faible latence comme les analyses en temps réel ou les applications financières et commerciales.

A noter également que deux semaines après le rachat d’E8 Storage, Google avait racheté la startup Elastifile, également israélienne, dans l’optique de donner un nouvel élan à Google Cloud. Elastifile permet aux entreprises d’augmenter de manière élastique leur capacité de stockage à la demande. Le système de stockage «élastique» d’Elastifile était jusque-là plus abouti que celui d’AWS.

Twitch améliore ses fonctionnalités search et découverte avec IGDB

Le rachat d’IGDB (pour Internet Games Database) en septembre ne sera pas le plus important d’Amazon cette année. Mais l’arrivée de cette base de données suédoise (anglophone) dédiée aux jeux vidéos permet à Amazon d’améliorer les fonctionnalités search et découverte de Twitch, le service de streaming de jeux-vidéo acquis par le groupe en 2014. Le CEO de Twitch Emmett Shear avait précédemment concédé que sa plateforme ne disposait pas de la meilleure fonctionnalité search sur le marché. Twitch collaborait jusque-là avec Giant Bomb, rival d’IGDB.

Au-delà de la centralisation d’informations, actualités et critiques sur les jeux vidéos, la plateforme fondée en 2015 permet aussi aux utilisateurs de créer des profils et de contribuer à l’activité du site. IGDB a aussi développé un API, gratuits pour les développeurs de petits commerces, et 99 dollars par mois pour les plus gros. A noter qu’IGDB conserve son site et sa marque, mais a migré son infrastructure et fusionné ses API gratuit et payant en une seule offre gratuite.

Renforcer son offre jeux vidéo est primordial pour Amazon, alors que le gaming, surtout en cloud, semble représenter un nouvel eldorado pour les géants du numérique: Google veut remplacer les consoles de jeux avec sa plateforme Stadia, Apple veut créer un écosystème fermé de jeux vidéo avec Apple Arcade, Electronic Arts travail sur un « Projet Atlas », plateforme de jeu qui allie cloud et intelligence artificielle, Microsoft a développé un « X Cloud », service de diffusion en streaming de jeux sur appareils connectés, Sony propose un service de jeu en streaming via PlayStation Now…

En 2019, le marché mondial du jeu vidéo dépassera les 114 milliards d’euros, dont plus de 51 milliards générés par les jeux vidéo sur mobile, d’après le centre de réflexion Idate. Un chiffre qui comprend les téléchargements payants et les achats optionnels, mais pas les revenus publicitaires, qui représentent au moins 10% de plus. Il reste à voir quel modèle économique prendra le plus de parts de marché.

Optimisation des ventes transfrontalières avec l’acquisition d’INLT

Les vendeurs américains de la place de marché d’Amazon doivent souvent gérer seuls des processus complexes de ventes transfrontalières. Des complications qui peuvent réduire le nombre de transactions effectuées sur la plateforme et ainsi nuire aux performances d’Amazon. Dans l’optique de réduire les coûts de gestion de ces procédures douanières complexes, Amazon a racheté fin septembre INLT, startup basée à Los Angeles qui propose une plateforme cloud visant à faciliter les importations de marchandises aux Etats-Unis en facilitant la gestion des coûts et des procédures de dédouanement.

Le montant de l’opération n’a pas été dévoilé. Fondé en 2017, INLT avait levé 1 million de dollars en avril 2018 lors d’un tour d’amorçage.

Avec cette opération, Amazon va pouvoir étendre ses services proposés aux vendeurs de sa plateforme sur un marché où se trouve la majorité de ses nouveaux vendeurs en ligne du groupe (devant l’Inde et le Royaume-Uni).

Après Amazon Care et PillPack, Amazon mise de nouveau sur l’e-santé avec Health Navigator

Fin octobre, la firme de Jeff Bezos a fait l’acquisition de Health Navigator, startup américaine fondée en 2014 qui développe une plateforme d’outils qui peuvent être intégrés sous forme d’API aux services de santé en ligne (applications de téléconsultation médicale, centres d’appels médicaux) afin d’améliorer le processus d’accompagnement des patients. L’entreprise s’est notamment distinguée pour ses outils en ligne de vérification des symptômes et de triage pour aider les services de santé en ligne à déterminer si le patient doit rester à la maison, aller voir un médecin ou aller directement aux urgences.

Les services de Health Navigator seront intégrés à Amazon Care, programme pilote d’assistance médicale lancé en septembre et destiné aux employés d’Amazon et à leurs familles travaillant à Seattle (la plupart des Américains sont assurés par leur entreprise, les Etats-Unis ne disposant pas de système de santé universelle). Prenant l’apparence d’une clinique virtuelle, Amazon Care permet notamment de bénéficier de consultations médicales en visioconférence, de se faire délivrer des ordonnances et de réserver des médicaments auprès d’une pharmacie. Amazon Care fait office de laboratoire pour Amazon, qui peut y tester différents services afin de les perfectionner et les lancer sur le marché.

Le programme pilote d’assistance médicale a notamment été renforcé par l’intégration des services de PillPack, la pharmacie en ligne rachetée l’année dernière par Amazon, grâce auxquels l’entreprise peut s’essayer à la livraison express de médicaments, d’abord auprès de ses employés dans le cadre d’Amazon Care puis à ses clients américains, dans un pays très consommateur de médicaments.

L’e-santé a été une cible majeure des investissements des Gafa ces dernières années. Il s’agit pour eux d’une source de diversification lucrative (le marché mondial de l’e-santé devrait dépasser 504,4 milliards de dollars d’ici 2025, selon le cabinet d’étude Global Market Insights). Amazon s’y développe donc avec Health Navigator, Amazon Care et PillPack, mais aussi avec le lancement l’année dernière de son service Amazon Comprehend Medical, par exemple, ou le développement d’un bracelet intelligent. Il s’agit pour la firme de ne pas se laisser distancer par les autres géants du numérique. Apple, dont l’Apple Watch concentre les innovations de la marque en matière de santé connectée, a lancé en mars 2018 son propre API « Cloud Healthcare » et racheté cette année la startup américaine Tueo Health, qui a développé une application permettant de surveiller l’apparition de symptômes liés à l’asthme. Puis, du côté d’Alphabet, la maison-mère de Google, la filiale Verily a récemment dévoilé la signature de partenariats avec quatre grands laboratoires pharmaceutiques: le Français Sanofi, le Suisse Novartis, l’Américain Pfizer et la Japonais Otsuka pour investir le marché des essais cliniques.

Que retenir?

La stratégie d’acquisition d’Amazon depuis près d’un an permet de voir que:

  • cette année, de nouveau, le groupe continue de se renforcer dans le cloud, tout comme Google. Les rachats de CloudEndure, TSO Logic et E8 Storage suggèrent que le groupe veut maintenir la distance avec la firme de Mountain View, mais aussi avec Microsoft, en investissant dans un AWS qui a ralenti cette année.
  • le groupe cherche toujours à optimiser le processus de livraison, au sein de l’entrepôt mais aussi sur le dernier kilomètre (Dispatch et Canvas Technology), ainsi que largement en amont INLT.
  • la domotique représente un axe d’investissement significatif: après les rachats de Blink et Ring, celui d’Eero s’intègre pleinement dans la stratégie de développement d’Amazon dans ce domaine.
  • tout comme les marchés en forte croissance du gaming et de l’esport: en mettant la main sur Bebo et IGDB, Amazon signale sa volonté de continuer à miser sur Twitch.
  • le groupe a bien conscience du potentiel de la publicité en tant que levier de croissance: l’arrivée des activités adserver et dynamic creative optimization de Sizmek dans son giron lui permet de renforcer une offre déjà prometteuse face à Google et Facebook.
  • l’entreprise de Seattle poursuit enfin, comme les autres géants du numérique, le développement se son activité healthcare avec le rachat de Health Navigator.

A compter qu’Amazon, qui a effectué dix acquisitions cette année (si on ne compte pas celle de Dispatch, effectuée officiellement en 2017, pour rappel), ne soit pas obstrué par l’enquête ouverte de Washington sur d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles chez les Gafam, le groupe pourra poursuivre sa frénésie d’achats en 2020: au 30 septembre 2019, l’entreprise disposait de 43,4 milliards d’argent liquide à dépenser (un record), soit presque +46% par rapport à la même période un an plus tôt.

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